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La démission de Benoît XVI : une église en questionnement

Dans le message surprise, en latin, où il a annoncé sa décision de démissionner le 28 février, le pape Benoît XVI a expliqué n’avoir « plus les forces » nécessaires pour exercer ses fonctions en raison de son « âge avancé ». « Par un texte précis, écrit Frédéric Mounier, fruit de longues méditations, Benoît XVI a fait éclater, lundi 11 février à 11 h 35, un coup de tonnerre dans l’Église ».

Ce geste, qui ouvre un conclave, pose des questions inédites, notamment le statut de l’ex-pape, en attendant que soit connu le successeur de Benoît XVI, courant mars. « Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, a-t-il dit, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien ».

Il s’agit d’une démission préméditée. Plusieurs signaux, pour certains infimes, avaient, depuis plusieurs mois, éveillé l’intérêt des observateurs de la scène vaticane. Tout d’abord, dans son livre Lumière du Monde, répondant aux questions du journaliste allemand Peter Seewald, le pape avait clairement envisagé cette possibilité. Autre indice : lorsqu’il s’est rendu dans les Abruzzes, le 3 mai 2009, après le tremblement de terre de L’Aquila, Benoît XVI s’était longuement incliné devant la dépouille de son prédécesseur Célestin V ».

L’invention de la papauté

Comment est née la papauté ? Est-ce que les Evangiles en parlent ? Est-ce que la parole du Christ : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mathieu 16-18) explique l’existence de l’Église ? On sait qu’après la mort du Christ, il n’y avait pas encore d’Église. Le mot Église vient du grec eklesia, l’assemblée du peuple. Le titre de pape n’est réellement apparu qu’à partir du concile de Nicée en 325, mais le terme n’a désigné exclusivement l’évêque de Rome qu’à partir de Grégoire VII, au XIe siècle. Dans le Catéchisme de l’Église catholique, l’autorité du pape est ainsi définie : Art. n° 936 : « Le Seigneur a fait de Saint Pierre le fondement visible de son Église.. L’évêque de l’Église de Rome, successeur de Saint Pierre, est le chef du Collège des évêques, Vicaire du Christ et Pasteur de l’Église tout entière sur cette terre ». Art. n° 937 : « Le Pape jouit, par institution divine, du pouvoir suprême, plénier, immédiat, universel pour la charge des âmes ».

L’histoire chaotique de la papauté a vu de nombreux antipapes, des dépositions, des assassinats et quelques renonciations. De plus, les modalités d’élection (ou de nomination) et d’intronisation ont plusieurs fois changé. De manière surprenante, la période confuse de 1045 à 1048 où se disputèrent la tiare, Benoît IX, Sylvestre III, Grégoire VI, Clément II et Damase II a été résolue en reconnaissant tous ces papes comme légitimes et en comptant trois règnes valables et non consécutifs pour Benoît IX. L’Annuario pontificio se garde prudemment de compter les papes : Benoît XVI y apparaît comme le 265e pape, mais la liste elle-même ne numérote pas les pontificats. C’est au lecteur de compter les noms pour arriver à ce résultat.

« L’histoire de la papauté, lit-on dans l’Encyclopédie Wikipédia, est inséparable de l’évolution doctrinale de la christologie et de la baisse de puissance des empereurs romains d’Orient. Le pape cherche à affermir son pouvoir spirituel et temporel et à passer du statut de simple évêque de Rome à celui de souverain. Pendant le Moyen à‚ge, le pape dut affirmer son pouvoir face à l’empereur et à la croissance des royautés. L’autre problème concerne la définition de la souveraineté du pontife : doit-elle se limiter aux affaires spirituelles (nomination des évêques et des abbés, définition du dogme) ou bien doit-elle déborder sur la sphère temporelle ? Dans la seconde option, le pape ne peut éviter l’affrontement avec les souverains qui règnent alors en Occident ».

Mgr Vingt-Trois : le chef de l’Église française a eu une phrase révélatrice, même si elle a été prononcée d’une façon légère, mais lourde de signification. Il signifie que l’ivresse du pouvoir conduit les papes à se prendre pour Dieu - souvenons-nous de l’infaillibilité du pape. Il remet donc le pape à sa place : « Le prochain pape ne doit pas se prendre pour le Bon Dieu ! »

une crise de la foi

« Un pape, ça ne démissionne pas », entend-t-on. Il est vrai que le pape est élu à vie mais il garde toujours la prérogative de résigner sa charge apostolique, comme en de très rares cas, le pape Célestin V pour vivre dans un monastère, ou Grégoire XII en 1415. Mais Grégoire XII l’a fait non en personne, mais par la voix d’un procurateur, le 4 juillet 1415, ce qui permit l’élection de son successeur Martin V, élu plus tard, le 11 novembre 1417.

