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Ni l’Ecole, ni les enseignants ne souhaitent être « refondés »

Les directions syndicales veulent faire revoir sa copie au gouvernement, les mobilisations, elles, veulent lui coller un zéro pointé

Le système scolaire français est de plus en plus inégalitaire selon l’étude PISA publiée par l’OCDE. « L’enseignement de cette enquête, a déclaré François Hollande, c’est que quand l’éducation fait les frais des ajustements budgétaires, c’est le niveau qui baisse et avec lui la capacité de notre école à réduire les inégalités ». Et que proposent Hollande et son ministre, Vincent Peillon, pour construire l’école de l’égalité ? Les gouvernements successifs de droite et de gauche ont mis en œuvre une politique de détérioration des conditions d’études pour les élèves et des conditions de travail pour les enseignants et les personnels. Sarkozy a accéléré les « réformes » et sabré dans les effectifs. Les socialistes, eux, proposent une série de mesures accentuant la casse de l’Éducation nationale, avec l’objectif de les faire passer une à une, dans la concertation et le dialogue avec les directions syndicales.

Rhythm’n’blues

Depuis des mois, les enseignants du primaire se mobilisent contre le décret sur les rythmes scolaires, craignant une dégradation du système éducatif. À la rentrée 2013, 4.000 communes ont appliqué cette réforme, soit 20% des écoles. Aujourd’hui l’application de cette mesure confirme les craintes. Dans les écoles où le décret est mis en place, enseignants, élèves et animateurs sont confrontés à une dégradation des conditions d’étude et de travail. Alors que la réforme avait pour ambition de réduire des journées jugées trop longues pour les enfants. Le premier constat est que la journée des élèves se rallonge et qu’ils ne sont pas plus reposés qu’avant, que les enseignants voient leur temps de travail augmenter sans revalorisation salariale, que les services des enseignants remplaçants se voient annualisés, remettant en cause leurs statuts et que pour les activités périscolaires, les communes, faute de moyens ont recours au travail précaire.

La réforme des rythmes est liée, en réalité, à une remise en cause du cadre national de l’enseignement public.
Les enseignants et les enseignements deviennent soumis aux différentes instances décisionnelles locales dans le cadre des projets éducatifs territoriaux (PEDT). Le projet de loi pour la refondation de l’école prévoit que les activités périscolaires soient organisées dans le cadre des PEDT. Ceux-ci sont élaborés à l’initiative de la collectivité territoriale et associent les différents acteurs intervenant dans le domaine de l’éducation. Les PEDT doivent « s’ouvrir à l’ensemble des temps scolaires, péri-scolaires et extra-scolaires de la maternelle au lycée » (circulaire mars 2013) et les enseignants ont pour mission de lier des partenariats sous la tutelle des collectivités territoriales.
Ainsi, par le biais des PEDT, ce sont les instances locales qui organisent le temps scolaire, ouvrant grand la porte à une aggravation des inégalités entre écoles et entre communes. Les activités péri-scolaires étant financées par les communes et sachant que les budgets qu’elles allouent aux écoles varient de 1 à 10, elles n’ont pas ou ne donneront pas toutes les mêmes moyens pour les mettre en place. Ce que le gouvernement Ayrault accroît délibérément, alors qu’elles sont déjà colossales, ce sont les inégalités entre les écoliers des communes riches et pauvres.

Quand Total rentre dans la danse

Comment le gouvernement compte-t-il financer sa réforme des rythmes à l’heure de l’austérité ? Un exemple très concret, dont peu ont fait la publicité, vient de se présenter : dès la rentrée 2014, certaines activités péri-scolaires, instaurées par la réforme des rythmes, seront financées par Total. L’entreprise a signé un accord-cadre début juin avec le ministère de la Jeunesse et des Sports prévoyant un « financement des activités culturelles en dehors du temps scolaire, notamment pour accompagner la réforme des rythmes éducatifs dans le premier degré ».
Sur 16,7 millions d’euros destinés aux fonds d’expérimentation pour la jeunesse, Total promet 4 millions d’euros pour pallier les difficultés financières des communes à mettre en œuvre la réforme. Total siège au conseil de gestion des fonds d’expérimentations pour la jeunesse et cogère ainsi les deniers publics.

