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Pas de guerre, pas de pleurs ! (Hürriyet)

"La Turquie n’est pas loin de la guerre ... préparez la guerre si vous souhaitez la paix", a déclaré le Premier ministre Recep Tayyip ErdoÄŸan comme si la Turquie était poussée vers la guerre en dépit de ses efforts pacifiques. En fait, ce n’est pas vrai, la Turquie s’est poussée elle-même à se rapprocher de la guerre en raison de sa politique syrienne. Non, ce n’est pas seulement le résultat d’erreurs de calcul du gouvernement concernant le processus syrien. Il est vrai que le gouvernement n’a pas pu comprendre la complexité de la situation, ni s’agissant de la Syrie ni de la politique régionale et mondiale en général, mais plus important encore, la Turquie a ses propres calculs concernant le changement de régime en Syrie.

En fait, les conditions semblaient en faveur d’un engagement lourd de la Turquie dans le début du processus de changement de régime en Syrie. La Turquie était désireuse d’avoir son mot à dire dans la Syrie post-al-Assad et la politique occidentale a encouragé la position de la Turquie. Puis tout a changé, mais la Turquie n’a pas changé sa position alors que les enjeux s’élevaient. La Turquie a soutenu l’Armée syrienne libre presque comme son mandataire, non seulement parce qu’elle rêvait de faire de la Syrie post-al-Assad son arrière-cour, mais aussi parce que la Turquie est obsédée par le contrôle des Kurdes dans toute la région. [1]

Maintenant, le gouvernement utilise le prétexte d’un tir de mortier syrien qui a tué cinq civils dans la ville frontalière d’Akcakale [2] afin d’intensifier la crise. Le gouvernement n’évite pas de nouvelles tensions, bien au contraire il utilise la tension pour ses propres calculs politiques. L’adoption par le Parlement turc d’une motion autorisant le gouvernement à s’engager dans des opérations militaires au-delà de ses frontières [3] est une étape inquiétante vers de nouveaux affrontements. Il a s’agit en effet d’un événement tragique, mais l’atmosphère politique en Turquie n’amène personne à douter sérieusement de la responsabilité de la politique gouvernementale qui encourage l’Armée syrienne libre à utiliser la frontière turque comme un refuge de sureté. Si la Turquie avait été préoccupée par des affrontements à la frontière pour des raisons de sécurité, elle aurait également dû avertir l’Armée syrienne libre de maintenir les affrontements éloignés de la frontière turque. En oubliant de mettre en garde l’Armée syrienne libre, la Turquie encourage les militants par tous les moyens.

D’ailleurs, personne n’est prêt à discuter de l’empressement possible du gouvernement turc d’utiliser la motion pour commencer le contrôle militaire des régions kurdes du nord de la Syrie. Lorsque les Kurdes syriens ont pris le contrôle des régions à majorité kurde de la Syrie, les analystes pro-gouvernementaux ont ouvertement suggéré au gouvernement de donner plus de soutien à l’Armée syrienne libre afin d’arrêter les Kurdes.

Il semble que la Turquie envisage d’utiliser n’importe quelle excuse [4] pour contrôler militairement le nord de la Syrie, non pas pour se prévenir du régime de Bachar al-Assad, mais dans le but de dissuader les Kurdes d’accéder à l’autonomie dans le nord. C’est pourquoi le MHP nationaliste a ardemment soutenu la motion au Parlement. Par conséquent, une fois de plus nous avons besoin de voir que la question kurde est la clé pour l’avenir d’une Turquie pacifique et démocratique, à partir du moment où la guerre à domicile nous amène à proximité de la guerre à l’étranger. La Turquie se dirige vers des turbulences au niveau national et international. Afin d’arrêter que la Turquie ne glisse vers une politique autoritaire de la "guerre à domicile et la guerre à l’étranger," nous devrons nous opposer par tous les moyens. Pas de guerre, pas de pleurs !

Source : No war, no cry !

[1] Le parlement turc vient de prolonger une nouvelle fois pour un an son accord au gouvernement à mener des opérations militaires transfrontalières en Irak tel qu’il le fait depuis 2007.

[3] Cette autorisation est valable pour une durée d’un an.