Les causes possibles de sa démission

La décision surprise vient clore huit années d’un pontificat rythmé par les scandales. Il devait être un « pape de transition » après Jean-Paul II. « Élu au Vatican en 2005, Benoît XVI avait été choisi pour son âge déjà avancé - 78 ans à l’époque - et son positionnement conservateur ». La raison officielle de son renoncement est le grand âge et l’impossibilité de remplir correctement sa charge.

La deuxième cause importante ce sont les affaires de pédophilie des prêtres et l’affaire du majordome qui a éventé les arcanes du fonctionnement du Vatican. « Son pontificat, lit-on dans une contribution du journal 20 minutes, a été plus mouvementé que prévu. En huit ans, Benoît XVI a été confronté à plusieurs scandales qui ont ébranlé l’Église ». L’affaire des prêtres accusés d’abus sexuels sur des mineurs au cours des dernières décennies a été la plus grave. « Il avait participé à l’étouffement de ces affaires, relève Frédéric Lenoir, sociologue et historien des religions, Benoît XVI a toutefois fait preuve d’une grande fermeté une fois pape. Dans un climat de honte et d’humiliation, il a condamné durement ces « péchés », accepté des démissions d’évêques, demandé pardon aux victimes et reconnu qu’une « purification » s’imposait au sein de l’Église ».

Dans le même ordre d’idées, en 2012, le pape fut confronté au scandale de fuites de documents confidentiels au sein du Vatican. Surnommée « Vatileaks », cette affaire, qui révèla les profondes rivalités au sein de la Curie romaine, conduisit à l’arrestation de son propre majordome, Paolo Gabriele. Selon Mgr Michel Dubost, évêque d’Évry-Corbeil-Essonnes, « Benoît XVI a été très affecté par cette affaire. « Cela l’a éprouvé et fatigué. Il a été ’’trahi’’ par un proche ». Frédéric Lenoir est encore plus direct. Pour lui, « le scandale Vatileaks est la cause principale de la démission de Benoît XVI. Il n’est plus en état de gérer ces querelles violentes, même si l’affaire est juridiquement terminée ».

La troisième raison - de notre point de vue de loin la plus importante et la plus grave - pour l’Eglise, est d’abord, le constat de la crise des vocations. Malgré l’Opus Dei, que l’on appelle les « légionnaires du Christ » les Églises se vident. L’Église perd pied et les sociétés occidentales remettent en cause le fait religieux dans son ensemble. Nous le voyons avec l’éclatement de la famille traditionnelle remplacée entre autres par « le mariage pour tous » et dont les conséquences seront imprévisibles car toutes les religions sont confrontées à cette « modernité ». Au lieu d’inventer une nouvelle façon de s’adapter ensemble, chacune dans sa spiritualité, les religions chrétienne et juive pensent que le mal est l’Islam et qu’il faut à tout prix réduire en se taisant quand les pays occidentaux encouragent justement les extrémismes dans les pays musulmans. Mieux encore, la première chose faite par Benoît XVI après son élection fut de supprimer le secrétariat pour le dialogue avec les religions, une des retombées de Vatican II, conservé par Jean-Paul II. Il a fallu attendre ces dernières années pour que Benoît XVI se fasse violence et renoue un dialogue auquel il ne croit pas.

Une Eglise en questionnement en face d’une science conquérante

Une autre raison, qui aurait contribué à sa décision, concernerait son désarroi devant les conquêtes de la science. Les miracles sortent à la chaîne des laboratoires et sont à la portée du premier venu pourvu qu’il soit un savant. Souvenons-nous comment le clonage de Dolly a été mal vécu par les religions. Le biologiste, Craig Venter a synthétisé la première cellule vivante. Des biologistes étatsunien proposent de « marier » le patrimoine génétique de l’homme du Neandertal qui a vécu il y a 35.000 ans - et dont, ils ont pu reconstituer le génome à partir de son ADN avec, celui d’une femme du XXIe siècle ! Par ailleurs, l’homme réparé est une réalité. On peut changer tous les organes ou presque de l’homme et lui prolonger la vie. On peut lire dans les pensées d’un individu. Dans le domaine de l’univers, le boson de Higgs nous explique le fondement de la matière primordiale et les premiers balbutiements de l’univers. Enfin, le robot Curiosity nous parle de l’histoire de Mars en forant pour rechercher la vie.

Devant toutes ses avancées, que fait l’Église ? Après avoir longtemps été dogmatique et promis le bûcher lors de l’Inquisition, elle « suit le mouvement » et recule en s’installant dans le concordisme. Pour Jean Paul II, le big bang, c’est le « fiat lux ». Le pape a essayé de s’accrocher à la modernité en conversant avec les astronautes ou en ouvrant un compte Twitter pour échanger avec les internautes. Rien n’y fit, le pape ne comprend pas le siècle.