Pétrole et leçons de morale

Total est la première entreprise française en termes de chiffre d’affaires. À l’origine publique, sa collusion avec les dictatures de la Françafrique, les affaires de corruption et de pollution est de notoriété… publique elle aussi. Total ne paye pas d’impôt en France grâce à un montage fiscal parfaitement légal dans lequel aucun ministre du Budget n’a jamais voulu mettre son nez. Le gouvernement socialiste a dû juger que Total était donc un parfait exemple pour la jeunesse de ce pays…

Moderniser ou démanteler le statut des enseignants ?

Après une attaque massive dans le primaire qui n’est pas complètement passée, le gouvernement s’attelle au second chantier de sa refondation de l’école : redéfinir les métiers de l’éducation. Le 17 juillet 2013, Peillon présentait aux directions syndicales son projet de réforme des décrets de 1950. Ceux-ci organisent le temps de service des enseignants et définissent le statut des professeurs du second degré dans le cadre d’une discipline et sur une base hebdomadaire et fixe. Ces statuts de 1950 sont loin d’être parfaits, instaurant des divisions de statut (entre certifiés et agrégés, etc.). Cependant, ils cristallisent un certain nombre d’acquis que le gouvernement souhaite remettre en cause, non pas pour améliorer les conditions de travail ou aller vers une École plus juste, mais pour aller dans le sens d’une plus grande flexibilisation des métiers des enseignants.

Outre la volonté d’augmenter les effectifs par classe en supprimant toute référence au nombre d’élèves maximum, Peillon veut refonder le métier en trois missions : les missions d’enseignement, les missions liées à l’activité d’enseignement et les missions complémentaires et « l’ensemble de ces missions s’effectue dans le cadre de 1607 heures ». Après discussion avec les directions syndicales, la formule de 1607 heures a disparu, remplacée par des « horaires de références » mais en fait l’annualisation demeure par l’extension des obligations de services à tout un ensemble de missions.
En effet, le ministère intègre une liste sans fin de tâches que les enseignants assument le plus généralement en marge de leur service mais qu’il vise à faire devenir obligatoire. De fait, une partie d’entre elles l’étaient déjà (rencontrer les parents d’élèves par exemple) mais elles offraient droit à une indemnisation. Dans le futur non seulement elles ne seront plus rémunérées mais surtout elles s’imposeront à tous sans limitations, visant également à supprimer ce qui subsiste du personnel d’orientation dépendant encore de l’Éducation. Cette définition annualisée du temps de travail permet toutes les flexibilités.

Dans la même logique que la réforme des rythmes scolaires, la dégradation de l’enseignement public dans le second degré est en marche. De nombreuses missions de responsabilité au sein de l’établissement seront non seulement inscrites dans les missions obligatoires mais seront également soumises au vote des conseils d’administration des établissements. Ces heures de décharge, devenues des indemnités, ne seront plus assumées par l’État, ni sur leur montant, ni sur leur attribution. Voila un droit statutaire qui deviendrait dépendant de l’établissement et des moyens qui leur sont alloués.

Diviser pour mieux régner

Le ministère entend mener à bien ces réformes à moyens constant en procédant à des redéploiements et en opposant les catégories de personnel. Le premier volet de ces redéploiements concerne l’éducation prioritaire. Il s’agit de concentrer des moyens dans des établissements d’éducation prioritaires (ZEP) en sortant d’autres établissements de ce secteur, le nombre d’établissements classés ZEP étant appelé à être profondément réduit.

