RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Mai 68 mondain contre mai 68 social

Les commémorations officielles des 40 ans de mai 68 doivent beaucoup à Nicolas Sarkozy.

En affirmant qu’il voulait « liquider mai 68 » celui-ci a en effet réveillé une envie de vérité sur ce que fut la plus grande grève générale de l’histoire de France et peut-être du monde. Après tout, vouloir en liquider le souvenir, c’est le meilleur hommage à lui rendre : cela prouve que 40 ans après, mai 68 est encore présent au point qu’il obsède encore l’actuel président, la droite, le patronat, ses caisses noires.

Du coup les commémorateurs médiatiques officiels, ayant senti le danger, ne présentent plus mai 68 que sous son jour mondain, historiquement déformé, dénaturé. On a droit aux Serge July, Daniel Cohn-Bendit, Laurent Joffrin, Romain Goupil sans souci de leur trajectoire inversée. Serge July explique que « mai 68 c’est la dernière grande grève du XIX° siècle ».

Cohn-Bendit répète « Oubliez Mai 68 ». Joffrin fait un journal droitier qui se prétend indûment l’héritier de mai 68. Goupil approuve l’intervention de Bush en Irak avec l’autre soixante-huitard Bernard Kouchner passé de l’autre coté de la barrière. France inter organise le 22 mars, entre la Sorbonne et l’Odéon, une journée avec tous ces gens là sans même donner la parole à un seul syndicaliste. Ladite journée se conclut par le « téléphone sonne » consacré à un vieux débat entre Albin Chalandon et Jean-Jacques Servan-Schreiber, revu et commenté par Laurent Joffrin. On a vu des télés laisser monopoliser la parole sur mai 68 par des Max Gallo, Glucksman père et fils, et autres Tillinac.

En fait Nicolas Sarkozy ne veut pas « liquider » le mai 68 mondain, il orchestre même sa mise en médias : n’a t il pas pris Kouchner le va t"en guerre extrémiste, dans son gouvernement ? Un tiers mondiste, deux tiers mondains ? Non, ce qu’il craint c’est le mai 68 social, pas celui des étudiants mais celui des 9 à 11 millions de grévistes.

Tout le monde aurait oublié les étudiants, les barricades de Gay-Lussac, s’il n’y avait pas eu l’immense grève générale salariale.

Par exemple, je suis allé manifester aux côtes de Rudy Dutschke à Berlin en février 68 : le mouvement étudiant allemand était beaucoup plus fort que le mouvement étudiant français, mais personne ne s’en souvient car il n’y a pas eu de mouvement du salariat allemand de l’ampleur du mai 68 français.

Mai 68 ce n’est pas résumable aux barricades étudiantes !

D’ailleurs les premières barricades de 1968 sont ouvrières : fin janvier 1968 c’est à Caen qu’elles commencent pendant huit jours avec des manifestations à répétition, barricades et grèves de jeunes ouvriers de la Saviem, de Ferrodo, de Moulinex, qui mettent la ville en état de siége.

Mai 68 est le produit d’un long processus de luttes sociales qui commence en 1963 avec la grève des mineurs qui, en trois mois, en dépit de la réquisition de de Gaulle, finit par obtenir le 5 avril, 11 % d’augmentation de salaires. C’est un signal déclencheur pour quatre ans de luttes montantes, le nombre de jours de grèves, de grévistes, la durée des grèves, les formes de luttes vont aller croissantes… En 1966 et 1967, il y a deux « 17 mai », deux journées nationales d’action unitaires CGT, CFDT, FO, FEN massivement suivies contre les ordonnances anti-sécurité sociale de Georges Pompidou. Elles mobilisent deux fois 1 à 2 millions de personnes. En mars 1967, aux élections législatives, la gauche manque la majorité au Parlement d’un seul siége. Dans ces années-là , les conflits célèbres et durs se multiplient comme à Redon ou à Rhodiaceta.

Les signes annonciateurs sont là  : seul un journaliste du Monde comme Pierre Viansson-Ponté ne les voit pas, il écrit en février « la France s’ennuie » alors que la France entière est prête à exploser.

