Le ministre Cahuzac lance un "ballon d’essai’, en testant la réactivité de "l’opinion’ qui remplace désormais les traités de Jaurès, en répondant complaisamment à une proposition du MEDEF du 15 janvier 2013 , visant à ce que la hausse des pensions de retraite soit inférieure à l’inflation jusqu’en 2017. Théophraste a eu raison de remarquer que "Les syndicats sont contre. La CFDT pourrait l’accepter.’ Et de nous préciser que "Nicolas Sarkozy avait toujours refusé une telle mesure.’ (1) : "Cahuzac : haro sur les vieux, ces pelés, ces galeux dont nous vient tout le mal’
La longue saga de la collaboration de classe :
Au bon temps de la "Refondation sociale’ du MEDEF, vous savez cette "avancée’ qui devait nous faire entrer dans la modernité, la compétitivité, le flexibilité, en un mot l’age d’ Or de la collaboration de classe, et du capitalisme sans entrave…
En ce temps d’apogée de la CFDT, qui portait l’étendard de l’illusion des "partenaires sociaux réunis’ élevée au rang de vertu prolétarienne.
En ce temps où triomphaient les idéologues et manipulateurs sémantiques de la Nouvelle Droite, pour effacer les "mots’ de la lutte des classes et les remplacer par ceux de la servitude volontaire. En ce temps où le Travailleur, producteur de richesse, est devenu le "salarié’ bénéficiaire d’une aumône qui amputait les profits des Actionnaires (2)…
En ce temps là , j’avais "détourné’ un dessin humoristique montrant le néo camarade Chérèque, enfant spirituel de Nicole Notat sortant d’une "négociation patronale’ a ses yeux victorieuse… (Vous savez Nicole Notat, ce brillant exemple de l’ascenseur social qui fit d’une institutrice méritante, la première femme en France à diriger une organisation syndicale. Elle fut aussi le leader attendu du CNPF de l’époque, pour que l’ingestion de couleuvres remplace les augmentations de salaires et accompagne le démantèlement du Code du Travail… Celle-ci finira son parcours en quittant ses fonctions de Secrétaire générale de la CFDT pour créer une agence de notation éthique "VIGEO"… Ah l’Ethique ! Le baume au coeur des Entrepreneurs sarko-catho compatibles, l’hostie syndicale du consensus entre exploités et exploiteurs !).
En ce temps, donc, je détournais la "bulle’ d’un dessin humoristique, faisant dire au jeune promu Chérèque « Les négociations ont été difficiles, mais victorieuses… Ils voulaient nous prendre un oeil, un bras et les couilles… Nous avons sauvé l’oeil et la main. Reprenons le travail mes amis ! » … C’était autour des "grandes grèves’ de 1995 je crois…
C’était bien après le "temps déraisonnable’…
C’était bien après le "temps déraisonnable’…
Bien après le temps des "camarades’…
Juste avant que nous vienne un Messie qui prêche "Avec moi, tout devient possible’ et "Le travail rend libre’, souvenez vous… (3) (4)
Ce propos sur le travail nous disait déjà , parce que les mots ont une vie mentale au-delà du mot lui-même, parce que les mots portent des « images » subliminales qui peuvent rester inconscientes, parce que les mots contribuent à un « métalangage » qui participe au formatage de la pensée, ce propos sur le travail nous disait déjà quelque chose qui concerne "les vieux’... Dans le cas qui nous préoccupe ce métalangage induit le non dit que « sans le travail », l’homme serait sous-classifié, présumé non libre et peut-être ne pouvant prétendre aux même droits ? Cette affirmation première, liant travail et liberté, devait être utilisée demain pour discriminer les droits en fonction du statut d’actif ou de chômeur, et aussi en fonction de l’age , lorsque l’individu , sorti de l’age du "labeur’ devient trop vieux, "à charge’ ! Ce à charge devenu stigmatisant dans le langage libéral…
Le porteur de ce langage, dont nous connaissons l’inspirateur en la personne de Buisson, son gourou maître penseur issu de la Nouvelle Droite, a pu réaliser certains de ses fantasmes (5) , même si la "manière’ alimentait parfois aussi le sarcasme (6). Mais le pire serait à venir si les successeurs s’interdisaient la "rupture’ promise lors de la campagne électorale qui a ramenée la "gauche’ au pouvoir, quelle gauche au fait ? (7) (8)
