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La fabrication de l’héritage

Dans mon dernier article, j’en appelais à la métaphysique pour tenter de démontrer que le besoin de propriété (exacerbé par le système capitaliste que nous subissons) n’a pas de réel fondement anthropologique, sauf pour le couple sédentaire qui élève dans un foyer déterminé ses enfants et, à terme, leur lèguera un héritage (matériel).

Cela dit, la propriété individuelle, encouragée par les lois de l’hyperconsommation et l’égocentrisme régnant (ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui « la culture du selfie »), n’a, à mon sens, qu’une fonction de séduction et d’autosatisfaction. Voilà simplement une façon codifiée, avec l’argent pour valeur de référence, de discriminer les « possédants » des « non-possédants » en réservant l’autorité à une élite matérialiste.

Puisque l’héritage (que j’associe à l’« idée d’éternité ») s’impose ici comme une question centrale dans la marche en avant de l’homme en tant qu’individu engagé et en tant qu’être social, réfléchissons aux différents sens et aux différentes formes qu’on peut lui donner.

Qu’est-ce qui amène à léguer, transmettre ? Pourquoi donner en héritage ? Et que donner ? L’on pourrait dire dans un premier temps, de façon assez triviale, que c’est la conscience de sa propre mort qui amène à penser à l’utilité (collective) des actions entreprises et des œuvres produites au cours de sa vie : en quoi celles-ci vont-elles bénéficier à ses congénères, à son environnement ? Mais je crois surtout que l’intention relève d’un élan naturel basique, qui vise (somme toute assez égoïstement) à l’épanouissement de soi en participant à celui des autres ; l’empathie nous distinguant fondamentalement de la bête.

Il y a là deux dimensions à considérer : l’héritage tribal (ce qu’on lègue à ses proches, ses enfants), et l’héritage universel (ce qu’on lègue, indifféremment, à l’humanité). En ce sens, il me semble que la responsabilité de chacun est double, et je dirais même qu’elle est d’abord, prioritairement, universelle, dans la mesure où la famille peut être perçue (au-delà de ses fonctions protectrices évidentes) comme un système artificiel et restrictif fondé sur la croyance en la sacralité des « liens du sang », surtout lorsqu’on en mesure les dégâts sur des individus restés sous l’emprise parentale, ou plus largement tribale, à l’âge adulte.

Si l’héritage laissé à sa descendance est encadré formellement, légalement, suivant des préceptes culturels et matériels, celui qu’on « laisse au monde » s’avère en revanche inquantifiable, voire insaisissable, car relevant d’un altruisme diffus, spirituel, et par définition informel. Voici ce que j’entends, un peu plus concrètement, par « héritage universel » : un savoir-faire professionnel, une œuvre artistique ou scientifique, une volonté politique ou une pensée philosophique (pas nécessairement formulées et théorisées, mais au moins transmises par un comportement donné), et encore plus banalement ce que j’appellerais, dans les relations humaines, « la foi en l’autre », c’est-à-dire une dynamique, une énergie qu’on communique autour de soi comme la plus efficiente des croyances, à l’image du parent ou du professeur qui élève.

La foi en l’humain, tel est l’héritage secret, invisible et entièrement gratuit, qui participe le plus massivement à cette idée d’éternité. Car c’est bien cela que nous devons retrouver d’urgence : la gratuité des choses et des actions menées, dans un monde d’algorithmes, de contrôles et de profits systématiques, où tout est monnayé et idéologisé. Il s’agit de laisser à nouveau sa place à la grâce des échanges, au hasard des rencontres, à l’amour – et non la peur – du temps.

Et c’est bien là la fonction première, essentielle, de la culture : élever. Élever par le savoir-faire, la volonté, l’art, le sport et la communion avec des idées. En convoquant la nature, la beauté, la vie et la nécessité de leur renouvellement, à travers des propositions sociales, idéales, à travers des modèles de création, d’innovation et de dépassement. Mais une société qui a chassé ses artistes, ses écrivains, ses scientifiques et ses penseurs pour leur préférer officiellement des imposteurs, des communicants et des pervers cooptés, ne peut raisonnablement prétendre à l’harmonie.

