« J’ai toujours eu peur pour Bernard-Henri Lévy. J’ai depuis longtemps un faible pour ce glorieux cadet qui se rêve à la fois l’héritier de Malraux, de Levinas et de Brummell, et assume avec une élégance provocatrice son dandysme philosophique. » - Jean Daniel
Le philosophe « tout-terrain » Bernard- Henry Levy vient de déclarer que c’est en tant que Juif qu’il a libéré la Libye de son tyran. Quel est cet homme qui intrigue, manipule à l’infini et est avocat de toutes aventures, lui qui se veut être un maître à penser ? Sa biographie parle d’un normalien brillant qui, très tôt, a décidé de « parvenir ».
Le parcours atypique de BHL
Sans aller dans le détail d’une vie riche en évènements médiatiques, signalons quelques faits d’armes. En 2001, il soutient fermement l’intervention américaine en Afghanistan et proclame en novembre 2001 à propos de cette intervention : « La victoire éclair d’une stratégie que nous n’étions pas bien nombreux à juger d’une habileté, d’une efficacité militaro-politique insoupçonnées. » En 2002 et 2003, il explique qu’il ne se positionne pas contre la guerre en Irak. Lors de la guerre de Ghaza 2008-2009, BHL s’est rendu en Israël, publiant le récit de son voyage dans le JDD. Dans cet article il constate que la bande de Ghaza, évacuée par Israël en 2005 et soumise depuis à un blocus humanitaire, est devenue non l’embryon de l’État palestinien tant espéré, mais « une base militaire avancée ». En janvier 2009, il publie dans le journal Le Point une note de soutien à Israël justifiant l’opération « Plomb durci ». Le 7 juin 2010, il défend l’attaque israélienne du 31 mai 2010 contre des navires transportant de l’aide humanitaire vers Ghaza. Le 9 novembre 2011, parution de son livre « La Guerre sans l’aimer », quinze jours après le lynchage de Kadhafi : la Libye, opération réussie !
L’intellectuel communautariste faussaire
L’admiration de Jean Daniel pour BHL est lointaine, « Malraux ou rien » écrivait déjà Jean Daniel dans l’éditorial très élogieux qu’il consacrera au film Bosna dans le Nouvel Observateur du 12 mai 1994. Cette phrase de Jean Daniel est une énigme, au vu du parcours de Bernard-Henri Levy. Elle ne pourrait s’expliquer que par un parti pris irrationnel. Pascal Boniface répond justement à Jean Daniel : « Certes, on peut se demander si BHL sert des causes ou s’il se sert d’elles. (...) Quasi unanimement célébré par les élites politiques et médiatiques, il est largement rejeté par le public. Tout simplement, le public est informé des différentes affabulations de BHL, de ses rapports élastiques avec la vérité, du caractère mensonger de nombre de ses affirmations. (1)
BHL est présenté par certains journalistes comme un imposteur intellectuel. Ses détracteurs estiment que sa réussite ne serait due qu’à un réseau de connaissances bien organisé. Dans un article intitulé « BHL n’est pas seulement ridicule, il est aussi dangereux », Pascal Boniface écrit : « Il est de bon ton, dans de nombreux milieux, de se gausser de Bernard-Henri Lévy et d’affecter à son égard, une indifférence ironique. L’affaire Botul - dont BHL a le culot de s’estimer victime - n’est ni sa première, ni sa dernière escroquerie intellectuelle. La carrière de BHL est faite d’affabulations et de ratés monumentaux, qu’il veuille créer un journal, faire un film, écrire une pièce de théâtre ou un livre. Il y a un écart grandissant entre l’écho médiatique qui lui est donné et la désaffection du public, qui n’est pas dupe. » (2)
