Lors d’un événement hier soir au Georgetown Law Center, les nouveaux avocats de Chelsea Manning ont donné un aperçu de ce qu’ils comptent faire au procès en appel de son procès militaire.
Nancy Hollander, une avocate de la défense qui a défendu diverses personnes accusées de terrorisme ou d’atteintes à la sécurité nationale, et Vincent Ward, un ancien avocat de la JAG (Judge Advocate General Corps) avec un parcours dans le système de justice militaire, ont tous deux déclaré qu’ils étaient au « commencement » de l’appel. Ils n’ont pas encore examiné le dossier du procès de Manning, cependant, ils voulaient offrir au public, spécialement aux soutiens de Manning, l’occasion d’exposer leurs réflexions sur le processus judiciaire qui l’attend.
Le « détournement de la loi sur l’espionnage », « la sur-classification de l’information », la poursuite sélective d’individus par le gouvernement pour des fuites, « l’influence d’ordres illégaux », « la répression préventive illégale » et les violations des « droits à un procès rapide », toutes ces questions seront soulevées au cours du procès en appel.
Hollander a affirmé que les condamnations de Manning pour avoir violé la loi sur l’espionnage (Espionage Act) constituent un « dangereux précédent ». Elle a ajouté : « si ce procès a lieu, avec quelques autres affaires récentes, quiconque fuit une seule page d’une information classifiée ou même d’une information non-classifiée encourt le risque d’une poursuite en vertu de cette loi ».
« La loi sur l’espionnage a été conçue pour punir les espions et les saboteurs et les gens qui volent des choses aux Etats-Unis et les remettent à des pays étrangers pour le bénéfice de ces pays ou pour nuire sciemment aux Etats-Unis. Elle n’a jamais été conçue pour les lanceurs d’alerte. Elle ne devrait jamais être utilisée dans ce genre d’affaire », a-t-elle déclaré.
« C’est effrayant que la loi sur l’espionnage soit essentiellement devenue un crime de responsabilité stricte, que l’intention requise soit l’intention de divulguer et nous ne pouvons simplement pas laisser cela continuer. » Et « le manque d’intention criminelle est franchement horrible de mon point de vue d’avocate, que Chelsea soit condamnée et passe 35 ans en prison sans aucune responsabilité pour le gouvernement, que ce soit pour prouver qu’elle avait l’intention ou avait des raisons de croire que cette divulgation nuirait aux Etats-Unis ou avantagerait un gouvernement étranger ».
Hollander a attiré l’attention sur la sur-classification de ce que le gouvernement nomme « la sécurité nationale de l’information », notant même que les « réflexions, les perceptions et les observations » (y compris de leur propre torture) des prisonniers à Guantanamo Bay ont été classifiées par le gouvernement.
« Ce genre de sur-classification est mauvaise. C’est illégal. C’est une violation de l’ordre exécutif qui créé des informations classifiées. Le gouvernement ne peut pas classifier l’information uniquement pour se protéger de tout embarras. C’est vrai pour l’ordre exécutif et c’est exactement ce qu’il fait de plus en plus ».
Hollander a même mis en avant qu’en qualifiant de plus en plus les informations de « sécurité nationale » et en s’engageant dans le sur-classement, le gouvernement étendait encore plus « la portée de la loi sur l’espionnage ». Cela réduit aussi sa responsabilité à prouver que quelqu’un a violé la loi.
« La loi sur l’espionnage est une loi draconienne. Elle n’a pratiquement jamais été utilisée dans l’histoire de ce pays. Et elle est plus utilisée par cette administration que par l’ensemble de ses prédécesseurs. Elle doit cesser si nous voulons avoir une liberté de parole, si le Premier amendement existe vraiment », a-t-elle ajouté. « Nous ne pouvons pas poursuivre des gens qui nous disent ce que notre gouvernement fait et rester une société libre ».
Hollander a suggéré que Manning avait déjà été assez punie. « Les mois d’isolement étaient exorbitants. Ils étaient inutiles. Ils étaient complètement punitifs. Aucun autre pays dans le monde n’utilise l’isolement comme nous le faisons ; certainement aucun pays européen », et elle a ensuite déclaré : « Il détruit l’esprit. Il détruit le corps et il n’était aucunement justifié dans ce cas ».