Vieux indésirables ? Il s’agit bien d’un débat pour le siècle qui vient…
Que faire de nos "Vieux’… ? Dans un commentaire ancien succédant à une chronique de Théophraste consacrée à un "vieux’ singulier, Alain Minc, enfant d’un plus vieux que lui et conseiller intime du Président en exercice, je développais l’argument ici repris.(9)
Oui nous vivons dans un monde où tous les improductifs sont indésirables aux yeux des libéraux qui nous gouvernent. Les déclarations hallucinantes d’un conseiller du Président sont un morceau d’anthologie de l’inhumanité et du cynisme qui nous gouverne. Alain M ! Vous savez l’auteur de "La Mondialisation Heureuse’... Alain , le fils qu’aucun d’entre nous ne souhaiterait avoir ? Celui qui disait par avance "entre ses mots’ quelques mois plus tôt, que son deuil aurait été un soulagement en même temps qu’une économie ; les mots ont un sens et les siens sont terribles… Alain méritait le respect d’une circonstance qui l’affectait (Le décès de son père) ; mais nous obligeait aussi à penser autour de ses propos qui nous concernent tous. En fait le fils ne parlait pas à son père ni "de son père’ ; sa pensée toute entière mise au service du "marché’ résonnait comme celle d’un consultant qui conseille à un DRH un plan social pour augmenter la satisfaction des actionnaires… Pour certains, la famille aussi n’est qu’une affaire de management, pour que l’investissement reste rentable sans trop amputer le patrimoine… Abject mais logique…Au-delà de ce cas incroyable, d’une parole qui dérapait en public dans le champ le plus intime, par conséquence du formatage d’une pensée par une idéologie infâme, le problème posé est bien celui de la vision des libéraux qui nous gouvernent vis-à -vis de nos "vieux’…
Déjà , rémunérer un "travailleur’ seul producteur des richesses est considéré comme une "charge’ qu’il convient de réduire autant que possible ! Alors payer des soins à un improductif devient une dilapidation stupide… Non ?
Et si le pire était à venir ?
L’actuel Président, dans ses promesses de campagne, a inclus une réflexion et une évolution législative concernant la fin de vie et l’aide à mourir.
Je suis de ceux qui soutiennent cette réflexion, mais appréhendent tous les dérapages possibles et craignent que s’inscrive un jour dans la Loi des mesures qui seront pour nos vieux indésirables et à charge le "Casse toi pov’ con’ du XXI me siècle. Le coût prévisible que nul ne peut nier, de la prise en charge sociale et solidaire de la dépendance d’un nombre croissant de nos aînés est un défi à la société, un défi au socialisme. Espérons que les réponses proposées ne reproduiront pas la pente naturelle qu’inspirait Alain Minc au précédent gouvernement…
Vivants encore, leur précarité ou leur misère, qui réduit le prix de la solidarité intergénérationnelle, n’est qu’une part de la solution finale qui passera par d’autres ignominies programmées. Elles le seront, au nom du droit d’interrompre une "vie qui ne mérite plus d’être vécue’ et du "droit’ de "mourir dans la dignité’ (3). Le "droit’,le seul, qui sera concédé encore à l’ancien militant qui ne dresse plus le poing et tremble parfois de sa main retombée… A quoi bon même leur verser une retraite ? A quoi bon même les soigner, n’était ce pas ce que Alain Minc, l’ami du Président d’avant, disait au sujet de son propre père ? . Que chacun soit "responsable’ bon sang ! Qu’il devienne auto entrepreneur de sa ’vieillitude’ et cesse de peser sur la collectivité ou entraver la compétitivité !
Nous savons bien que l’actuel débat sur la cinquième branche de la sécu ne peut être séparé de la réflexion éthique, aux incidences sociales considérables sur le vieillissement, l’accompagnement des mourants, l’aide au suicide et la tentation eugéniste en arrière fond de tous les non dits sur le sujet.
Les tentations les plus radicales traversent certains esprits, y compris chez des professionnels de santé, et il faut comprendre les arrières pensées qui peuvent animer certains de ceux qui militent pour "l’aide au suicide’, l’abandon des soins ou le "droit de mourir dans la dignité’.
