« Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise toute entière ». - K. Marx ; F. Engels
« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». - Étienne de La Boétie
Le scandale des « Panama papers » qui vient d’éclater à la face du monde n’est que l’arbre qui cache la jungle capitaliste. Fraudes fiscales, blanchiment d’argent noir, sociétés écrans, détournement de fonds, paradis fiscaux, corruption généralisée etc. montrent à la fois le degré de pourriture atteint par ce système et la décadence morale des sociétés capitalistes. La collusion quasi organique du monde politique avec celui des affaires est une caractéristique fondamentale du capitalisme. Leurs liens sont tellement intimes qu’il devient difficile de les distinguer. Les hommes politiques et le milieu des affaires voire parfois le milieu tout court se nourrissent les uns des autres. Les premiers gèrent et couvrent les affaires des seconds. Dans ces scandales à répétition, on trouve à côté des grandes entreprises, des banques, des institutions sportives, des célébrités, des milliardaires, des rois, des chefs d’Etat, des premiers ministres, des ministres et bien d’autres responsables politiques. Toute cette classe de fraudeurs, pur produit du système, s’acharne par tous les moyens à piller les richesses produites par les travailleurs dont elle ne voit en eux que des êtres méprisés et méprisables.
Le capitalisme mondialisé a généralisé et universalisé la corruption et les scandales. Il a multiplié les montages financiers frauduleux, les paradis fiscaux et judiciaires, les trusts (fiducies), les fondations etc. Aucun domaine de la vie économique, politique, sportive et artistique n’échappe à la corruption et aux manipulations frauduleuses en tout genre. Les sommes astronomiques concernées sont difficilement imaginables par les citoyens (1). La corruption, les affaires, la fraude fiscale et les détournements des fonds publics sont des phénomènes intrinsèques au capitalisme qui les produit sans cesse.
Le pouvoir politique encourage le système, lui offre des opportunités à travers des politiques de dérégulation, de privatisation et par l’absence totale de sanctions. Il l’incite à poursuivre sur la voie des pratiques frauduleuses, de l’escroquerie et de la criminalité financière. Les gouvernements ne sont là que pour servir les intérêts de cette classe ou plus précisément cette couche de parasites qui ne produit aucune richesse et ne vit que des dividendes, des intérêts, des commissions, de la spéculation, bref de l’argent produit lui même par de l’argent. « Le propre du capitalisme, écrivait Lénine, est de séparer la propriété du capital de son application à la production, de séparer le rentier, qui ne vit que du revenu qu’il tire du capital-argent. La suprématie du capital financier sur toutes les formes du capital signifie l’hégénmonie du rentier et de l’oligarchie financière » (2).
C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les agissements du pouvoir politique totalement soumis à cette oligarchie financière. Le gouvernement français par exemple, a retiré en 2012 le Panama de la liste noire des paradis fiscaux. La Société Générale, le Crédit Agricole, la BNP Paribas et le Crédit mutuel sont parmi les plus gros clients de Mossack Fonseca. Toutes sont impliquées, à travers des centaines de filiales, dans le blanchissement d’argent sale et la fraude fiscale (3). Comme réponse à ces scandales, le ministre des finances et des comptes publics s’est contenté de publier un simple communiqué d’une platitude affligeante « il ne serait pas tolérable que des banques puissent permettre des opérations de fraude, d’évasion fiscale ou de blanchiment » (4). Pourtant le gouvernement français savait depuis longtemps que les grandes banques françaises utilisaient des structures offshore, par centaines, spécialisées dans la criminalité financière et que les dirigeants de ces banques n’avaient jamais été inquiétés. A chaque nouveau scandale, les hommes politiques feignent l’indignation et promettent de mettre un terme à l’évasion fiscale et de châtier sévèrement les responsables fraudeurs : « Il n’y a plus de paradis fiscaux. Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est fini » proclamait avec force Nicolas Sarkozy en 2009. La commission des finances du Sénat qui a auditionné le11 mai 2016 Frédéric Oudéa, patron de la Société Générale, ne trouvait aucune raison valable de poursuivre le dirigeant de la banque !
Le gouvernement britannique dirigé par David Cameron a organisé le 12 mai 2016 à Londres un sommet international pour lutter contre la corruption ! Rappelons tout de même que sur les 214 488 sociétés offshore administrées par le cabinet panaméen Mossack Fonseca, plus de la moitié sont domiciliées dans les îles britanniques. David Cameron lui-même ainsi que sa famille sont impliqués dans le scandale des fraudes fiscales des Panama papers. Le premier ministre britannique a tenté dans un premier temps de nier l’évidence en affirmant qu’ il ne possédait « aucune action, aucun trust offshore, aucun fonds offshore, rien de tout cela » (5), avant de tout avouer.
Les vingt gouvernements les plus riches de la planète (groupe G20) qui représentent l’essentiel des richesses produites dans le monde, se sont réunis à Londres en avril 2009, à Saint-Pétersbourg en septembre 2013, se sont engagés fermement à lutter contre les paradis fiscaux et le secret bancaire. Force est de constater que la criminalité financière sous toutes ses formes n’a jamais été aussi florissante qu’aujourd’hui.
Les Etats-Unis qui dénoncent la criminalité financière et les privilèges exorbitants accordés à leurs multinationales à travers le monde, abritent eux-mêmes sur leur propre territoire des paradis fiscaux considérés comme les plus opaques (6) et les plus favorables aux grandes entreprises et aux milliardaires du monde entier. Le Dakota du Sud, le Nevada, leWyoming mais surtout le Delawar sont de véritables édens fiscaux sur terre. Même Donald Trump et Hillary Clinton, favoris des primaires, y possèdent des sociétés à côté d’Apple, d’American Airlines, de Coca-Cola et de biens d’autres multinationales (7). La fusion ici entre le pouvoir économique et le pouvoir politique est totale.
Invoquer, dans le cadre du capitalisme, la morale, l’éthique, la bonne volonté, la bonne gouvernance est une véritable chimère. Mobiliser les pouvoirs économiques et politiques nationaux et internationaux contre les scandales financiers est une hypocrisie pour ne pas dire une absurdité. Ces pouvoirs sont eux-mêmes les organisateurs et les bénéficiaires. Rien ne sert de gémir sur les scandales financiers, tant qu’on laisse dans l’ombre les racines qui les produisent. Ces jérémiades ne font que perpétuer un système qui se nourrit et se développe de ces scandales.
On peut adopter les lois que l’on veut contre la corruption, les affaires et les privilèges, contre le secret bancaire et la fraude fiscale, mener toutes les enquêtes possibles, on peut même diminuer et limiter leur importance, mais on ne peut pas les éliminer. Car leur existence et celle du capitalisme sont tellement imbriquées l’une dans l’autre que l’on ne peut supprimer l’une sans éliminer l’autre. Les lois et les mesures prises pour lutter contre les scandales en tout genre ne sont que des paravents derrière lesquels la bourgeoisie sous toutes ses formes dissimule ses forfaits. Le problème n’est donc pas l’existence des scandales financiers, des affaires et autres privilèges, mais celle du capitalisme qui les engendre. Il y a eu dans le passé des scandales, il y a aujourd’hui des scandales et il y aura dans l’avenir d’autres scandales tant que ce système existe. Le véritable scandale, c’est le capitalisme lui-même.
Mohamed Belaali