[4] Dernière excuse en date l’interception surréaliste d’un jet civil syrien en provenance de Moscou au prétexte qu’il aurait contenu du matériel militaire, allégation qui a été catégoriquement démentie par l’organisme russe titulaire du monopole des exportations militaires (BTC) cité par le quotidien russe Kommersant

[2] A en croire un éditorial du journal turc Yurt Gazetesi, ce tir de mortier pourrait être une provocation :

Provocation sanglante

Merdan YanardaÄŸ & Omer à–demiÅŸ - Yurt Gazetesi
Samedi 6 Octobre 2012

Il a été confirmé que le village syrien d’Ayn El Isa était sous le contrôle des rebelles depuis 10 jours quand des obus de mortier ont été tirés sur la ville turque d’Akcakale et tué 5 civils turcs.

On pense que des groupes terroristes (en collaboration avec le gouvernement de l’AKP) voulant attirer la Turquie dans une guerre avec la Syrie ont organisé l’attaque au mortier qui a eu lieu.

Les informations fournies par des sources syriennes ont confirmé l’absence de soldats de l’armée syrienne arabe dans la zone où les obus de mortier ont été tirés.
Les photos prises et les nouvelles rapportées par les journalistes turcs qui ont visité la région après l’événement l’ont confirmé.

Des officiels du Ministère syrien de la Défense ont déclaré dans un communiqué à notre journal :

"Il est un fait connu que la portée des mortiers est faible. Cette portée varie entre 1,5 à 3 kilomètres.

Il serait impossible que les obus de mortier tombés à Akcakale aient été tirés d’ailleurs que le village d’Ayn El Isa. Il est un fait connu que ce village a été occupé par des terroristes armés soutenus par le gouvernement turc.

L’armée syrienne arabe n’a rien à voir avec ce bombardement."

Des experts militaires turcs confirment le point de vue des autorités syriennes.
Les experts que nous avons interrogés (leurs noms ne seront pas révélés en raison de leur sécurité) ont déclaré que la portée effective des obus de mortier est de 3 km et ceci augmente la probabilité qu’ils aient été tirés à partir du village d’Ayn El Isa ou dans un endroit très proche de ce village.

Certaines sources qui sont proches de l’AKP, mais opposées à une guerre avec la Syrie ont déclaré que "la ville d’Akcakale a été frappée par une arme (un mortier) fournie par notre gouvernement", en référence au gouvernement turc de l’AKP.

"L’objectif est d’attirer la Turquie dans une guerre"

Les autorités syriennes disent que la même région a été bombardé par l’armée syrienne par air et par terre : "Ils (les rebelles) assassinent brutalement notre peuple. Ils veulent attirer la Turquie dans le conflit car ils ont compris qu’ils sont aculés et seront vaincus."

Les autorités ont indiqué que pendant la bataille de 17 mois, l’Armée arabe syrienne a choisi de créer une zone de facto tampon pour rester éloigné de la frontière turque. Cette zone tampon a été utilisée par les groupes terroristes pour échapper à l’Armée arabe syrienne.

Les obus de mortier appartiennent à l’OTAN

Des sources de renseignement syriennes ont déclaré que l’inventaire de l’armée syrienne contient des canons de mortier, mais que les obus qui ont frappé Akcakale étaient en provenance de l’OTAN.

Une personnalité très proche de l’AKP a déclaré : "Les obus tombés à Akcakale n’appartiennent pas à la Syrie".

Les rebelles armés utilisent les mêmes obus de mortier contre l’armée syrienne. Ces obus et ces canons ont été fournis aux rebelles par la Turquie et d’autres pays membres de l’OTAN. On rapporte également que ces obus de mortier ont été souvent utilisés par les rebelles dans des attaques menées en particulier à Alep et dans ses environs.

D’autre part, un expert en géopolitique Patrick Henningsen a noté que sous couvert de "représailles" en continuant des bombardements, la Turquie a déjà accru la zone de sureté pour les insurgés le long de la frontière de la Syrie avec la Turquie sur 19 km de profondeur.