Une vie peut elle être "indigne’ ? C’est le vrai débat :
Des militants profèrent déjà l’idée que certaines vies seraient "indignes’ selon des critères qu’ils seraient prêts demain à définir eux-mêmes. Les défenseurs de l’association pour le droit de mourir dans la dignité possèdent en leur sein une fraction qui milite activement pour la reconnaissance, au delà de la question de la "fin de vie", du concept de "vie qui ne mérite pas d’être vécue", avec tous les dangers de cette dérive qui rejoint la demande des eugénistes, y compris les plus extrêmes.
Cet amalgame n’est pas fait par tous les militants, loin s’en faut, mais il est rare que le grand public fasse la distinction. Une idéologie qui pour certains d’entre eux est celle de la nouvelle droite, assez intelligente pour ne jamais afficher son affiliation, met toujours en avant la "liberté" (de mourir), mais c’est la "sélection" qui est rendue possible et parfois souhaitable.
L’idée même "d’une vie qui ne mérite pas d’être vécue’ obsède certains bien portants, que la douleur d’autrui indispose, car elle reflète leur propre finitude et la peur d’un destin semblable.
Ne doutons pas que les critères que certains voudraient inscrire dans la Loi seront "aussi’ médico économiques et ne seront qu’un nouvel avatar de la pensée eugéniste révisée par le libéralisme.
Le raisonnement éthique de l’immense majorité des soignants, concernés par ce débat, sait à la fois ne pas sombrer dans l’acharnement thérapeutique et en même temps reconnaître une "dignité humaine inaliénable’ à chaque individu, quel que soit son age ou défaillance physique ; cela impose au moins de ne pas réduire la parole qui le considère à un discours de négoce, un discours sur le prix à payer.
Sur ce thème et au sein de la revue "Pratiques- Les Cahiers de la Médecine Utopique’, j’ai eu l’occasion de développer certains éléments du débat (10) (11)
Certains de ceux qui répondent, sans avoir été éclairés peut-être sur tous les termes du débat, à certains sondages, « Les français pour une loi sur l’euthanasie à l’unanimité » (12) ne mesurent sans doute pas tous l’usage qui pourrait être fait de certaines manipulations de l’opinion… (13)
La stigmatisation du troisième age .
Il a été amplement diffusé, depuis que la droite à la prétention de réformer la sécu, l’hôpital, les retraites, en détricotant maille par maille le Contrat Social issu du programme du Conseil National de la Résistance, l’argument selon lequel " Il a été établi que 70 % des dépenses de santé se font dans les six derniers mois de la vie.’ … On omet volontiers de dire que cette « sur dépense » est observée à l’approche de la mort à tous les âges de survenue de celle-ci. On semble s’étonner qu’une maladie mortelle, un accident fatal, ou simplement le vieillissement soit facteur de dépenses !
Cette stigmatisation du troisième âge est socialement dangereuse car ouvrant la voie à des tentations inacceptables : Dans le journal du dimanche à Paris le 7 9 2003, cité par le monde diplomatique d’octobre 2003, Alain COTTA proposait « Une sorte d’autorégulation organisée par la société, créant une fonction sociale, celle de donner la mort à partir de 90 ans » (!).
Mais, à côté de cette position extrême, que faut-il penser, au décours de la canicule du mois d’août 2003, perçue comme une aubaine, du projet de création d’une "nouvelle branche’ pour la sécurité sociale, consacrée à la dépendance et aux Vieillards ? Qui peut croire sérieusement que serait affectée à cette nouvelle branche la proportion des ressources actuellement dédiée à ces soins, c’est à dire 70 % ?
Comment ne pas voir qu’il s’agirait ici de créer un « Panier de soins pour vieux », dont le contenu serait moins coûteux et correspondrait à des soins de confort minimum ? Comment ne pas voir que l’insuffisance programmée des prestations poussera chacun à cotiser, si il en a les moyens, à une assurance privée complémentaire, les autres étant privés de l’accès au soin qui leur était précédemment garanti sans discrimination d’age ou de fortune. Cette innovation, dont la mise en oeuvre se précise actuellement, a déjà suscité l’adhésion d’une part de l’opinion en obtenant le consentement au renoncement d’un jour férié pour son financement (Fini le lundi de Pentecôte !). Le MEDEF a applaudi à cette « solidarité nouvelle » ; mais il faudrait être naïf pour imaginer que l’effort pour nos aînés sera à la hauteur de l’annonce. Si le MEDEF applaudi, c’est que le secteur des assurances voit venir à lui une nouvelle clientèle captive, insuffisamment protégée par la solidarité collective.
