Le principe de « l’identité des indiscernables » a été développé par le philosophe allemand Gottfried Leibniz (1646-1716). Dans sa version triviale, mais fort utile en politique, il pose que si deux entités sont distinctes, elles doivent différer en quelque chose... Je ne ferai donc pas l’insulte au Parti socialiste de l’identifier indûment au Front National. Ce genre d’amalgame polémique est le plus souvent stérile. En revanche, le jeu que mène le parti de François Hollande à travers la personne de Manuel Valls, par exemple – car il n’est pas seul – nous conduit à nous poser des questions qui ont à voir avec la notion d’identité des indiscernables. Souvenons-nous des déclarations de l’hyper-ministre sur l’immigration en général. Le FN a bien saisi la menace, qui appelle à voter « pour l’original plutôt que pour sa copie ». Encore une fois, « identité » et « indiscernables » sont des termes dont la radicalité doit être récusée par souci de précision.
La nécessaire "discipline républicaine" devient difficilement supportable
Mais il reste quelque chose de véritablement crapuleux, et je pèse mes mots, surgi dès juin 1984, lorsque Pierre Bérégovoy aurait déclaré (on a peine à le croire mais c’est un fait avéré) : « On a tout intérêt à pousser le Front National. Il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattables. C’est la chance historique des socialistes. » (entretien avec Frank-Olivier Giesbert, 21 juin 1984). » Ce quelque chose de crapuleux, c’est le caractère moralement impérieux de ce qu’il est convenu d’appeler la "discipline républicaine".
Ainsi, au deuxième tour de tout scrutin, il convient de voter pour le candidat du parti qui se retrouve face au Front National, même quand se pose la question de l’identité des indiscernables, et même quand le parti bénéficiant des reports n’a cessé depuis trente ans de tourner le dos à ses engagements les plus solennels en matière d’emploi, d’indépendance nationale, de progrès sociaux, de politique étrangère et d’intégrité des élus. On comprend que cette question des reports « pour battre la droite, l’extrême-droite, le FN, etc. » soit désormais perçue comme un piège par des citoyens régulièrement floués par ceux auxquels il avaient fait confiance. Il serait même possible que la discipline en question rassemble de moins en moins. Du même coup, les partis jusqu’à présent bénéficiaires de cette tradition républicaine (l’UMP n’est pas en reste en ce domaine) enverront leurs représentants bêler sur les plateaux de télévision et les stations de radio « qu’ils ont péché par défaut de pédagogie », alors qu’ils ont comme à leur habitude méprisé les pauvres et les désespérés de la politique.
La proportionnelle intégrale contre tout chantage moralisateur
Il existe une solution à ce problème brûlant. Elle est connue. Cela s’appelle "la proportionnelle intégrale" : chaque voix compte dans les pourcentages de chaque parti. Le nombre des élus de ces partis dépend directement des pourcentages atteints. Il n’y a qu’un seul tour, donc pas de reports.
Deux objections sont ordinairement avancées contre cette solution qui, au passsage, rendrait leur intérêt d’origine aux débats parlementaires. La première est irrecevable car anti-démocratique : les « petits partis » pourraient être représentés, ce qui risquerait d’affaiblir les majorités puissantes ! On voit mal pourquoi la participation à l’exercice de la souveraineté nationale devrait exclure les pensées minoritaires, et pourquoi les majoritaires devraient être écrasantes. La seconde, également anti-démocratique, porte sur le fait que la proportionnelle intégrale ferait entrer beaucoup de députés du Front National à l’Assemblée nationale. Certes, mais quoi qu’il en soit, c’est ce qui va se passer au cours des prochaines années si l’on n’y prend garde. D’ailleurs, cela a même été dit par Laurent Fabius, depuis quand combat-on des idées par des modes de scrutin ? Parce qu’il s’agit bien d’idées dès lors que seuls les partis démocratiquement autorisés participent aux processus électoraux. Beaucoup,dans les années 1980, ont préconisé l’interdiction du FN au motif que l’incitation à la haine raciale n’est pas une opinion mais un délit, voire un crime. J’étais parmi eux. Cela fut refusé : à cette époque, le FN rendait beaucoup de services électoraux. Il est désormais trop tard. Je suis tenté de dire aujourd’hui que c’est moins malsain. Mais les Français pourraient, à terme, le payer cher. Souhaitons qu’ils n’aient pas la mémoire courte. Cela dépend en grande partie des communistes restés debout dans ce pays.
Pascal ACOT