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Mexique : La nuit silencieuse de Tlatelolco

Le 2 octobre 1968, des centaines de manifestants étaient massacrés sur la place de Tlatelolco, à Mexico. Un événement longtemps passé sous silence. Et pour cause, un rapport datant de 1975 révèle que la CIA et le FBI étaient impliqués…

« Ils sont beaucoup. Ils viennent à pied, le sourire aux lèvres […] Des jeunes étudiants et étudiantes qui, bras dessus bras dessous, vont à la manifestation avec la même joie que quand ils allaient à la foire il y a quelques jours à peine. » Les premières phrases de La Noche de Tlatelolco d’ Elena Poniatowska résonnent comme un chant d’allégresse. Un chant à la gloire de cette jeunesse volontaire version années 60 qui, un peu partout dans le monde, a marqué l’Histoire avec ce qui lui passait par la main. Mais l’Histoire, au Mexique, a pris un autre cours.

C’était le 2 octobre 1968, dix jours avant les Jeux Olympiques de Mexico. La ville avait connu deux mois de manifestations estudiantines, toutes sévèrement réprimées, mais ô combien mobilisatrices : 180000 manifestants s’étaient rassemblés au plus fort du mouvement. A l’époque on protestait pour tout et son contraire ; on voulait plus de liberté, plus de reconnaissance et, comble d’ironie, on voulait que prenne fin la répression policière. Nobles causes pour un pays dont l’Histoire est jalonnée de long en large de dictatures et d’exterminations. Nobles causes. Sauf que…

Bruits de blindés

Sauf qu’à l’époque le président s’appelait Gustavo Diaz Ordaz, un homme rigide et peu enclin aux atermoiements. Un homme dont l’expression faciale était hermétiquement dissimulée sous deux culs-de-bouteille opaques. Un homme du PRI (Partido Revolucionario Institucional), un parti resté au pouvoir de 1929 à 2000, le temps d’apporter au Mexique un visage dont il ne se débarrassera jamais vraiment : exécutions sommaires, disparitions mystérieuses et faits de corruption dont la liste serait trop longue à dresser. Autant dire que Diaz Ordaz, comme son parti, n’était pas du genre à apprécier la contradiction.

Et c’est ainsi que, ce 2 octobre 1968, sur la Place des Trois Cultures, ou Place Tlatelolco, les vrombissements des blindés se sont mêlés aux voix des manifestants, de loin d’abord, puis de très près soudain. Alors les détonations de mitraillettes tirant en l’air ont couvert les bruits des godillots usés des étudiants. Trois bataillons de l’armée ont encerclé la foule, qui ne s’est pas arrêtée de clamer ses slogans pour autant. Alors les agents infiltrés, en civil, ont fait ce qu’ils avaient à faire. Diana Rivera avait quinze ans à l’époque des faits. Elle était présente à Tlatelolco le 2 octobre 1968. Dans une interview accordée à la revue mexicaine De Verdad, elle raconte : « Les soldats ont bloqué la zone et nous sommes restés derrière les tanks. Des jeunes gens qui fuyaient nous ont dit : « Ils sont en train de tuer tout le monde. » On pouvait entendre les coups de feu et sentir la poudre. » A ce moment, raconte-t-elle, l’on croyait encore que les tirs étaient ciblés sur les leaders politiques. C’est en apprenant que son jeune frère de 15 ans était lui aussi tombé sous les balles de l’armée que Diana a compris la gravité des événements.

D’ailleurs, les « événements », c’est ainsi qu’on a surnommé ce qui s’est passé ce jour-là, comme on parlait d’ « événements » en Algérie pour ne pas évoquer la guerre. Amour de l’euphémisme. Pendant longtemps, aucune image de la tuerie n’a filtré. Il faut dire que le gouvernement Diaz Ordaz faisait en sorte que Tlatelolco soit passé sous silence, comme un secret honteux qu’on voudrait oublier au plus vite. « La peur de la répression était telle que même les familles de victimes se sont tues », raconte la journaliste BeatrizMuñoz.

Photos compromettantes

Mais les secrets sont faits pour être ébruités. D’abord un chiffre a été annoncé par le Comité National de Grève : 500 morts ; puis un autre : 6000 disparus. Alors, en 1976, dans un débat filmé, Diaz Ordaz a évoqué la légitime défense. « Des étudiants ont ouvert le feu sur les soldats et sur leurs propres compagnons. L’armée n’a fait que riposter », a-t-il déclaré.

Mais en l’an 2000, le parti d’opposition, le PAN, a gagné les élections. Alors, les archives de la police sont apparues au grand jour. Des photos en particulier, sur lesquelles apparaissent soldats et policiers près de tas de cadavres ou de jeunes gens nus, le visage en sang, alignés contre un mur. Des vidéos aussi, pour la plupart tournées par les riverains de la Place des Trois Cultures. On y voit le début de la manifestation et l’arrivée de policiers en civil tirant au hasard sur la foule, rapidement rejoints par les trois bataillons de l’armée évoqués plus haut. Ces images seront rassemblées en un documentaire : Tlatelolco, la claves de la massacre.

Les clés du massacre, justement. Pour comprendre la portée politique des événements de Tlatelolco, il faut se pencher méticuleusement sur les archives de l’époque. Un travail qu’ont su produire journalistes et documentalistes chevronnés. Il n’en fallait pas moins. Avec un peu d’attention, ils ont découvert que Diaz Ordaz ne travaillait pas seul. Comme souvent dans l’Histoire du Mexique, le voisin du nord était intervenu. La revue mexicaine Excelsior a publié il y a peu les conclusions d’un rapport de la CIA daté de 1975, selon lequel Diaz Ordaz travaillait de concert avec les services secrets américains depuis le début de son mandat. Selon la même source, la CIA envoyait des rapports tous les jours à Diaz Ordaz en vue de l’élimination pure et simple des leaders révolutionnaires.

Autre découverte d’Excelsior : la participation directe de la CIA et du FBI dans la répression de 1968. Extrait : «  En 1968, l’activité terroriste du FBI s’intensifia en vertu d’une amplification des opérations de contre-intelligence au Mexique. » Et plus loin : « Selon un mémorandum du président Hoover, il est impératif de préserver à tout prix sa couverture. »

Notons que le mouvement estudiantin s’est attelé à dénoncer systématiquement l’intervention d’agents infiltrés de la CIA. A cette époque se sont multipliés disparitions, séquestrations et attentats à la sortie des universités, des pratiques qui sont depuis revenues au goût du jour. Car Tlatelolco fut un peu un préambule au Mexique moderne, dans toute sa beauté, sa vaillance et sa violence. Aujourd’hui, la jeunesse mexicaine continue de chanter au milieu des ruines de Tlatelolco. Comme ses aînés de 1968, elle veut plus de liberté, plus de reconnaissance et moins de répression policière. Souhaitons-lui bonne chance, elle en aura besoin : cette année, après douze ans d’absence, le PRI est à nouveau à la tête du pays.

M.C.

pour l’Audible http://journal-audible.org/

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Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

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