La France a-t-elle une guerre de retard ?
La transition énergétique que le monde, au moins occidental, appelle de ses vœux, c’est-à-dire le passage progressif à une production énergétique à partir de sources renouvelables (éolien, solaire, géothermie…) recouvre bien des enjeux déterminants pour l’avenir : enjeux environnementaux avec la lutte contre le réchauffement climatique ; enjeux stratégiques avec la fin de la dépendance vis-à-vis de pays avec lesquels les relations sont de fait biaisées ; et enjeux économiques, avec la diminution des importations de ressources primaires (pétrole, gaz, uranium), en provenance de régions sujettes aux aléas politiques et sécuritaires. Malgré cet état de fait, le France ne semble pas avoir pris pleinement la mesure des enjeux, et le discours volontariste de celui qui n’était alors qu’un candidat à l’élection présidentielle est resté très largement du domaine de la pétition de principes.
Le premier défi que la France aura a relever, sera celui de dépasser les clivages idéologiques, qui ont sérieusement perturbé l’ouverture du grand débat sur le sujet. Le secteur est pourtant potentiellement créateur d’emplois et générateurs de croissance. Sans forcément atteindre le million d’emplois rêvé par certains, il ne fait pas de doute que la filière a de l’avenir, parce qu’elle est technologiquement et qualitativement exigeante, deux conditions que remplit la France sans difficulté. Plutôt que de se battre à rebours contre l’invasion des panneaux solaires chinois, qui ne font que satisfaire une demande, il serait plus que temps de se consacrer au développement et à la pérennisation d’une offre nationale compétitive, fondée sur le savoir-faire et les capacités d’innovations des PME hexagonales.
La fascination très française pour les géants industriels
La principale difficulté de la France, pour faire coïncider les actes et les ambitions, réside dans la toute-puissance des quelques grandes entreprises nationales, qui, au-delà de superbes réalisations industrielles, sont en train de transformer le secteur en un oligopole restreint, entre grands énergéticiens et spécialistes du BTP : EDF, GDF-Suez, Alstom, Areva, Vinci… Cela se passe déjà ainsi dans le domaine de l’éolien off-shore, mais aussi dans le photovoltaïque. Sans vouloir clouer au pilori ces fleurons de l’industrie française, on peut par contre s’interroger sur leur rôle dans la « neutralisation » des PME et PMI sur ces créneaux, avec la volonté apparente d’empêcher l’émergence d’ETI, susceptibles de les concurrencer un jour.
En effet, tous ces groupes monopolisent les appels d’offre les plus importants, ceux dépassant le milliard d’euros d’investissement initial, ce que ne peut se permettre naturellement l’immense majorité des PME. En faisant cela, ils relèguent les PME nationales au rôle de sous-traitants sur des parties à faible valeur ajoutée, sachant que les turbines et les alternateurs sont par exemple fabriqués en Allemagne et en Espagne. Il arrive même que ces entreprises, plus préoccupées par la rentabilité des productions dont le prix de rachat est garanti par l’État, abandonnent d’autres projets, pourtant prometteurs, du fait d’une rentabilité jugée insuffisante. On le comprend vite, il s’agit bien plus de saisir des opportunités économiques que de participer de raison à la transition énergétique.
Mais ces entreprises ne font qu’aller dans le sens dans certain laisser-faire de l’État, qui préfère disposer d’un interlocuteur unique, alignant derrière lui de manière pyramidale des PME subordonnées. Or les solutions à la transition passent par un maillage horizontal et dense de PME sur l’ensemble du territoire, en mesure de répondre au niveau local et micro-économique à une problématique globale. La solution retenue par l’Etat, pour plus simple qu’elle puisse paraître, est au global moins efficiente économiquement et écologiquement. De notoriété publique, la transition énergétique passera par un cocktail énergétique, combinant solaire, éolien, biomasse, hydroélectricité et géothermie dans des proportions qui restent à définir. Quelques grandioses parcs éoliens off-shore, pour majestueux qu’ils soient, n’y suffiront pas (sachant qu’ils produisent de manière discontinue). Et ce cocktail passe par une délégation d’une partie de l’infrastructure aux PME implantées localement ou à celles qui sont particulièrement innovantes, une chose à laquelle ont bien du mal à se résoudre les géants du secteur.
Réaffirmer le leadership de l’Etat-actionnaire
Dans la logique d’une économie mixte qui commence à trouver ses limites, l’État est actionnaire de la plupart des grands groupes français. Mais il arrive qu’il choisisse de ne pas véritablement prendre part aux grandes orientations stratégiques de certains groupes, excepté lorsqu’il envisagé de l’exclure du CA, comme dans le cas de la fusion avortée EADS et BAe Systems. Mais même dans la situation d’un État actionnaire silencieux, on comprend mal que le gouvernement n’use pas de ce levier de propriété pour infléchir des comportements nuisibles à la vitalité du tissu économique. En 2007, GDF-Suez présidé par Gérard Mestrallet est par exemple devenu actionnaire majoritaire de la Compagnie du Vent. Après des débuts prometteurs permettant à la Compagnie du Vent de se positionner sur d’importants appels d’offre, les véritables buts du nouvel actionnaire majoritaire se sont fait connaitre. Entrée au capital pour la soutenir dans l’obtention de certains marchés (marchés finalement « donnés » à d’autres filiales du groupe) GDF-Suez a fini par évincer le PDG et fondateur de la société, Jean-Michel Germa, pour mettre en route le démantèlement progressif de la compagnie et le rapatriement des technologies. GDF-Suez a ainsi très ouvertement siphonné le contenu technologique de sa nouvelle filiale. L’affaire est toujours en cours devant les juridictions françaises tant civiles que pénales. Mais GDF-Suez semble coutumière du fait, puisque une autre de ses filiales, Energia, l’accuse de l’avoir « laissée tomber », et de procéder au démantèlement de la société après récupération des savoir-faire et de brevets. Aux dires de son fondateur, qui a laissé entrer de la même façon GDF-Suez au capital, Energia commençait à la concurrencer dans le domaine du gaz. Mais plutôt que de laisser se développer des entreprises qu’elles contrôlent, ces sociétés préfèrent manifestement étouffer dans l’œuf toutes les velléités de concurrence.
L’énergie photovoltaïque n’échappe pas à la tendance de vouloir asphyxier les PME, filiales ou non. Mais cette fois, c’est EDF-EN (filiale Energies Renouvelables d’EDF) qui est incriminée par la société Ciel et Terre, pour distorsion de concurrence et abus de position dominante. Dans une lettre ouverte à la Ministre de l’Ecologie datée de 2011, cette société dénonce l’omniprésence de la société dans les appels d’offre, qui étouffe littéralement la concurrence, et les conditions très avantageuses, mais à la légalité discutable, dans lesquelles EDF-EN exerce son activité.
L’État doit comprendre qu’il y a là une véritable occasion pour redynamiser une filière sinistrée et susceptible de créer des milliers d’emplois dans un secteur d’avenir. Alors que l’actuel chef de l’État se posait en ennemi de la finance et des logiques purement actionnariales, il peut saisir l’occasion de passer de la parole aux actes, en assumant simplement le rôle que l’État peut avoir dans des entreprises qu’il détient pour partie. Il n’est pas déraisonnable d’imaginer que l’on peut concilier le développement de champions nationaux et celui d’ETI pérennes de haute technologie, particulièrement dans un domaine qui fait consensus.