L’autre volet consiste à vouloir opposer classes prépas et ZEP. Quoi que l’on puisse penser du système français des grandes écoles, l’enjeu n’était pas de permettre la mise en place d’un enseignement de qualité dans tous les quartiers et dans toutes les régions, mais de raboter le statut des profs de prépas en augmentant leur charge de travail pour « redistribuer » les budgets en zones prioritaires.

Les motions votées en AG dans les salles des profs, l’interpellation des directions syndicales puis la mobilisation massive des enseignants des prépas et des élèves qui n’ont pas hésité à faire grève à répétition ont forcé le gouvernement à faire marche-arrière. On peut regretter que le mouvement ait été aussi marqué par le corporatisme. Il n’en reste pas moins qu’il est porteur d’une leçon : lorsqu’ils sont unis, que leurs élèves se mobilisent, qu’ils exercent une pression et qu’ils se mettent en grève avec un vrai plan d’action, les enseignants sont capables de faire reculer le ministère et de stopper les mauvais coups.

Réjouissons-nous, les directions syndicales dialoguent !

Après un dialogue avec « les partenaires sociaux » afin de faire passer l’ANI et la réforme des retraites, Hollande consulte les directions syndicales de l’Éducation nationale qui se prêtent au jeu des concertations. Toutes ont participé à cette mascarade, à commencer par les directions de la fédération majoritaire dans le premier et le second degré, la FSU. 13 groupes de travail ont donc été ouverts donnant au gouvernement l’occasion de poursuivre ses attaques et aux directions syndicales de faire croire qu’elles faisaient réécrire les projets. Mais ce que la base enseignante dit dans le primaire et le secondaire, ce n’est pas que ces projets devraient être modifiés, mais qu’ils ne doivent tout simplement pas passer !

Pendant que les directions syndicales dialoguent, la colère monte chez les enseignants. Cela fait des mois que ceux du primaire sont mobilisés, et à la base, chez les syndiqués comme chez non-syndiqués, la pression a été telle que les directions ont dû appeler à quelques journées de mobilisation pour la faire baisser. Le 5 décembre, les syndicats du secondaire ont appelé les enseignants à rejoindre le primaire. Après cette journée de grève, cependant, aucun plan d’action n’a été fixé pour faire reculer véritablement le gouvernement sur les contre-réformes. Le dialogue se poursuit dans les salons et on parle d’une nouvelle mobilisation pour la dernière semaine de janvier alors que ce serait dès la rentrée qu’il faudrait frapper.

L’Éducation nationale, c’est un peu comme la Bretagne : une « région » qui a massivement voté PS pour chasser la droite en 2012. Comme en Bretagne, on est revenu des promesses de Peillon qui voulait faire oublier les mauvais coups de son prédécesseur, Luc Chatel, qui avait liquidé 80.000 postes en cinq ans. Mais comme en Bretagne, aussi, il serait possible que la grogne explose dans l’Éducation car sur le fond, Peillon défend la même logique austéritaire que son prédécesseur.

Le gouvernement tente de diviser les personnels ? À la base, ces derniers ont su montrer qu’ils pouvaient être soudés, par-delà les différences de statut, les affiliations syndicales. Dans le primaire, les professeurs des écoles ont pu se retrouver en AG avec les animateurs et se mobiliser ensemble pour donner de la voix. Les syndicats nous proposent un calendrier de mobilisation qui s’effiloche alors qu’il nous faut des échéances rapprochées ? C’est en se mettant massivement en grève et en débrayant à répétition que les prépas ont su faire reculer le ministère. C’est en combinant ces différentes approches, en exigeant des directions syndicales qu’elles cessent toute concertation et répondent aux demandes des AG et des réunions syndicales des établissements que nous pourrons organiser la riposte. Avec un gouvernement aussi impopulaire, non seulement elle est nécessaire, mais c’est également possible de la mener.

Elise Duvel, le 12/12/13.

»» http://www.ccr4.org/Les-directions-...
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