Que pouvons nous retenir de Benoît XVI ancien pape redevenu cardinal ?

Benoît XVI laisse, dit-on, l’image d’un pape « humble, spirituel et identitaire ». Peut-être, car personne ne remet en cause sa science, mais qu’a-t-il fait pour l’ouverture ? Que reste-t-il de Vatican II qui avait donné l’illusion de l’apaisement inter-religieux ? Pour Fiammetta Venner, « des courants au sein de l’Église catholique tentent depuis la fin de Vatican II de le vider de son sens. (…) Alors qu’il n’était que le cardinal Ratzinger, le pape Benoît XVI estimait déjà que Vatican II n’était qu’une parenthèse. (…) Il a ainsi ouvert la porte de l’Église à des intégristes membres de la Légion du Christ, de l’Opus Dei et à des traditionalistes. (…) Benoît XVI s’entête à affirmer que l’Église est supérieure. Il interdit même l’emploi du terme Église-soeur, ce qui est la base de Vatican II. Le pape s’appuie sur des réseaux qui, pour certains, étaient déjà présents sous Jean-Paul II. Il confie ainsi aux Légionnaires du Christ la lutte contre l’oecuménisme. »

Une autre « faillibilité » du pape est son sacerdoce à présenter l’Europe comme la matrice du christianisme, le berceau unique de la chrétienté. Pour lui, l’Europe n’aurait d’existence que par une évolution siamoise interdépendante du christianisme. Il faut quand même rétablir l’histoire du christianisme en Europe. Le christianisme s’est bâti à Constantinople, est né en Palestine et s’est répandu au Proche-Orient. Le fait que certains « Romains » veulent se l’approprier est quelque chose qui se doit d’être mis au clair. Selon l’historien Claude Lepelley, le christianisme occidental latin est né en fait en Afrique du Nord. Qui ne connaît les Berbères, Augustin d’Hippone - l’un des Pères de l’Eglise -, Tertullien Lactance, Donat qui ont contribué à « asseoir le christianisme ». Il n’y a rien d’européen dans le martyre de Salsa de Tipaza ou de Roba la Berbère qui lutta pour un christianisme des déshérités. Qui peut oublier que la Vierge Marie aurait passé les dernières heures de sa vie aux côtés de l’apôtre Jean, dans un sanctuaire près de la cité antique d’Éphèse dans l’actuelle Turquie ? C’est dire si l’infaillibilité du pape est un mythe. »

Par ailleurs, comme rapporté par le journal L’Orient le Jour, « (…) le pape a défendu la famille traditionnelle, et est resté sur la ligne constante de l’Église hostile à l’avortement et l’euthanasie. La première polémique en 2006 l’a opposé au monde musulman quand il avait dénoncé la violence au nom de la religion, dans une allusion indirecte à l’Islam. Dans son discours de Ratisbonne il a dénié aussi à l’Islam toute rationalité. Le tollé soulevé a été en partie amoindri lors de la visite du pape en Turquie, quand il est allé prier dans la Mosquée bleue. La seconde a été déclenchée fin janvier 2009 par sa décision de lever l’excommunication de quatre évêques intégristes dont Richard Williamson » .

Les chantiers du futur pape

Selon Andrea Tornielli, expert de La Stampa, plusieurs éditorialistes comme le directeur du journal Repubblica Ezio Mauro ont salué « l’irruption de la modernité » dans une Église vieille de 2000 ans. On va vers des pontificats à terme et non plus à vie. Pour la succession, des noms circulent déjà avec insistance : l’archevêque de Milan, Angelo Scola, celui de Manille, Luis Antonio Tagle, ses collègues de San Paolo, Claudio Hummes, de New York, Timothy Dolan ou le Canadien, Mgr Marc Ouellet. Selon le prêtre Andrea Gallo,« en démissionnant, Benoît XVI a lancé un autre message : vu les scandales, le schisme caché, la chute verticale des vocations, les couvents pour femmes et hommes vides, beaucoup de catholiques en Europe et dans le monde qui abandonnent l’Église, il a compris qu’il faut affronter ces problèmes avec un mini-concile, un Concile Vatican III ». Sont cités les « thèmes fondamentaux » à aborder : la collégialité, la bioéthique, la sexualité, le célibat et l’ordination des femmes.

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"L’Occident a dominé le monde non pas par la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion mais par sa supériorité à recourir méthodiquement à la violence. Les occidentaux l’oublient souvent, les autres ne l’oublient jamais."

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