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“Les chemins de Damas” : Comment l’Elysée a manipulé les rapports sur les armes chimiques (Al Akhbar)

Le livre français, les chemins de Damas, publié il y a quelques jours, provoque un scandale en révélant des éléments secrets sur la manière dont la présidence française a forcé le corps diplomatique et les services secrets français à se soumettre à la décision politique de renverser Assad et à manipuler les rapports sur les armes chimiques et la réelle puissance du régime syrien.

Un livre publié à Paris il y a quelques jours et intitulé Les chemins de Damas, Le dossier noir de la relation franco-syrienne, par les journalistes français Georges Malbrunot et Christian Chesnot, donne de précieuses informations sur les coulisses de la relation entre Paris et Damas au cours des 40 dernières années. Ce livre d’investigation contient des informations et des interviews avec des personnalités étroitement impliquées dans le dossier syrien, des années 1980 à nos jours.

En passant des sommets présidentiels aux confrontations politiques et meurtrières, et des tensions diplomatiques aux périodes de lune de miel et à la coordination secrète des deux capitales, le livre s’attaque aux "dossiers noirs" et autres événements cachés qui caractérisent la relation décrite comme "quasi-schizophrène" entre les deux pays.

Selon le synopsis qu’en propose l’éditeur Robert Laffont, Les chemins de Damas montre que les présidents français successifs ont agi avec la Syrie "souvent de manière émotionnelle, avec précipitation ou avec improvisation, ce qui a conduit à l’impasse que nous observons aujourd’hui (dans les relations)".

Les auteurs relatent un incident qui a suivi immédiatement l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafik Hariri : "Au moment même où Jacques Chirac, après l’assassinat de son ami Rafik Hariri, voulait "faire rendre gorge" à Bachar el-Assad, la France livrait à Assad dans le plus grand secret, deux hélicoptères Dauphin et fournissait à son entourage un système pour sécuriser leurs communications."

Quant aux présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande "ils ont fait tour à tour les mêmes erreurs par méconnaissance de la réelle capacité de survie du régime syrien," concluent les auteurs.

La presse française a publié quelques extraits du livre, notamment Le Point du 9 octobre. Le magazine a écrit que le livre était "exceptionnel," et a publié des morceaux du livre qui contiennent des détails importants sur les discussions qui se tenaient dans les couloirs du ministère des Affaires Etrangères, de l’Elysée, des services secrets et des services de sécurité français sur la crise syrienne.

Altercation au ministère des Affaires étrangères

Un chapitre du livre intitulé “Bagarre au Quai d’Orsay” fait état d’une violente querelle sur la Syrie qui s’est produite dans un bureau du ministère des Affaires Etrangères à Paris au printemps 2011. A cette époque, Alain Juppé était le ministre des Affaires Etrangères. L’altercation a eu lieu dans le bureau d’Hervé Ladsous, le chef de cabinet du ministre des Affaires Etrangères, entre Eric Chevallier, l’ambassadeur de France à Damas, et Nicolas Galey, le conseiller du président (Nicolas Sarkozy à l’époque) pour le Moyen-Orient. Etaient aussi présents Patrice Paoli, directeur, à l’époque, du département du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et aujourd’hui ambassadeur de France au Liban, et Joseph Maila, le directeur de la prospective au ministère des Affaires étrangères, ainsi que des diplomates responsables des affaires syriennes.

La conviction de l’ambassadeur Chevallier était la suivante : "Le régime d’Assad ne tombera pas, Assad est fort" et il se maintiendra au pouvoir. C’est ce qu’il avait écrit dans ses dépêches diplomatiques depuis Damas, raison pour laquelle il avait été rappelé à Paris. Chevallier "a redit aux personnes présentes à cette réunion qu’il était "proche du terrain", et qu’il avait "visité diverses régions de la Syrie et qu’il n’avait pas le sentiment que le régime en place était en train de s’effondrer".

"Arrêtez de dire des bêtises !" l’a interrompu Galey, le représentant de Sarkozy. “Il ne faut pas s’en tenir aux faits, il faut voir plus loin que le bout de son nez." a-t-il ajouté. La remarque de Galey était d’une "hostilité sans précédent" selon une des personnes présentes. Même Ladsous "a été choqué de la détermination de Galey," quand il est apparu que Galey "n’était pas venu prendre part aux délibérations mais remplir une mission spécifique : imposer l’idée que la chute d’Assad était inévitable," et faire comprendre à tout le monde qu’aucune opinion divergente ne serait tolérée dans le corps diplomatique français.