Ward, lors de sa présentation, a attiré l’attention sur le temps que Manning a passé en détention préventive avant même d’être inculpée. « Elle n’a pas passé des jours mais des mois et des mois et des mois à attendre une accusation tandis que l’armée cherchait à trouver de quoi l’accuser. »
Il avance que l’article 10, une partie de l’Uniform Code of Military Justice (UCMJ), accorde aux soldats des droits « plus importants que le Sixième amendement quand il s’agit d’un procès rapide ».
En ce qui concerne « l’ordre illégal d’influence », il affirme qu’il est « très controversé » qu’un commandant ait le niveau de contrôle qu’il a généralement sur un procès. Il n’y a aucun pouvoir discrétionnaire parce que cela appartient à un commandant militaire. Ainsi, l’appel toucherait le cœur même du système militaire.
Ward a également fait valoir que « Le rôle de la justice militaire est de promouvoir le bon ordre et la discipline ». Et donc, je crois que l’une des tensions dans le système militaire est que cette notion que l’Uniform Code of Military Justice existe dans le but de maintenir le bon ordre et la discipline, qui, par définition, semble être en opposition avec le droit à une procédure régulière. Maintenant, croyons-nous vraiment qu’une peine de 35 ans est nécessaire pour maintenir le bon ordre et la discipline dans l’armée ? ».
Manning est actuellement emprisonnée à Fort Leavenworth au Kansas. Elle a été créditée de 1162 jours de détention préventive et de 112 jours pour « punition préventive illégale » par la juge militaire pendant son procès en cour martiale.
Techniquement, Hollander et Ward ne peuvent pas encore prendre de mesures sur l’affaire (lancer l’appel – NDT). Le major-général Jeffrey Buchanan, l’autorité de convocation (Convening Authority) [commandant général des cours martiales – NDT] dans ce cas examine toujours le dossier du procès et sa réponse à la décision de la cour. L’autorité de convocation peut choisir d’annuler ou de modifier la sentence et quand ce sera fait, le dossier sera transmis pour examen en appel. (Kevin Gosztola fait allusion au processus de demande de clémence dont la réponse est tombée dans la soirée de lundi 14 avril. Jeffrey Buchanan a en effet rejeté la demande de clémence et confirme ainsi la sentence à 35 ans de prison de Manning. Le rejet lance automatiquement le processus d’appel conformément au Uniform Code of Military Justice. Son cas sera donc transmis au Army Court of Criminal Appeals. [cour d’appel militaire] Lire http://www.liberation.fr/monde/2014/04/14/wikileaks-l-armee-americaine-refuse-sa-clemence-au-soldat-manning_997604 - NDT).
« Nous avons un très long chemin à parcourir et une bataille difficile à mener », a déclaré Hollander aux partisans de Manning. « Cet appel prendra beaucoup de temps. Nous avons un tas de tribunaux pour réussir. Nous avons deux cours d’appel. Nous avons la Cour suprême des Etats-Unis. Nous avons un cas possible d’habeas (corpus – NDT). Nous resterons sur cette affaire jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de tribunaux et nulle part où aller au nom de Chelsea ».
Avec ses plus de trente ans d’expérience pratique comme avocate de la défense, Hollander a rappelé avoir donné des discours sur le Premier amendement ou sur le Quatrième amendement et reconnaît qu’à chaque fois les droits des Américains ont été bafoués. Mais l’un des droits que le gouvernement n’est pas parvenu à malmener c’est le droit d’être représenté par un avocat.
« Chelsea a le droit d’avoir un avocat qui s’interpose entre elle et la puissance impressionnante de son propre gouvernement et ce gouvernement lance tout ce qu’il a contre elle », a-t-elle conclu. « Vincent et moi, nous nous interposerons entre le gouvernement et Chelsea. Et il devra nous passer dessus pour l’avoir. C’est la position que nous prendrons ».
Kevin Gosztola
Traduction : Romane