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Le nouveau Brésil

Nous sommes loin du vrai développement, qui n’a lieu que lorsque toute la société en bénéficie. Dépasser le cadre actuel demande de la créativité.

Je me suis tôt rendu compte du " retard " du Brésil. A la fin des années 40, alors que je travaillais à la Cepal, le nouvel organe des Nations-Unies qui est devenu une véritable école de pensée économique sur le continent, j’ai été surpris en étudiant les statistiques disponibles l’époque. Le Brésil se situait bien en-deçà de ce à quoi on se serait attendu, même en comparaison avec les autres pays de l’Amérique Latine. Depuis, j’ai relevé le défi de comprendre les raisons du sous-développement d’un pays ayant des potentialités comme le nôtre. En effet, si je devais relever un thème qui a toujours été au centre de ma réflexion théorique, je dirais que c’est l’idée de la
" spécificité du sous-développement " et de la dichotomie " développement-sous-développement ".

Quels chemins nous avaient conduits au sous-développement ? Les plus de trois siècles de régime esclavagiste ? L’incapacité de notre classe dirigeante à faire entrer le Brésil, au XIXème siècle, dans le processus d’industrialisation qui a créé la société moderne ? Il est connu que ceux qui ont vu clair en la matière, comme Mauá, ont été vaincus par les propriétaires latifundiaires partisans de la main-d’oeuvre esclave. Vers 1930 encore, nos têtes pensantes défendaient une économie " essentiellement agricole ", même si ça et là on commençait à entendre des voix discordantes.
Et, au milieu des années 50, le débat sur la nécessité d’industrialiser le Brésil faisait encore l’objet d’une vive polémique. Il n’est pas superflu de rappeler que, à cette époque, la majorité de nos économistes mettait des obstacles à l’instauration d’une politique d’industrialisation, cette doctrine étant d’ailleurs fortement soutenue de l’extérieur.

Notre industrialisation tardive a été conduite dans le cadre d’un développement imitatif qui a renforcé les tendances ataviques de notre société à l’élitisme et à l’exclusion sociale. D’une certaine façon, la croissance économique a eu comme effet pervers l’anesthésie de la population en ce qui concerne la perception des graves problèmes sociaux qui se sont accumulés peu à peu. Les migrations intérieures créaient l’illusion que la majorité des Brésiliens pouvaient améliorer leur niveau de vie, de monter l’échelle sociale. On vivait la même illusion quand on déplaçait la frontière agricole ou quand on dévastait les forêts. L’autoritarisme politique qui, à partir du coup d’état militaire de 1964, a neutralisé toutes les formes de résistance des exclus pendant deux décennies, a exacerbé les tendances perverses de notre développement mimétique, en leur superposant, en outre, la chimère de la création d’une " puissance émergente ".

Cependant, on doit reconnaître que dans un passé pas très lointain il y a eu un certain consensus sur le fait que nous étions les agents actifs de notre histoire et que nos dirigeants avaient une vision globale de la réalité de laquelle ils faisaient partie. Les problèmes de l’économie brésilienne ont alors été considérés comme une part essentielle de l’activité politique, sujet d’amples débats. Je vais me référer à deux thèmes fondamentaux, qui ont été l’objet d’une réflexion théorique importante parmi nous, au milieu des années 50, ayant eu des répercussions sur les décisions politiques prises à l’époque. Il s’agit de l’inflation et de l’élaboration d’un projet national de développement.

S’éloignant de la doctrine monétariste traditionnelle, dans les années 50, a émergé au Brésil une idée qui voyait dans le processus d’inflation chronique le reflet de tensions structurelles générées par les conflits de distribution du revenu - d’où l’importance du facteur politique. Ainsi, on voyait l’inflation, non pas comme un phénomène monétaire, dans la ligne du FMI, mais davantage comme une lutte pour la distribution du revenu. La différence est que, tandis que la vision monétariste conduit à une politique déflationniste et récessive favorisant certains secteurs sociaux, au détriment des salariés, la perspective structuraliste permet d’identifier les foyers originels de tension croissante et de mettre en évidence les bénéficiaires de l’élan inflationniste. La victoire indiscutable de la doctrine du FMI a amené à la situation que nous connaissons ces dernières années, quand a été programmée une récession avec un coût social élevé pour se libérer d’une inflation des prix, moyennant un fort endettement extérieur.

Dans les années 50 encore, pour élaborer un projet national de développement, on est parti du point de vue évident que le sous-développement était un processus historique spécifique, demandant un effort de théorisation autonome. Mes réflexions sur ce cadre historique sont à la base de ce que j’appelle " théorie du sous-développement ". En effet, le sous-développement n’est pas une étape par laquelle sont nécessairement passées les économies les plus avancées. C’est une situation particulière, conséquence de l’expansion de ces économies les plus riches, qui cherchent à utiliser les ressources naturelles et la main-d’oeuvre des zones d’économie pré-capitaliste. C’est une forme de croissance aux caractéristiques particulières, véritable piège historique.

Si la croissance économique augmente le revenu de la population, si la modernisation permet d’adopter de nouveaux modes de vie, imités d’autres sociétés qui, elles, bénéficient d’une vraie augmentation de la productivité physique, seul le vrai développement peut faire de l’homme un élément de transformation, capable d’agir sur la société et sur lui-même, concrétisant ses possibilités. D’où l’idée que la réflexion sur le développement contient une théorie de l’être humain, une anthropologie philosophique.

Aujourd’hui le Brésil a un revenu dix fois supérieur à celui de l’époque à laquelle j’ai commencé à réfléchir sur ces thèmes. Ce n’est pas pour cela que les inégalités sociales ont diminué, ni que nous avons réussi dans la lutte contre la pauvreté et la misère. On est entré dans le XXIème siècle avec 53 millions de pauvres - près de 34% de la population - dont 22 millions - près de 14% de la population - vivent en dessous du seuil d’indigence. Dans les pays où le revenu par tête est similaire au nôtre (4.500$ US), le pourcentage des pauvres approche les 10% de la population totale, donc moins d’un tiers de la population brésilienne. Et, concernant l’inégalité du revenu, sur les 92 pays étudiés par le Programme des Nations Unies pour le Développement, seuls l’Afrique du Sud et le Malawi avaient un pourcentage plus important que le Brésil.

Nous sommes loin du vrai développement qui n’a lieu que lorsque toute la société en bénéficie. Dépasser les barrières du sous-développement demande de la créativité politique, encouragée par la volonté collective. Et celle-ci suppose une nouvelle rencontre des élites avec les valeurs permanentes de notre culture. Donc le point de départ du processus de reconstruction du pays devra se faire avec une plus grande participation du peuple dans le système de décisions.

Le Brésil est prêt à démarrer une phase nouvelle et difficile - belle pourquoi ne pas le dire ?- de son cheminement historique. Nous avons élu un Président de la République qui, par sa trajectoire, connaît mieux que quiconque les problèmes fondamentaux de notre peuple et réunit les attributs pour devenir un pilier dans la vie politique du pays.

Plus que jamais les nouveaux défis seront à caractère social, et non principalement économique, comme ça a été le cas dans les phases antérieures de notre histoire. L’imagination politique devra, donc, passer au premier plan. Celui qui prétend qu’il n’y a plus d’espace pour l’utopie se trompe.

Auteur : Celso Furtado.
Traduit par Autres Brésils - www.autresbresils.net

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