COMMENTAIRES  

12/10/2012 21:00 par Nasrin

Il y a une question que l’on peut raisonnablement se poser, c’est de s’interroger sur ce qui est arrivé à Monsieur Ahmet Davutoglu ?
Voilà un très respecté professeur en relation internationales qui était quasi unanimement loué comme chef de la diplomatie turque pour sa politique dite de "Zéro problème avec le voisinage" et sur qui même les progressistes ne tarissaient pas d’éloges qui s’est muté en épouvantable va-t-en-guerre, qui non content de s’être fâché à vitesse grand V avec tous ses voisins régionaux et même au delà , se met à provoquer la deuxième superpuissance nucléaire de la planète !
N’est-ce pas pour le moins cocasse ? La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf peut-être ?
Notre ami Ahmet Davutoglu brutalement reconverti au néo-ottomanisme ferait peut-être bien de se souvenir de ce qui est arrivé à un président géorgien pour avoir tenté de jouer à ce petit jeu dangereux et comment l’oncle Sam l’a tout bonnement laissé tomber ?

12/10/2012 23:00 par anonyme

Notre ami Ahmet Davutoglu brutalement reconverti au néo-ottomanisme ferait peut-être bien de se souvenir de ce qui est arrivé à un président géorgien pour avoir tenté de jouer à ce petit jeu dangereux et comment l’oncle Sam l’a tout bonnement laissé tomber ?

C’est effectivement ce qui semble lui pendre au nez, mais ça risque de faire encore beaucoup de morts et de dégâts et pas qu’en Turquie ! C’est quand même incroyable que les mêmes scenarii (je pense aussi aux chiites d’Irak, poussés par les USA à la révolte contre Sadam, puis abandonnés à leur destin après la première guerre du golfe) puissent se répéter comme ça de conflit en conflit, sans que les intermédiaires utilisés ne semblent jamais se douter de ce qui les attend !

13/10/2012 11:53 par Nasrin

Plus de 48 heures après le détournement pour le moins saugrenu et périlleux du vol Moscou Damas, l’heure est au rétropédalage dans la presse chauvine et belliciste turque, c’est désopilant.
Après les rodomontades et les roulements de tambours, on tente plutôt piteusement de minimiser l’incident maintenant !
On peut lire des papiers s’interrogeant sur une possible dégradation des relations avec le grand voisin russe, mais qui adoptent la méthode Coué en en écartant tout risque...
On en lit d’autres nous apprenant que les actes de piraterie aérienne caractérisée ne sont pas si rares que cela et qu’il n’y a peut-être pas matière à en faire tout un plat...
En attendant le grand voisin russe attend toujours une explication officielle circonstanciée et ne donne pas du tout l’impression de vouloir oublier cet "incident"...
Alors maintenant que nos amis turcs ont mis leur armée en état d’alerte maximum, massé des centaines de blindés et de l’artillerie lourde à la frontière syrienne, rapatrié des douzaines d’avions de chasse dans cette région, réquisitionné les radars du dit bouclier antimissiles US pour la circonstance, que vont-ils nous pondre maintenant nos nouveaux Sultans ?

13/10/2012 19:41 par Nasrin

Ceci dit je m’étonne un peu que sur un site comme LGS un message pacifiste comme celui de notre amie Nuray Mert suscite si peu de commentaires, pas sûr que nos amis turcs - encore assez nombreux en Europe de l’ouest - se sentent très soutenus dans ces temps difficiles, peut-être apprécieraient-ils quelques message de solidarité ou à défaut au moins quelques signes d’intérêt ?

14/10/2012 10:07 par anonyme

A Nasrin,
Ce n’est pas forcément par désintérêt que l’on s’abstient de commenter un article : ça peut être parce qu’on n’a rien à y ajouter, parce qu’on a plus à en apprendre qu’à en dire.
A contrario, les articles les plus commentés sont assez souvent aussi les plus controversés.
Pour ma part, j’ai lu l’article de Nuray Mert ; je l’ai lu comme le point de vue d’une femme turque sur la politique actuelle du gouvernement de son pays, et c’est à ce titre qu’il m’intéresse. Je n’ai pas de commentaire à faire à ce sujet, j’ai à découvrir. Ce que j’aimerais c’est que d’autres points de vue s’expriment (en français) pour que je puisse me faire une idée plus précise de ce que pensent les citoyens turcs, en dehors des militants du PKK qui s’expriment assez régulièrement sur Bellaciao.

