Nous croyons que nous sommes en paix car nos frontières ne sont pas menacées, en réalité la France est en guerre depuis de nombreuses années en accord avec ou en soutien de ses alliés, les pays membres de l’OTAN. Une guerre a un coût, c’est un investissement, et elle n’est donc pas fortuite. Or, les raisons de ces guerres sont généralement cachées, nous n’en connaissons que la propagande. De nos jours, la propagande de guerre est tellement absurde et controversée que nous avons des difficultés à comprendre les enjeux. Nous ne savons donc plus pourquoi nous faisons ou finançons des guerres. Nous allons chercher à comprendre les raisons et les idéologies sous-jacentes aux guerres.
Pourquoi faisons-nous des guerres ?
A l’époque de la République Romaine, qui comme nos démocraties actuelles étaient toujours en guerre, les Romains faisaient des guerres pour voler les ressources des pays qu’ils combattaient. En gagnant les guerres ils augmentaient leurs propres richesses. L’enjeu de ces guerres coloniales était donc principalement le vol.
Nous prendrons comme hypothèse que la seule raison de la guerre est aujourd’hui encore le vol. En effet, la guerre a un coût, c’est donc un investissement. D’un côté, nous devons chercher à réduire notre investissement qu’il s’agisse d’argent ou de vies humaines, d’un autre côté nous allons chercher à ce qu’il soit rentable.
De tout temps, la façon la plus simple de réduire l’investissement a toujours été de faire faire la guerre par les autres, soit en générant des conflits, par exemple en finançant des révolutions ou en profitant des crises, soit en fournissant des armes aux belligérants.
C’est donc la question de la rentabilité de l’investissement qui est la plus intéressante. Tout d’abord le résultat d’une guerre n’est pas toujours assuré, nous pouvons donc perdre notre investissement, ce fut le cas de certaines guerres passées où les conflits pouvaient dégénérer et conduire à des pertes considérables. Comme nous faisons la guerre pour voler quelque chose, il faut comparer le coût de notre larcin à celui de l’investissement.
Pour comprendre une guerre, nous devons donc rechercher ce que nous voulons voler, il peut s’agir de territoires, comme par exemple un accès à la mer ou une bande de terre pour faire transiter des biens ou des ressources, des ressources, comme l’eau, le pétrole, le gaz, l’uranium... ou plus simplement les biens des populations.
La guerre a nécessairement un aspect idéologique
Les raisons des guerres peuvent donc paraître simples mais c’est parce que nous oublions un paramètre, c’est la façon dont nous allons organiser le vol. Or, l’organisation du vol s’appuie sur l’idéologie sous-jacente du pays qui provoque la guerre.
A l’époque des guerres coloniales, l’idéologie était principalement basée sur la croyance que les pays étaient sous-développés ou peuplés de barbares et qu’il était donc logique de les conquérir pour les aider à profiter de leurs ressources. C’était une idéologie, nous pouvions imaginer ce que nous voulions pour justifier que ces pays pouvaient trouver profit à se faire voler. Dans une colonie, l’organisation du vol était relativement simple, nous prenions possession du pays, nous organisions le transport des ressources, nous levions des impôts.
De nos jours, nous n’avons pas de souci à analyser ce qu’ont pu faire nos ancêtres, nous considérons que la base idéologique du colonialisme était mauvaise et donc nous pouvons ignorer nos fausses bonnes intentions et regarder les choses en face : l’objectif premier était bien de piller les ressources de ces pays. Nous devons par ailleurs comprendre que le colonialisme était alors considéré comme une bonne chose, c’est-à-dire que nous y adhérions. Donc si à l’époque nous avions cherché à comprendre les raisons de nos guerres, nous aurions eu du mal à les trouver car elles étaient ancrées dans nos mentalités.
Nous ne sommes plus dans une idéologie colonialiste. Comme notre objectif est toujours le vol, nous pourrions penser le contraire, mais c’est simplement parce notre façon d’organiser le vol est basée sur l’idéologie actuelle et que nous n’en avons pas conscience.
L’idéologie de nos sociétés [1]
Pour comprendre les croyances sur lesquelles reposent nos sociétés modernes, nous devons déjà comprendre ce qu’est une croyance.