Non, le talent n’a pas disparu. On l’a simplement tu, étouffé, exclu voire condamné, au nom du tribalisme mondain et de la tyrannie idéologique du média, qui font passer des fauteurs de guerres multirécidivistes pour des « philosophes », du bruit pour de la musique, des romans de gare pour des chefs-d’œuvre de la littérature ou de la propagande pour du journalisme.

Mais le talent est partout, bien présent, dans la patience et l’anonymat citoyens, loin des salons parisiens et des scènes surexposées : son parfum se répand silencieusement dans le monde comme un remède incontrôlable à l’injustice, et, en affirmant solidairement sa vérité, s’abat sur l’autorité prédatrice comme une rafale de kalachnikov. La justice, pacifique et réelle, n’étant qu’une question de temps. Et d’audace...

Que restera-t-il, humainement et spirituellement, de ces semblants d’artistes, de ces semblants de politiques que l’on nous impose, de façon indécente et toujours plus agressive, comme une invitation permanente à l’insurrection ? Que restera-t-il des tricheurs, des corrompus et des intouchables au pouvoir ? Rien. Ils laisseront derrière eux le souvenir d’êtres nuisibles, d’une malheureuse laideur, qu’on n’aura su soigner ni remettre à leur place. Mais jusqu’à quand oseront-ils nous confisquer notre temps ?

COMMENTAIRES  

03/11/2024 10:22 par Assimbonanga

Hé ben dis-donc Rorik, c’est un article pour la Toussaint ! Ça tombe à pic. La mort et l’héritage, que laisserons-nous au monde ? Hé bien, nous laisserons, collectivement, un continent de plastique, faudrait pas l’oublier celui-là !
Plus notre maison est propre, plus nous laissons de choses au ramassage des ordures par les éboueurs, au tri sélectif et à la déchetterie. C’est aussi notre héritage mais caché, rejeté hors de notre vue.
Notre XXIème siècle va laisser une couche de polluants, de matériaux et de molécules éternelles dans les strates de la terre.

03/11/2024 13:45 par act

@LGS : S’agit-il d’une expérience sociale ? D’une forme de test du lecorat de LGS ?
En l’espace de moins de deux semaines nous avons droit à quatre articles de Rorik, nous sommes gâtés !
Textes abordant des thèmes aussi essentiels, face à la situation actuelle qui cumule génocides et guerres :
- l’héritage
- savoir faire et volonté
- la possession et le partage (dans le couple !)
- la fidélité

Quatre textes qui nous proposent d’entrer dans la psyché, les clichés et les préjugés de Rorik,
quatre textes qui ne m’ont absolument rien appris, vous ont-il appris quelque chose (mis à part les interrogations de Rorik) ?

Je passe peut-être à coté que quelque chose d’important, donc Messieurs Vivas ou Dedaj, pourriez-vous m’éclairer ? Merci d’avance.

(parfois l’impression de lire une version masculine d’une auteure, dont j’ai oublié le nom, qui sévissait ici il n’y a pas si longtemps)

03/11/2024 17:05 par Abdul

Impression partagée ô grand(e) act... (dites-moi, votre énigme de fin, est-ce qu’elle n’aurait pas comme initiales la 4ieme et 13iéme lettres de l’alphabet ???)

03/11/2024 17:36 par Rorik

quatre textes qui ne m’ont absolument rien appris

Oh ben mince alors ! Promis, rien que pour toi, je m’engage à faire la recension du prochain Glucksmann.

P.S. : Tu veux bien t’abstenir de faire caca sous chacun de mes articles ? Peut-être que certains lecteurs (silencieux) y trouvent un écho à leurs propres pensées, on ne sait jamais.

04/11/2024 09:45 par J.J.

Apparemment il y en a que ça dérange que l’on dénonce le fait de faire passer "les fauteurs de guerres multirécidivistes pour des « philosophes », du bruit pour de la musique, des romans de gare pour des chefs-d’œuvre de la littérature ou de la propagande pour du journalisme.
Curieuse réaction que de refuser de voir que le roi est nu.