14/10/2012 13:28 par Nasrin

Une enquête d’opinion effectuée par l’institut Metropol (considéré comme étant proche de l’AKP) a trouvé 76% d’un échantillon de 3 000 personnes, opposés à une intervention militaire unilatérale contre la Syrie, et 58% qui y seraient opposés même en cas de support de l’OTAN, enquête effectuée du 14 au 19 septembre 2012. (Source Eurasia Review)

14/10/2012 15:23 par anonyme

Merci pour l’info, Nasrin, et vive le peuple turc !

15/10/2012 12:56 par Nasrin

Nuray Mert en remet une couche dans le quotidien turc Hürriyet : Will we "˜go it alone’ ?

15/10/2012 21:16 par Nasrin

"La Turquie ne veut pas que nous soyons partie aux changements au Moyen-Orient... La Turquie a peur des changements dans la région. Ils ont peur que les Kurdes se réveillent et se soulèvent aussi, comme le reste de la population du Moyen-Orient...
Il n’y a pas de combattant du PKK à l’intérieur de la Syrie. C’est de la propagande turque. Pour autant que je sache et je suis la situation syrienne de très près, il y a des forces du Partiya Yekîtiya Demokrat (PYD - NdT : parti kurde syrien) dans cette région, mais elles ne coopèrent pas avec le régime ou les forces gouvernementales. Le PKK est une organisation qui veut la paix et la démocratie dans la région. Il se bat pour la paix depuis 40 ans. Il est en faveur du changement et de la démocratie en Syrie. Mais il n’accepte pas l’ingérence turque en Syrie. C’est le problème principal...
Il y a de nombreux partis politiques kurdes à l’intérieur de la Syrie et ils ne coopèrent ni avec le gouvernement syrien ni avec l’opposition, ils ont choisi une troisième voie médiane. Par exemple, à Alep, les Kurdes ont décidé de rester en dehors de la lutte, parce qu’ils voient que l’opposition en Syrie est soutenue par la Turquie. L’opposition n’a pas reconnu les droits des Kurdes. Ils ne sont pas parvenus à un accord. Alors, les Kurdes en Syrie ont décidé de rester neutres. Mais ils veulent aussi le changement... De manière générale, si l’opposition reconnaissait les droits des Kurdes dans cette région, alors ils pourraient se joindre à l’opposition là -bas...
Actuellement les Kurdes dans la région ne livrent aucune bataille ni n’y participent parce que leur but n’est pas de renverser le régime de Damas. Ils veulent juste avoir leurs propres droits naturels. Telle est la réalité kurde... Nous voulons une révolution et nous sommes aux côté de la révolution. Mais nous croyons à une manière différente de réaliser la révolution. Nous ne soutenons pas le régime, nous sommes du côté du changement et de la démocratie...
La région se dirige vers une guerre sectaire. C’est très dangereux. Nous n’allons pas nous impliquer dans une confrontation sunnite / chiite. Les Kurdes resteront neutres. Nous aimerions voir des politiques constructives. La Turquie tente de tordre notre position. Parce qu’ils veulent en finir avec le PKK et que nous devenions une cible dans la guerre actuelle...
C’est une voie vers la démocratie et la liberté qui a commencé en Tunisie et en Egypte. Nous prendrons part à ce processus. Les Kurdes ne seront l’armée de personne. Nous devons rester indépendants et travailler avec le peuple. Nous serons du côté de la démocratie, si l’Occident apporte la démocratie nous y prendrons part. Mais si l’Occident a des objectifs cachés alors nous n’y prendrons pas part. C’est ce à quoi nous nous préparons...
C’est le moment de mettre fin à ce genre de régimes. Tôt ou tard, ils vont tomber. Mais l’usage de la force seule ne fera qu’empirer la destruction actuellement et plus tard. Le changement est un impératif et Bachar al-Assad ne devrait pas insister à rester au pouvoir."
Murat Karayilan, leader du PKK.

16/10/2012 20:04 par Eric

étonnant cette déclaration loin d’être neutre alors qu’Ocalan pense et dit tout le contraire.
Eric Colonna

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