L’une des rares croyances admises est celle en Dieu. Aujourd’hui, le débat sur l’existence de Dieu est abandonné même par le Vatican. Il n’y a pas de débat, c’est une croyance à laquelle chacun peut adhérer en fonction de ses intérêts. Ce ne fut pas toujours le cas et je ne peux m’empêcher de citer une partie de la démonstration de Saint Thomas d’Aquin (1224-1274) :
Nous voyons que des êtres privés de connaissance, comme les corps naturels, agissent en vue d’une fin, ce qui nous est manifesté par le fait que, toujours ou le plus souvent, ils agissent de la même manière, de façon à réaliser le meilleur ; il est donc clair que ce n’est pas par hasard, mais en vertu d’une intention qu’ils parviennent à leur fin. Or, ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin que dirigé par un être connaissant et intelligent, comme la flèche par l’archer. Il y a donc un être intelligent par lequel toutes choses naturelles sont ordonnées à leur fin, et cet être, c’est lui que nous appelons Dieu [2].
La démonstration ne semble pas ridicule si nous ne faisons pas l’effort de l’analyser. Pourtant, Saint Thomas d’Aquin démontre une chose indémontrable, l’existence de Dieu, par des affirmations qui sont elles-mêmes indémontrables. Aujourd’hui, nous sommes cernés de démonstrations tout aussi absurdes, comme par exemple :
La vraie démocratie, c’est le marché : le "peuple" ne peut vraiment décider que lorsque chacun des citoyens décide effectivement lui-même de tout ce dont il est humainement possible de décider directement. Par conséquent, tout progrès de l’étatisme usurpe le pouvoir des citoyens et détruit la démocratie : le socialisme est incompatible avec la démocratie réelle définie par le seul principe qui puisse la justifier : que chacun a le Droit de décider des affaires qui sont les siennes [3].
Nous pouvons avoir du mal à comprendre que le libéralisme, le néolibéralisme, les théories de l’économie... sont des croyances car ce sont nos idéologies, nous ne pouvons les remettre en cause sans changer nos habitudes de vie. Pourtant, ce sont des croyances car nous ne pouvons pas plus démontrer leur réalité que nous ne saurions démontrer que Dieu existe ou que le colonialisme était bon. Nous ne pouvons démontrer leur réalité qu’en nous appuyant sur des inepties comme celles que j’ai citées. Souvent, elles sont justifiées par des citations de prix Nobel, ce qui nous évite l’effort de chercher à comprendre, si c’est un prix Nobel qui l’a dit... A défaut de prix Nobel, elles peuvent être justifiées par la logique aristotélicienne, Aristote était un grand homme, tout le monde le sait.
Entendons-nous bien, je ne dis pas que les prix Nobel sont idiots, pas plus que Saint Thomas d’Aquin ou qu’Aristote, d’ailleurs, chacun à le droit de croire ce qu’il veut. Je ne dis pas non plus qu’ils n’ont pas mérité leur prix, mais ce n’est pas parce que nous obtenons un prix Nobel que nos travaux ont une réalité quelconque. Par exemple, nous décernons des prix Nobel en Mathématiques, cela ne veut pas dire que les Mathématiques ont une réalité concrète dans le monde qui nous entoure.
Quand nous parlons de croyances, comme par exemple la croyance en Dieu, il n’est pas possible de montrer qu’elles sont vraies ou fausses. Nous pouvons y adhérer ou ne pas y adhérer. Dans nos sociétés, nous adhérons par défaut à une forme de libéralisme.
A qui profite le crime
A l’époque du colonialisme nous pourrions croire que le crime profitait à tous, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une volonté des gouvernements d’accroître le bien-être d’une population en volant les biens d’une autre population. Le schéma est un peu simpliste, il sous-entend que l’investissement est réalisé directement par l’état et que le retour sur investissement est équitablement distribué. Cela n’a jamais été le cas.
A l’époque de la république Romaine, les patriciens finançaient la guerre avec pour objectif de gagner de l’argent, ceux qui participaient à la guerre gagnaient le droit de piller directement une petite partie du butin, les citoyens Romains profitaient d’une richesse accrue de la République, en l’occurrence d’esclaves plus nombreux et donc bon marché. Lorsque nous vivions dans un royaume, les nobles finançaient les guerres pour agrandir leurs territoires et donc profiter de l’augmentation des ressources disponibles. Pour comprendre les guerres de notre époque, il est donc important de comprendre comment fonctionne le vol dans nos sociétés libérales, aussi nous allons définir un modèle simpliste et le comparer au modèle économique de nos sociétés.