Mais Chevallier a défendu sa position qui différait de celle que l’Elysée voulait imposer. Il a dit qu’il avait rencontré l’opposition syrienne régulièrement, “mais qu’il continuait à penser que le régime avait la capacité de survivre ainsi que des soutiens étrangers". "On se moque de vos informations !" a réitéré Galey, ce à quoi l’ambassadeur a répondu : "Vous voulez que j’écrive autre chose mais mon travail comme ambassadeur est de continuer à dire ce que j’ai écrit, c’est à dire ce qui est réellement arrivé". "Vos informations ne nous intéressent pas. Bachar el-Assad doit tomber et il tombera," a rétorqué Galey d’une voix coupante. La querelle s’est alors envenimée, ce qui a forcé Ladsous à intervenir plusieurs fois pour mettre fin à cette "bataille verbale".

Un rapport étrange sur les attaques aux armes chimiques en Syrie

Une autre section du livre traite des actions du président François Hollande en août 2013, quand il a ordonné la déclassification du document de synthèse des rapports de la Sécurité Extérieure et du Renseignement militaire sur les attaques aux armes chimiques dans la région de Ghouta près de Damas, au moment où il tentait de rallier un soutien international en faveur d’une frappe pour punir ceux "qui empoisonnaient des innocents." Le livre révèle que la conclusion du rapport conjoint avait été "élaguée" par le conseiller spécial du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, d’une manière qui d’une certaine façon faisait du tort aux informateurs.

Les informateurs avaient soulevé plusieurs questions dans leurs rapports concernant des événements qu’ils n’avaient pas pu vérifier comme l’utilisation de gaz sarin. Une des hypothèses faite par les informateurs dans leurs rapports était la suivante : "Il est possible que des bombardements classiques de l’armée syrienne sur un laboratoire clandestin des rebelles ait provoqué une fuite de gaz." Mais cette conclusion a été "purement et simplement coupée" du texte du rapport final.

Nous avons fait des erreurs en ce qui concerne la Russie

Claude Guéant, l’ancien ministre de l’Intérieur et Secrétaire Général sous Sarkozy, dit que la manière dont Juppé a traité la Russie fut une grave erreur ; il souligne que la Russie n’aurait pas dû être marginalisée mais qu’au contraire, on aurait dû en tirer partie. Il a ajouté : "Si nous avions mis de côté notre égoïsme, notre prestige et notre amour du pouvoir et dit aux Russes qu’ils étaient les plus à même de concourir à trouver une solution en Syrie, ils auraient été heureux d’apporter un soutien positif. Ils étaient les seuls à pouvoir faire quelque chose."

Le livre traite aussi de la fragile relation entre les diplomates français et les services secrets et du conflit entre le Renseignement Intérieur et le Renseignement Extérieur sur la question syrienne. L’antipathie entre les deux agences a commencé au début de la crise syrienne et s’est prolongée même après que les deux agences se soient installées à Amman. Les rapports venant des deux agences semblaient contradictoires en 2011. Un diplomate qui était en contact avec les deux agences a expliqué que toutes les deux étaient convaincues que Assad ne tomberait pas rapidement mais que le Renseignement Intérieur a vite noté le rôle des salafistes et des djihadistes dans la rébellion, tandis que le Renseignement extérieur continuait d’envoyer des rapports diabolisant le régime de Assad.

Sabah Ayoub

Traduction : Dominique Muselet

 http://english.al-akhbar.com/content/roads-damascus%E2%80%9D-how-elysee-manipulated-chemical-weapons-reports
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COMMENTAIRES  

18/10/2014 12:50 par Filo...

Christian Chesnot à mon avis n’est pas une référence dans le journalisme. Il travaille pour "France Inter", merdia officiel qui s’est distingué jusqu’à maintenant dans des critiques virulentes et particulièrement mensongère concernant la Syrie.
Encore, Ch. Chesnot est inventeur, premier qui a prononcé la fameuse phrase : « Printemps arabe » et la manipulation qui s’ensuivit avec cette affaire.
Maintenant ce caméléon et opportuniste passe de l’autre côté de la barrière et critique les pouvoirs en France.

