La prise en compte politique de la population dans sa dimension biologique s’est développée dans les Etats européens au cours des 18e et 19e siècles. Les questions de santé, de natalité, d’hygiène y étaient au cœur des politiques publiques. C’est ce que Michel Foucault désigne du nom de ¨biopolitique¨ dans ses cours dispensés au Collège de France de janvier à mars 1979 ayant pour titre ¨Naissance de la biopolitique¨. Dans ce cours qui demeure d’actualité, Foucault décrit l’émergence de la ¨biopolitique¨ comme contemporaine d’une nouvelle manière de gouverner, le libéralisme, qui tente de prendre en compte le vivant au delà de sa naturalité. Comment gouverner la population inscrite dans une essentialité ? Y-a-t-il une limite au pouvoir politique sur le vivant ? Ces questions sont traitées dans la revue Raisons Politiques dont le dossier est consacré aux « néolibéralismes de Michel Foucault ».
Ce dossier interroge l’analyse foucaldienne du libéralisme. Foucault remonte jusqu’au 18e siècle pour cerner la singularité du libéralisme et ses différentes évolutions au 20ème siècle, le néolibéralisme. A noter que le libéralisme dont parle Foucault n’est ni une doctrine, ni une idéologie, mais plutôt une ¨gouvernementalité politique¨, c’est –à-dire ¨un art de conduire la conduite des autres¨. Cette gouvernementalité politique requerrait des principes de limitation pour éviter des excès de pouvoir et ne pas tomber dans le totalitarisme. Le libéralisme tel que le pense Foucault attribuerait au marché ce rôle de limitation. Ce qu’il ne va pas cesser de critiquer. Ce qui n’empêche pas certains contributeurs de ce dossier de repérer dans ces analyses foucauldiennes ¨des potentialités émancipatrices du néolibéralisme¨, selon l’expression du philosophe Maurizzio Lazzarato.
Quel rapport avec le capitalisme ? Cette question est traitée dans les deux premières contributions de la revue. Selon le philosophe Pierre Dardot, les analyses du libéralisme de Foucault nous proposent une autre méthode de compréhension du capitalisme, à partir du néolibéralisme. Au lieu de partir d’une certaine essence du capitalisme, poursuit Dardot, mieux vaut partir d’une analyse détaillée du néolibéralisme. Selon Dardot, Foucault nous explique ¨le capitalisme à la lumière du néolibéralisme¨. Quant au philosophe Stéphane Haber, il examine dans quelle mesure le néolibéralisme pensé par Foucault peut être considéré comme une phase du capitalisme. C’est pourquoi il va rapprocher le néolibéralisme d’un néocapitalisme, tout en partageant l’idée de Pierre Dardot selon laquelle il y aurait une pluralité de ¨capitalismes¨. Paradoxalement, tous deux reconnaissent qu’il y a des traits globaux et des phénomènes communs à tous ¨ces capitalismes¨, puisque, comme le soutient Haber, ¨tout n’est pas dispersif et chaotique¨.
Le dossier se termine par un article du philosophe Luca Paltrinieri qui analyse le rapport entre l’économie et la démographie dans la biopolitique foucaldienne en passant par une analyse de la notion de capital humain. Geoffroy de Lagasnerie, sociologue et philosophe, fait de cette recherche sur le libéralisme de Foucault l’¨une des incarnations contemporaines de la tradition critique¨. L’ensemble de ce dossier met en valeur les critiques de Foucault envers le libéralisme et le néolibéralisme, pour contribuer à mieux comprendre notre monde contemporain profondément marqué par un capitalisme mondialisé.
Les néolibéralismes de Michel Foucault, Raisons politiques, novembre 2013, éditions SciencesPo, 169 pages, 20 euros.
Jean-Jacques Cadet
Doctorant en philosophie