Il y a une odeur de pourriture qui s’exhale des banques de ce que les londoniens appellent "la Cité", l’odeur intense du dégoût que suscitent les vieilles entourloupes des vieux routiers en filouterie. La démission cette semaine de Bob Diamond, le directeur général de Barclays, n’aurait pas dû faire l’effet d’une bombe après des années de gestion douteuse, mais le public n’est pas encore complètement vacciné contre le cinéma des banquiers.
L’ancien directeur général de Barclays, qui a quitté son poste mardi dernier sous la pression de la Banque d’Angleterre et du régulateur financier a plus ou moins reconnu que le Libor, le taux d’échange interbancaire londonien, avait été fréquemment manipulé par la banque. Ce comportement a valu à Barclay des amendes de la part des régulateurs de deux côtés de l’Atlantique qui avoisinent les 441 millions de dollars. Truquer le taux était, semble-t-il, la devise de la banque.
Une cascade de démissions s’en est suivie - le président Marcus Agius, qui venait de la banque Lazard est parti lundi, et, mardi, le départ de Diamond a été accompagné de celui du directeur des opérations Jerry del Missier. Diamond, quant à lui, a tenté sans grand succès de convaincre le Comité du Trésor qu’il ne savait pas que le taux avait été truqué en octobre 2008.
L’incursion dans les bas-fonds bancaires a soulevé toujours plus de boue quand il est apparu que Paul Tucker de la Banque d’Angleterre avait relevé que les taux de prêt aux autres banques étaient anormalement bas et qu’il en avait, semble-t-il, parlé à Diamond en octobre 2008. Tucker, l’adjoint du directeur général de la Banque, a expliqué que des "experts de Whitehall" trouvaient que le taux Libor de Barclay était tout simplement trop haut.
La fine équipe de Barclays a essayé de faire porter à la Banque d’Angleterre** le chapeau pour ce qu’elle avait fait ainsi que pour le désespoir suscité par la tourmente de la crise économique qui a suivi la faillite de Lehman Brothers. Pour échapper à un plan de sauvetage sous l’égide de l’état et à la nationalisation, Barclays a décidé de convaincre le Qatar et Abu Dhabi d’investir dans la banque. Comme l’a dit Diamond : "La situation était très très critique. Cela a probablement été la semaine la plus critique de l’histoire de Barclays et de l’histoire des marchés financiers."
La différence entre Barclays d’il y a 320 ans et la banque aux abois d’aujourd’hui est immense. C’est l’histoire du secteur bancaire en son entier : les métiers traditionnels de la banque ont été marginalisés au profit des investissements spéculatifs. En 2008, Barclays est devenu une banque d’investissements transatlantique géante en se saisissant des actifs de Lehman Brothers en faillite (Reuters, 6 juillet). Dès lors, la banque était entrée inexorablement et agressivement dans le monde du marché de la dette.
Il n’y a pas de limite à ce que la Cité est capable de faire pour préserver son image fétide. Tim Allan, l’ancien conseiller de Tony Blair, a été chargé d’améliorer son image lamentable — et de requinquer les ego endoloris des directeurs de banques. Allan, il faut le noter, travaille pour une entreprise de relations publiques qui a comme clients des gens aussi exquis que le président Nursultan Nazarbayev du Kazakhstan et Stella Artois. Si une image a besoin d’être redorée aux yeux du public, on peut être sûr de voir apparaître Portland Communication muni d’une grande brosse et de beaucoup d’argent.
Les banksters eux-mêmes sont écoeurés par les réactions des politiques à leurs débordements. Pour eux, c’est l’histoire de la poutre et de la paille. "Ces dernières années", se plaint Ian Gordon de Investec, "0,5 % des députés du Royaume Uni ont fait de la prison pour vol. Bien davantage ont échappé aux sanctions en acceptant de rendre l’argent reçu pour de fausses dépenses sans compter que le parjure, l’obstruction à la justice et l’espionnage ont été des passe-temps populaires chez leurs prédécesseurs" (The Independent, 6 juillet). Bref, être un bankster est lourd à porter et revient cher.
La question qu’on se pose est : Que vont faire nos braves Anglais ? On parle de séparation concrète des fonctions d’investissement et des fonctions traditionnelles "intérieures". Mais il n’y a pas de volonté politique de mener à bien une enquête publique légale indépendante, comme le réclame le parti travailliste.
Le premier ministre, David Cameron, a opté pour un comité conjoint de députés et de pairs pour enquêter sur le scandale de la manipulation des taux, sous prétexte que cela sera plus rapide que la proposition plus "légaliste" des Travaillistes et que cela permettra de mettre en place une Loi de réforme du système bancaire l’année prochaine. On voit donc que rien ou presque ne sera fait. Et en attendant, le public se prépare à d’autres révélations.
Binoy Kampmark
Binoy Kampmark a fait ses études à Selwyn College, Cambridge, en tant qu’étudiant du Commonwealth. Il enseigne à RMIT University, Melbourne, et on peut le joindre à : bkampmark@gmail.com.
Notes
* amalgame de banquier et gangster
** http://www.liberation.fr/economie/2012/07/04/liborgate-vers-un-scandale-politique-en-grande-bretagne_831105
Pour consulter l’original : http://dissidentvoice.org/2012/07/meet-the-city-bankster-the-decline-of-barclays/
Traduction : Dominique Muselet