Il paraîtrait essentiel, au contraire, que nous refusions collectivement cette discrimination, en réaffirmant qu’un « vieux » reste un bénéficiaire à part entière de toute la solidarité nationale, sans discrimination aucune. Toute forme de « Panier de soin pour vieux » serait une honte pour la nation tout entière ! Que ce soit la droite ou la gauche qui le propose n’est pas la question. Il nous suffit de regarder outre-Manche pour observer un pays où, déjà , après Margareth Thatcher comme après Tony Blair, l’accès à certains services de réanimation, dialyse rénale ou certains actes chirurgicaux, n’est plus autorisé après soixante et dix ans !
Comment ne pas relever le paradoxe, dans le discours, de ceux qui se félicitent de l’accroissement de l’espérance de vie et se désolent du coût présumé induit par ce vieillissement ?
La médecine est au coeur des injonctions paradoxales d’une société qui s’interroge sur le ’coût’ sans s’interroger sur le ’sens’...Tentons de rester du bon coté de la question. Ce sera très difficile et nous ne serons pas les plus nombreux !...
L’ombre de Thanatos :
Combien de siècle mettront nous à concilier, dans le soin et le social, la recherche des meilleurs pratiques et la préservation des libertés, sans consentir au corsetage de la norme rassurante, réductrice et parfois tragiquement discriminative, voire criminogène ?
Ceux qui veulent nous utiliser pour le contrôle social, qui veulent nous entraîner dans le consentement, la servitude volontaire et le renoncement, ont des schémas simples que nous savons être faux. La résistance au pire est plus difficile que le "consentement meurtrier’ (14)
De rares moments jubilatoires surviennent, qui disent "face au politique’ d’une voix claire, l’essentiel, comme ce fut le cas par la présidente départementale de l’ANACR, Claude Roddier, résolue à dénoncer l’hypocrisie de ceux qui laissent « se dissoudre la France », ceux qui ont "déclaré une guerre totale au programme du Conseil national de la Résistance" , osant lors d’une cérémonie mémorable : « Ces Résistants de 44 nous regardent, se demandant jusqu’où nous allons accepter l’inacceptable. » (15)
Ici et maintenant, dans le débat autour de la prise en charge et l’accompagnement de nos aînés, on nous démontrera demain qu’un praticien compétent et humaniste, ou un citoyen tentant d’entourer de l’affection la plus prolongée possible même un être diminué par les ans passés, avec une demande de prise en charge collective comme chacun la souhaiterait pour lui-même, n’est qu’un sociopathe qui s’ignore, un délinquant fossoyeur du progrès et du profit, qui dilapide les efforts de tous…
Ils seront stigmatisés, ceux là ; et l’opinion sera dressée contre eux. Ils auront la vie dure ceux, professionnels du soin, qui fuiront les rangs des mercenaires clonés de la ’nouvelle médecine’, celle des ’producteurs de soins’ soucieux de remplir des ’objectifs’ en respectant les quotas, les coûts, les injonctions d’une éthique utilitariste, demain écrite par des assureurs et des banquiers, confortés par quelques esprits forts issus de leurs rangs, issus de nos rangs.
Ils auront la tache difficile, ceux qui tenteront résister à une idéologie contaminés par l’inquiétude que soulève les effets ’bénéfiques’ d’une médecine, qui produira de plus en plus de vieux ’à charge’ de la collectivité. Les mêmes sont déjà contaminés par l’idéologie qui s’emploie depuis deux décennies à gommer toutes les solidarités...
Lorsque la logique du moins disant social (16) convergera avec l’extension de la notion de "Fin de droit’ (17) ; les conditions de la fin de l’humain, les conditions de l’humain jetable, seront réunies. Après l’obsolescence programmée de l’objet consommable, qui permet par son renouvellement l’entretien du marché ; l’obsolescence programmée de l’humain fixera la date de péremption de nos simulacres résiduels de solidarité.
Il est à craindre que "nos vieux’ représentent le maillon faible et sans défense, sur lequel s’exercera l’indifférence globale d’un bio techno pouvoir dont la promotion du profit est le seul objectif déclaré. Capitalisme oblige, n’est ce pas ? There is no alternative…
Sur la neige du matin, ce 20 janvier 2013, se lève un Soleil Vert magnifique !
Jacques Richaud