Pour produire, nous avons besoin de matières premières qui proviennent de la terre, c’est donc gratuit, la terre ne nous réclame rien. A partir de ces matières premières nous devons construire des moyens d’extraction, de transformation, de production et les utiliser pour produire des produits, c’est ce que nous faisons dans nos sociétés. Sur ce modèle, le travail est implicite puisqu’il faut produire, les populations doivent donc s’organiser pour le bien-être commun.
Le modèle économique dominant modélise une organisation particulière pour produire, une parmi toutes celles que nous pourrions imaginer, basée sur le travail salarié, les entreprises, le capital (les personnes qui possèdent du capital, donc de l’argent)... C’est la notion de capital permettant, d’après ce modèle, de financer la production qui autorise que certains puissent profiter du système. Par exemple, celui qui possède du capital ne participe aucunement à la production, il se contente de toucher des dividendes ou des intérêts. Nous voyons ainsi que le modèle économique induit une répartition des richesses très hétérogène entre ceux qui possèdent le capital et ceux qui doivent travailler.
Ainsi, nos sociétés comme les précédentes sont basées sur le vol d’une classe de la population au profit d’une autre. De nos jours, ce vol profite aux possesseurs du capital, les gens les plus riches. Notons que lorsque je parle des gens les plus riches, je parle des possesseurs du capital, souvent cachés derrière des personnes morales, à ne pas confondre avec les classes moyennes qui peuvent disposer de revenus (très) conséquents fruits d’un travail salarié ou non. Bien entendu, nous pouvons être à la fois être possesseurs d’un petit capital et faire partie de la classe moyenne, ce qui rend plus difficile l’identification des voleurs.
Ainsi, en identifiant les voleurs, nous pouvons comprendre d’une part que le vol s’organise autour des personnes physiques ou morales qui profitent du crime, c’est-à-dire les possesseurs du capital, les multinationales et les banques. La stratégie de nos guerres est donc de permettre à ces personnes de s’installer dans les pays conquis pour voler leurs ressources et pour s’ouvrir de nouveaux marchés, c’est-à-dire voler leur population.
La propagande de guerre
Nous sommes des êtres complexes, nous justifions nos actions par des croyances [1]. Pour caricaturer, à l’époque coloniale nous ne disions pas je vais conquérir tel pays pour voler sa population, mais je vais conquérir tel pays car ce sont des barbares.
Nous n’avons pas changé nos façons de penser, donc nous faisons pareil, nous ne disons toujours pas que nous faisons les guerres pour voler les populations. L’idéologie actuelle est le libéralisme, portée par ce que nous appelons des démocraties qui sont regroupées au sein de l’OTAN. Donc, pour justifier nos guerres, nous utilisons un dogme spécifique à nos démocraties, que nous appelons les droits de l’homme [4], porté par l’ONU. Pour cela, il n’est pas nécessaire que les pays signataires les respectent, ce n’est d’ailleurs pas toujours le cas. Il faut que les droits de l’homme soient porteurs de l’idéologie libérale, ce qui est le cas.
C’est ainsi que l’objet principal de la propagande de guerre c’est le respect des droits de l’homme. Il suffit donc de diaboliser les pays que nous voulons piller, de préférence sur les aspects qui n’ont pas de rapport avec notre propre crime, le vol. Nous cherchons ainsi à transformer les belligérants en dictateurs sanguinaires, rarement en individus qui accaparent les biens d’autrui, puisque c’est ce que nous cherchons nous-mêmes à faire.
Je laisse le soin aux lecteurs, parmi les guerres récentes ou actuelles, à rechercher par eux-mêmes ce que nous cherchons à voler aux populations et la façon dont nous l’avons justifié.
Enfin, de nos jours, nous pouvons comprendre que ce n’est pas un pays qui fait la guerre, mais un groupe de pays. Ainsi, petit à petit nos guerres concourent à coloniser le monde et à uniformiser les croyances, c’est peut-être ce que certains appellent le nouvel ordre mondial.
Hervé BOURGOIS