BHL est également dénoncé dans l’ouvrage Les Intellectuels faussaires (éditions JC Gawsewitch, mai 2011) de Pascal Boniface. Il écrit : « En tête de liste, il y a l’influent Bernard-Henri Lévy, alias BHL le « seigneur et maître des faussaires », dont le « moralisme se mue en maccarthysme », redoutable dans l’art d’exercer le « terrorisme intellectuel », alors même que ses fiascos retentissants disqualifieraient sur-le-champ bien moins omnipotent que lui. » La prise de liberté avec la vérité et les faits inspire un reproche fait par exemple par l’historien Pierre Vidal-Naquet et par le philosophe Cornelius Castoriadis à propos de son livre Le Testament de Dieu. Dans un article du Nouvel observateur daté du 9 juillet 1979, Cornelius Castoriadis admettant sa perplexité devant le « phénomène BHL », écrivait : « Sous quelles conditions sociologiques et anthropologiques, dans un pays de vieille et grande culture, un « auteur » peut-il se permettre d’écrire n’importe quoi, la « critique » le porter aux nues, le public le suivre docilement - et ceux qui dévoilent l’imposture, sans nullement être réduits au silence ou emprisonnés, n’avoir aucun écho effectif ? Que cette camelote doive passer de mode, c’est certain : elle est, comme tous les produits contemporains, à obsolescence incorporée. » (2)
Il y a plus grave, ajoute Pierre-Vidal Naquet à la réponse de BHL, ce plagiat éhonté de BHL nous lisons : « Le Testament de Dieu n’est pas un roman ni même un pamphlet, il se veut oeuvre d’érudition et relève, à ce titre, de la critique, en gros et en détail. Mais, il y a plus grave. Bernard-Henri Lévy a parlé à mon propos de « pure et simple falsification ». C’est une expression dure à entendre pour un historien de métier et de vocation. Soit. Voyons un peu ce que nous apprend la critique des textes. Dans Le Monde du 5 janvier 1978, Bernard-Henri Lévy accorde un entretien à Gilbert Comte. On y lit ceci, qui fut dicté comme sien par le philosophe lui-même. Il s’agit de la langue française : « Je crois que la langue française est à la fois ma plus chère maladie et ma seule patrie possible. L’asile et l’antre par excellence. L’armure et l’arme par excellence. Un des lieux, en tout cas, où je me tienne en ce monde. » Beau texte. Mais une version, sans doute, « à peu près contemporaine », puisqu’elle date du 23 décembre 1941, lui fait « spectaculairement écho ». La voici : « Même si je n’étais pas un animal essentiellement français, [...] la langue française serait encore pour moi la seule patrie imaginable, l’asile et l’antre par excellence, l’armure et l’arme par excellence, le seul ’’lieu géométrique’’ où je puisse me tenir en ce monde pour y rien comprendre, y rien vouloir ou renoncer. » Il s’agit d’une lettre de Saint-John Perse, on la trouvera dans les oeuvres complètes du poète page 551. « Pure et simple falsification », avez-vous dit ? » Voilà le personnage que les médias français bien tenus adulent, lui permettant tous les outrages au point de donner des leçons, de défaire un peuple et de s’en enorgueillir d’avoir mis à mort un Arabe parce que c’est l’ennemi d’Israël. (3)
La fidélité irrationnelle de l’intellectuel Israël
Justement, Bernard-Henri Levy abdique toute rationalité quand il s’agit de défendre Israël. Alain Gresh, scandalisé par un article de BHL en janvier 2009 sur Gaza, lui répond : « Il manquait encore sa voix dans le débat. Il vient enfin de s’exprimer dans un texte exemplaire paru dans Le Point, « Libérer les Palestiniens du Hamas ». Exemplaire ? Oui, car, comme celui d’André Glucksmann, il résume tous les mensonges, toute la mauvaise foi de ceux qui pensent que, au-delà de telle ou telle erreur, la politique d’Israël doit être défendue contre ses ennemis, contre les barbares qui menacent de le submerger. BHL écrit : « Aucun gouvernement au monde, aucun autre pays que cet Israël vilipendé, traîné dans la boue, diabolisé, ne tolérerait de voir des milliers d’obus tomber, pendant des années, sur ses villes : le plus remarquable dans l’affaire, le vrai sujet d’étonnement, ce n’est pas la ’’brutalité d’Israël - c’est, à la lettre, sa longue retenue. » Alain Gresh commente : « Il suffit de comparer le nombre de morts palestiniens et israéliens (avant les combats actuels) pour mesurer la « longue retenue » ». (4)