Au début l’explosion n’est en effet qu’un mouvement radical de la jeunesse scolarisée, qui porte à la fois des questions universitaires et scolaires et anti hiérarchiques. Cela occupe le terrain d’avril à début mai, avec l’apogée de la « nuit des barricades » du 10 mai. Mais tout bascule surtout les 15, 16 et 17 mai, quand une vague sans précédent profite de l’occasion pour parcourir tout le pays : de Sud-Aviation à Renault-Cléon, dans toutes les entreprises du pays, par millions, tous les salariés entrent dans un vaste mouvement de grève prolongé pour les salaires, les conditions de travail, la durée du travail. C’est ce qui provoque la crise du régime sur le point se s’effondrer. Le général de Gaulle ne comprend rien à ce qui se passe, il ordonner la répression et même de tirer sur la foule, n’est même pas suivi par son premier ministres et ses préfets, à en douce, va chercher l’armée, puis revient, et profitant de l’incapacité de la gauche à se mettre d"accord, à demander des élections, à proposer une issue politique, prend le premier l’initiative de dissoudre l’assemblée nationale.

Pendant ce temps-là , le gouvernement Pompidou négocie et fait d’importantes concessions de salaires, d’amélioration de conditions de travail, de droit syndical, de promesses de réduction de la durée du travail à Grenelle. Bien que les avantages soient grands, les salariés estiment n’en avoir pas assez et continuent trois semaines de plus, par millions, la grève…

C’est la plus grande grève de l’histoire de France et sans doute du monde. Tous sont touchés, industrie et services, métallos, chimistes, cinéastes, gardiens de musée, joueurs de foot, chirurgiens dentistes ou infirmières, enseignants et gardiens de prison. Partout un véritable soulèvement social massif effraye le patronat.

Au point que 40 ans après, la force propulsive de mai 68 n’est pas épuisée.
Mai 68, en fait, c’est la première grande grève du XXI° siècle.

On n’a cessé d’en revoir le scénario, en mars 1973 contre la loi Debré, en 1976 et 1979 à l’université et dans la sidérurgie, en 1986 avec la mort de Malik Oussekine, le retrait du plan Devaquet et la grande grève qui a suivi, en 1994 avec la grande manifestation contre Bayrou et celles contre le CIP, en novembre décembre 1995 contre le plan Juppé, en 2003 contre les scélérates lois Fillon contre les retraites, en 2006 contre le CPE…

La vie sociale profonde de notre vie rete encore structurée par les effets profonds de la grande grève de mai 68. La victoire de la gauche en 1981 est un effet différé de mai 68. La victoire de Lionel Jospin en 1997 est un effet différé de nov-déc 95.

C’est cela qui effraie Sarkozy et lui a fait défier, calomnier, dénaturer mai 68 : il a raison car c’est une grande grève générale de ce type qui stoppera l’ensemble de la politique intégriste, néo libérale réactionnaire qu’il met en oeuvre depuis cinq ans.

A nous d’y travailler dans l’unité de toute la gauche !

Gérard Filoche, le 31 mars 2008

Auteur de "mai 68 histoire sans fin, liquider mai 68, même pas en rêve" Ed. JC Gawsevitch 480 p 23 euros

gerard.filoche@wanadoo.fr

site : www.democratie-socialisme.org

URL de cet article 6284
  

Même Auteur
Les caisses noires du patronat
Gérard FILOCHE
A quoi servent les 600 millions d’euros des caisses noires du patronat, et où vont les 2 millions d’euros distribués chaque année en liquide par l’UIMM et le Medef ? Gérard Filoche dénonce ce scandale du siècle au coeur du patronat français. Il soulève toutes les questions posées par ce trafic d’argent liquide qui circule depuis si longtemps au Medef et montre comment le patronat se servait de cette caisse anti-grève pour briser la fameuse concurrence libre et non faussée. Denis Gautier-Sauvagnac, (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Nous possédons 50% des richesses de la planète, mais seulement 6% de sa population. Dans cette situation, nous ne pouvons éviter d’être l’objet d’envies et de jalousies. Notre véritable tâche dans la période à venir sera de créer un tissu de relations qui nous permettra de faire perdurer cette inégalité.

Département d’Etat Etats-Unien - Planning Study #23, 1948

Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.