04/11/2024 10:56 par act

Rorik vous êtes vulgaire dans les commentaires. Autant vous vous appliquez à paraitre posé et réfléchi dans vos textes, autant vos commentaires trahissent votre nature.

Je ne défèque pas sous vos textes, les lecteurs qui ne se seront pas arrêtés à vos textes, ou avant, pourront le constater : j’exprime des réflexions argumentées, souvent des contradictions, forcément mais pas que, parfois je vous rejoins.

Quand je m’adresse à vous de manière courtoise et argumentée vous ne répondez que rarement et brièvement,
afin d’éviter un positionnement politique plus clair et assumé ?
Lorsque je commets un commentaire méchant (et prétentieux), vous voilà enfin mais pour la vulgarité, dommage mais prévisible.

04/11/2024 11:05 par act

Ô petit Abdul, oui en effet, c’est bien cela.
Mais réflexion faite, cette auteure, bien qu’agaçante, m’avait parfois informé, appris ;
de plus elle était ouverte au dialogue et n’était pas vulgaire.

04/11/2024 13:45 par xiao pignouf

l’empathie nous distinguant fondamentalement de la bête

Vouloir à tout prix séparer l’homme du monde animal, bref de la nature (encore une contradiction), c’est bien une manie chrétienne.

S’il y a beaucoup de différences entre l’homme et l’animal, l’empathie n’en est pas une, par contre les croyances diverses et variées, si.

04/11/2024 15:51 par Assimbonanga

C’est ben vrai, ça ! Rorik ne répond pas aux arguments qu’on objecte à ses articles mais il réagit aux piques par l’émotion. Ça tranche avec le sérieux académique qu’il affecte dans ses textes.

04/11/2024 18:59 par Rorik

Navré mais je dispose de peu de temps pour faire la conversation, sauf si les règles élémentaires de courtoisie ont été respectées. Je ne réponds pas aux "attaques obsessionnelles" des uns et des autres, et il est fatigant de devoir se justifier devant l’ingratitude et la suspicion permanentes de quelques commentateurs. Les réponses à vos questions sont dans mes articles, passés ou à venir. Évidemment mes textes sont artisanaux, marginaux, parfois radicaux, et ils comportent des contradictions, je l’admets. D’ailleurs quelqu’un demandait ce qui distingue l’homme de l’animal, eh bien voilà un élément de réponse : l’homme est un être paradoxal. Et les paradoxes font la vitalité de l’homme (avec ses tourments et ses aspirations), c’est aussi ce qui le distingue de la machine...

04/11/2024 23:50 par act

Si je vous adresse ces questions, comme d’autres, c’est précisément par ce que vos textes n’y répondent pas ou si peu et encore, c’est à l’insu de leur plein gré.

Il faudra vous y faire, comme le Muppet Show a son duo : Sir Gaston Statler et Sir Victor Waldorf, LGS a son trio : Xiao, Assim et moi même, pour vous servir.

05/11/2024 00:21 par act

J’avais manqué cette fulgurance, merci camarade Xiao :

« l’empathie nous distinguant fondamentalement de la bête »

De fait, là où la plupart des animaux feront preuve d’empathie, de solidarité, les humains, particulièrement les roses, bien que capable d’empathie, sont aussi parfaitement capable de poursuivre les réjouissances d’Halloween par exemple, tandis qu’un génocide se déroule à la face du monde.

Plus sérieusement, il semble que vous n’ayez jusqu’ici pas pris le temps de lire le prince anarchiste :
"L’Entraide, un facteur de l’évolution"
D’autres études plus récentes et complètes, facilement accessibles sur la toile, pourront vous le confirmer.

06/11/2024 16:17 par Abdul

Merci, ô Grand Act, d’avoir ainsi frappé, et si bien, et vive la Belgique (et les pommes de terre frites, ©Tintin l’oreillette cassée je crois)

Et, hélas, honte, halloween comme si de rien n’était, et avant ce fut jeux zozolympiques et et toutour de france, et demain c’est le genocideur qui est reçu au salon... Ce pays est à rayer de la carte

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