C’est-à -dire en définitive, 1400 morts d’un côté dont 400 enfants et 13 morts de l’autre. Poursuivant plus loin sa désinformation, BHL parle de dissymétrie stratégique et morale « Dissymétrie stratégique ? conclut Alain Gresh, Incontestablement. Un dirigeant du FLN algérien Larbi Ben M’hidi, arrêté durant la bataille d’Alger en 1957 (puis assassiné), et à qui des journalistes français reprochaient d’avoir posé des bombes dans des cafés, répondait : « Donnez-moi vos Mystère, je vous donnerai mes bombes ». Dissymétrie morale ? Les punitions collectives infligées depuis des années à Ghaza sont, selon Richard Falk, envoyé des Nations unies dans les territoires palestiniens, « un crime contre l’humanité ». Que dire alors de ce qui se passe depuis... » (4)
Il y a mieux ! On apprend que le lynchage de Kadhafi fait partie de la croisade de BHL au nom des intérêts supérieurs des Juifs. Pour Bernard-Henri Lévy, la guerre en Libye était motivée, à ses yeux, par la défense des intérêts d’Israël dans le monde. Sébastien Crépel écrit : « Dernier invité de la première convention nationale organisée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le journaliste et écrivain a évoqué les raisons qui l’avaient conduit à s’engager il y a huit mois contre le régime du colonel Kadhafi. Ce fut « d’abord comme Français », mais, poursuit-il, « je l’ai fait pour des raisons plus importantes encore ». Parmi celles-ci, « la croyance en l’universalité des droits de l’homme » mais aussi, plus curieusement, « pour une autre raison dont on a peu parlé, mais sur laquelle je me suis pourtant beaucoup étendu : cette raison impérieuse, qui ne m’a jamais lâché, c’est que j’étais juif. (...) Et Bernard-Henri Lévy de préciser le fond de sa pensée : « J’ai porté en étendard ma fidélité à mon nom, ma volonté d’illustrer ce nom et ma fidélité au sionisme et à Israël. » « Comme tous les juifs du monde, j’étais inquiet. Malgré la légitime anxiété, c’est un soulèvement qu’il convient d’accueillir avec faveur : on avait affaire à l’un des pires ennemis d’Israël. » Plus contestable, en revanche, est l’enrôlement par BHL de « tous les juifs du monde » derrière la bannière du gouvernement israélien, au nom du syllogisme suivant : je suis juif, Kadhafi et Israël sont ennemis, donc je prends le parti d’Israël. (...) » (5)
En général, écrit Assouline, lorsqu’une guerre commence à pointer ses canons, Bernard-Henri Lévy rapplique ; aussitôt finie, un livre suit. On s’y fait désormais. Achevé d’imprimer en octobre dernier, alors que les images du colonel Kadhafi en pantin sanguinolent passaient en boucle sur les écrans, La Guerre sans l’aimer est très exactement ce qu’il annonce en sous-titre : « Journal d’un écrivain au coeur du printemps libyen ». En évitant le massacre de Benghazi, son entregent frénétique a raccourci la guerre d’un mois et sauvé les vies de milliers de civils. Malraux est évidemment son grand modèle annoncé dès le titre emprunté aux Noyers de l’Altenburg (« Ah ! que la victoire demeure avec ceux qui auront fait la guerre sans l’aimer ! ») et celui de la deuxième partie (« L’Espoir, carrément). Dans une adresse au peuple réuni à ses pieds sur la corniche de Benghazi, il ose sans sourciller : « Jeunesse de Benghazi, libres tribus de la Libye libre, l’homme qui vous parle est le libre descendant d’une des plus anciennes tribus du monde... » (....) » (6)
L’internet au secours de la Vérité