Au faite il se balance comme les c… quand ont fauche le foins ; tantôt à gauche, tantôt à droite et rien d’autre.
Donc…

19/10/2014 20:40 par alexis

A Filo : je vois pas trop en quoi avoir inventé (si c’es vrai) l’expression ’printemps arabe’ montre que Chesnot roule pour Hollande-Obama. Il travaille à France Inter, comme (jusqu’il y a peu) Mermet ou Ruffin, comme François Morel aussi.

L’article est très intéressant et merci à LGS de le mettre à dispo ! En plus, il est utile pour critiquer toute les autres propagandes de guerre (ukraine etc...)

20/10/2014 04:16 par Filo...

@Alexis
Mais "Printemps arabes" n’existe pas et n’a jamais existé. Comme d’ailleurs "Révolution orange" et "Révolte spontanée et démocratique de Maïdan"
Et Christian Chesnot a joué un sale rôle dans ces événements de "Printemps arabes" ainsi que France Inter pour qui il a travaillé à cette époque. Ce qu’ils ont diffusés en ce moment là c’était en tout cas pas de l’info. mais de l’intox.
Ce journaliste n’est pas une référence concernant l’information et ce soudain changement de cap avec ce livre montre que c’est un opportuniste comme 99% des journalistes des mérdias officiels.

Mais après tout libre à vous de croire ou non à ce genre de journalisme et de journaliste.

20/10/2014 10:03 par gérard

@ Filo...
Je tiens à signaler que Christian Chesnot est passé récemment dans l’émission "PolitiqueS" de Serge Moati sur LCP . (apparemment pas encore de vidéo).
Cela change quand même des discours merdiatiques ambiants et à mon avis c’est le principal.
Je ne comprends pas du tout cette façon de faire la "fine bouche" sur ce qui est quand un événement, sous prétexte que Chesnot avant aurait été ceci ou cela...
C’est dénier de lui concéder un droit essentiel, le droit à l’erreur.
Faudrait déjà avoir lu ce livre pour juger, non ?
Je ne l’ai pas lu, mais de ce que j’ai écouté en plus de l’article du GS (chez Moati) j’en ai compris que tout y passait à la moulinette de la "vérité", et cela va de la Libye à l’Ukraine en passant par l’Irak et la Syrie, ce n’est donc pas rien !
Qui dit aussi que toute cette histoire médiatique ne serait pas tout simplement dans la lignée de "il vaut mieux avoir tort avec le Roi, que raison contre lui", et qu’une réflexion s’impose sur le rôle des Journalistes et de leur indépendance.
Hypothèse : et si ce livre n’était que le signal (télécommandé !) d’un changement de politique étrangère de la France...ENFIN !

20/10/2014 11:40 par Hassinus

Lorsqu’on écrit un livre sur la Syrie et le Moyen-Orient sans souffler mot sur l’implication d’Israël dans la destruction systématique de tous les pays arabes voisins, il y a de quoi se poser pas une mais plusieurs questions. Tout donne à penser que c’est là encore un livre écrit pour détourner les regards et faire oublier le rôle fondamental de l’état hébreu dans la politique occidentale concernant les pays arabes, politique aveugle, contraire à ses intérêts - par exemple la Syrie était un bon déboucher à l’économie française.Falsification des rapports des rapports, mensonges sur l’arme chimique etc... mêmes procédés que ceux utilisés par les USA de Bush et autre Ramsfield...

20/10/2014 18:24 par Filo...

@gerard

Ce n’est rien que opportunisme et manipulation. Aussi il faut bien vendre son livre. Je maintient de ce que j’ai écris. Ch. Chesnot n’est pas une référence dans le journalisme et ej ne lui ferais jamais confiance, tous ce qu’il dis et tous ce qu’il fait c’est toujours avec une arrière pensée.

Mais après tout libre à vous de croire ou non à ce genre de journalisme et de journaliste.