Devant l’à -plat-ventrisme avéré des médias devant l’ominpotence de BHL, il se trouve et c’est heureux des espaces où on peut dire la vérité. Xavier de La Porte et Jade Lindgaard font l’éloge de l’internet qui démystifie le personnage : « (...) Et c’est surtout sur la Toile, qu’il s’agisse de blogs ou de sites d’information, que Bernard-Henri Lévy fait l’objet de déminages systématiques, à chaque nouvelle publication de reportages (sur la Géorgie ou le Darfour par exemple) ou de tribunes. Car avec Internet, les règles du jeu de la parole publique ont changé. Finie la conversation au coin du feu de l’oligarchie médiatique. Moins de révérence et de connivences entre obligés appartenant aux mêmes cercles de pouvoir, politique, financier, éditorial, ou du monde des médias. Les idées se diffusent en un clic. Les citations sont gravées dans le marbre de la mémoire infinie de Google qui référence ad vitam æternam ou presque, jusqu’au supplice, les erreurs commises par les uns et les autres ». (7)
« La culture de la repasse fait voler en éclats la culture de l’impunité : n’importe quelle idiotie se regarde en boucle et s’accroche comme un boulet à la réputation de son locuteur. (...) Mais sur Internet, toute autorité - ou presque - est par principe remise en cause. Si bien que notre homme très diplômé, jeune depuis au moins quarante ans, se disant philosophe mais se tenant à l’écart de l’université où il n’est pas étudié, apparaît soudain hors sujet. Son travail consiste principalement à écrire des essais pas trop difficiles à lire et à en parler le plus possible dans les médias. Il s’exprime ainsi à la télévision en toutes circonstances Tout-terrain. Mais qui se soucie des lubies de bardes nationaux vieillissants sur le World Wide Web ? En France, BHL et Alain Finkielkraut continuent de jouer un rôle prépondérant, chacun dans son registre. Mais pour combien de temps encore ? C’est beaucoup plus grave qu’un bug : en langage internet, on appelle ça un FAIL ». (7)
Nous voulons terminer par cette Lettre ouverte adressée en 1986 à M.Bernard-Henri Lévy par le philosophe Guy Hocquenghem. « Cher Bernard, cher Henri, cher Lévy, Trois personnes en un seul dieu : pourquoi relever, te reprocher tes reniements, toi qui es, mieux qu’une girouette, une véritable rose des vents à toi tout seul ? Hauteur de l’infatuation, largeur de la surface médiatique, profondeur de la pose pour photographes ; constance dans l’inconsistance, dogmatismes alternés, tes prises de position se succèdent et se contredisent ; (...) Ton agitation interlope ne cesse de transiter entre les deux formes du reniement, de gauche et de droite. Le chantage à l’antisémitisme, au fascisme, ne t’a servi qu’à restaurer, comme seul rempart contre les mauvais instincts des foules, la théologie la plus répressive. (...) Tout, chez toi, est imaginaire.(...) Le néophilosophe concocté sous Giscard pour rallier la droite s’est retrouvé socialo sous Mitterrand. (...) Tu n’hésites pas, de Paris, à soutenir les massacres de Sabra et Chatilah. (...) Tu es ex-gauchiste sans avoir été gauchiste ; (...) L’auto-proclamation est l’arme des faibles. Tu es l’allégorie de l’impuissance à rien éprouver, à rien créer, à rien croire ni affirmer, propre à notre génération. (...) Tu considères l’admiration publique à ton égard comme un devoir du public, et tu ressentirais son manque comme une trahison. Trahison suprême qui ferait chanceler ton être, l’effacerait de l’écran ; à n’exister que pour les autres, tu dépends intimement d’eux, et tu voudrais les contraindre à te rester fidèles. Tu fais penser à ce média-man, héros du film Un homme dans la foule, qui, discrédité par la révélation en direct de ses mensonges, finit sa vie face à une machine à applaudir, (...) tu ne tiens qu’à l’applaudimètre. Et cette inexistence est inscrite en tes initiales, BHL. Tu n’as même pas de nom à toi, rien qu’un sigle, comme RATP ou SNCF. » (8)
Tout est dit ! Voilà l’imposture faite homme, un communautariste à l’indignation sélective qui continue à tétaniser son monde, voire un gouvernement embarqué dans une aventure coloniale dont on ne connaît pas l’issue.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-eud.dz