20/10/2014 20:48 par alexis

A Filo : Merci pour votre réponse. Qu’il y ait des manipulations étrangères dans les révoltes populaires on est d’accord. Mais pensez vous que c’est la France qui a viré Ben Ali par ex ? Alors qu’Alliot Marie était en plein opération immobilière en Tunisie et a même proposé son aide policière au régime ? De la même façon, pensez-vous que c’est les us qui ont choisi de virer Moubarak alors que c’était une bonne marionnette pour eux ?

Trop de complot tue le complot ;-)

21/10/2014 12:12 par gérard

@ Filo...
Mais le sujet n’est pas de croire ou de ne pas croire Chesnot.
A priori je connais déjà une très grande partie de son livre.
De ce qu’il va apprendre dans les détails, on a suffisamment de sources provenant d’Internet, et même du Canard enchaîné, (notamment sur la "sidération" du corps diplomatique français), pour faire des recoupements.
Sur le sujet du Moyen Orient, il suffit par exemple de bien écouter tout ce qu’a dit Alain Chouet, cet ancien directeur de la DGSE, et on a une base solide, mais il n’est vraiment pas le seul...
Chesnot n’est intéressant que dans la mesure où, il fait ou faisait (pourquoi pas au passé, faut toujours laisser une chance aux gens), partie du système, ses "révélations" n’en auront que plus d’impacts, c’est c** mais c’est comme ça...
Qu’il passe chez Moati, c’est un progrès considérable.
Bien évidemment qu’il faut garder intact son esprit critique, donc sa méfiance, mais ce que j’ai entendu de lui, de son livre, me paraît coller à ce que je connaissais déjà.
Mais j’ai une autre petite idée, juste une simple théorie.
Si ce livre n’avait été écrit en définitive que sur "commande" (?) pour bien faire connaître le début d’un revirement de la politique étrangère de la France, vers "ailleurs"..., vers la Russie par exemple.
Les déclarations de Fabius étaient vraiment trop outrancières, telle celle-ci : « Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre », comme si elles étaient destinées à une "oreille" nord-américaine...
Rien n’est plus "tordu" que la diplomatie, et ce depuis la nuit des temps..
Et rien ne peut faire plus de "casse" aussi

21/10/2014 12:45 par Filo...

@alexis
Dans les deux cas que vous évoquez ce sont les américains qui l’ont faits. Et ceci sans avertir les français, d’où la surprise et le faux pas d’Alliot Marie.
Pour les américains Ben Ali et Moubarak sont comme des kleenex. Jetés après usage.
Le prochain et déjà sur catapulte est Petro Porochenko.

21/10/2014 19:24 par alexis

@Filo : pouvez-vous donner quelques sources pour étayer ce que vous avancez ? Pour le soutien d’Obama à Moubarak moi j’ai par ex un article de chomsky sur LGS

http://www.legrandsoir.info/Ce-n-est-pas-l-Islam-radical-qui-preoccupe-les-Etats-Unis-mais-l-independance.html

Chomsky, LGS, controlés pas la cia aussi ?

Un truc qui me dérange dans votre vision où washington contrôle tout, outre qu’elle me parait tout simplement fausse (pensez vous qu’isis était prévu et sert les intérêts américains aussi ?), c’est que vous avez l’air de penser que les arabes ne sont pas capables de faire une révolution tout seuls, sans l’oncle sam. Et bien sur, il y a un problème similaire avec la théorie inside job du 11 sept.

21/10/2014 20:03 par Filo...

@gerard
Un revirement, un rapprochement avec la Russie, comme vous le dite n’est pas possible avec cette garniture qui est au pouvoir actuellement chez vous en France. Ils ont poussés le bouchon beaucoup trop loin.
Votre président, sont ministre des AE ainsi que BHL leurs sorcier marabout dans leurs manque total de discernement ont mis la France en première ligne d’une future confrontation avec la Russie.
A plusieurs reprises L. Fabius a menacé directement Russie. Une erreur monumentale car ont menace jamais impunément la Russie.
La France, avec ce trio, étaient à l’origine des sanctions contre la Russie. Un stupidité pas digne d’un grand pays comme le votre.

Lors de mes fréquents voyage en Russie j’ai constaté que le point de non retour est atteint. Les russes sont des gens très gentils au grands cœur mais surtout des grands patriotes.

Et là lors des discussions avec eux ils sont très déçus et ils prônent ouvertement la cassure totale avec l’Occident.
Désormais ça ne sera plus jamais comme avant !

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