Je suis Airbus * (Sinistra In Rete)

ilsimplicissimus

Dommage que ce ne soit pas un attentat de l’Isis : la déception pour ce motif manqué de peur et d’alarme, qui pleuvrait comme une manne sur les nombreux comptes à rendre annoncés en Europe, se perçoit à l’œil nu, elle entre dans les humeurs et vous frappe à l’estomac. Au point que les médias et en particulier la RAI marginalisent dans une certaine mesure l’évidence d’un incident dans la chute de l’Airbus de German Wings et basent leurs commentaires sur l’arrière-pensée de l’attentat, mettant fortement l’accent sur le filon de la "sécurité".

S’il n’y a pas de motif concret d’alarme, si les événements de Tunis n’ont pas rapporté assez en termes de distraction, si les cellules djihadistes composées d’Albanais peuvent susciter quelque doute et créer une certaine confusion géographique, on peut exploiter tout triste événement en le lisant à la lumière du "comme si" c’était un attentat potentiel.

Du reste, c’est ce qui se passe en Europe : le fait que Hollande, Merkel et Rajoy (pourquoi pas aussi Renzi, puisque l’impact s’est produit à quelques kilomètres de la frontière italienne ?) se rendent sur le lieu de la tragédie "comme si" ce n’était pas un accident, en dit long sur le désir d’évoquer un ennemi extérieur, seul outil exploitable pour simuler un sentiment de solidarité désormais introuvable sur le continent - et comme démonstration d’une sensibilité autrement inexistante, mais simulable au moyen d’un tant soit peu de démagogie voyageuse. C’est une vraie malchance de ne pas pouvoir s’offrir une promenade avec la pancarte Je suis Airbus.

Avec des retournements paradoxaux, car le crash, comme en témoigne parfaitement la protestation des pilotes de German Wings, provient justement des dérégulations à l’américaine adoptées par Bruxelles et de la surexploitation subséquente de machines et pilotes : si l’Airbus est arrivé à la cote des 13000 mètres, altitude non prévue pour ce type d’appareil dont le plafond est d’à peine 12000 mètres, et donc potentiellement et sérieusement critique pour un appareil qui a 23 ans sur les épaules, et qui venait d’être réparé quelques heures auparavant, c’est dû selon toute probabilité à des systèmes qui ont subi des dysfonctionnements (à cause du gel, suppose-t-on) ou au manque de lucidité de pilotes poussés à bout. On voit donc venir en triste pèlerinage ceux qui devraient se demander s’il est juste de tout sacrifier au profit et au marché, comme ils l’ont fait et continuent à le faire.

Ce serait se conduire en chacals - et de plus banalement rituel – de dire qu’il s’agit d’une tragédie annoncée. Toutefois, il est impossible de ne pas voir que la hâte d’avoir des avions prêts pour le vol parce que le temps c’est de l’argent, le renoncement à investir dans la sécurité parce que contraire au profit - même quand de nombreuses situations critiques dénoncent la nécessité de modifications dans les projets ou les protocoles, l’exploitation du personnel navigant et des pilotes qui sont incités par le chantage à l’emploi à éviter de nuire au business même en présence de doutes, sont des facteurs qui augmentent incontestablement les risques. Et ce n’est peut-être pas un hasard si, dernièrement, le nombre des incidents a augmenté, surtout de ceux qui ne s’abattent pas avec fracas sur la chronique des faits divers, mais sont des tragédies évitées d’un poil.

De ce point de vue, il y a peu de différence entre les compagnies, disons "normales", ou nationales et les compagnies low cost qui se distinguent surtout par une structure financière différente : elles sont en fait subventionnées, plus que par les billets, par des contrats avec des organismes publics et des sociétés locales, liés surtout au tourisme, qui veulent, à tort ou à raison, des aéroports et les liaisons qui vont avec.

Ainsi donc, paradoxalement, le fer de lance du capitalisme volant est en réalité soutenu, de façon substantielle, par l’argent public. On voit à présent se dessiner une crise due au fait que les investissements faits il y a 10, 15, 20 ans arrivent à leurs limites opérationnelles et demandent des dépenses notables que ce soit pour l’acquisition de nouveaux appareils ou pour l’entretien en profondeur des anciens, tandis que l’exploitation intensive du personnel est déjà au maximum et son recrutement de moins en moins sélectif. La seule solution, c’est d’économiser sur l’entretien épisodique qui échappe aux contrôles.

Bien, mais de cette sécurité, on ne parle pas du tout. On essaie de la noyer dans autre chose, même quand cette autre chose n’a rien à voir avec le problème, pour ne pas devoir mettre le doigt sur le modèle qui s’est imposé et qui est celui de la gouvernance européenne. On meurt parfois du marché.

ilsimplicissimus

* en français dans le texte.

Traduction de Rosa Llorens.

http://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/4910-ilsimplicissimus-je-suis-airbus.html

 http://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/4910-ilsimplicissimus-je-suis-airbus.html

COMMENTAIRES  

29/03/2015 16:09 par Dwaabala

L’avion est le moyen de transport le plus sûr, suivi de près par le train.

29/03/2015 21:09 par JCC

La chaussure est normalement le moyen de transport le moins risqué depuis très longtemps (ou peut être la voiture blindée)

29/03/2015 23:05 par Taliondachille

L’avion est le moyen le plus sûr... de détruire la planète : pollutions directes, maintenance très polluante avec changements de pièces réguliers, surfaces agricoles stérilisées, image valorisant la vitesse et le tourisme de masse, etc. Et donc l’avion participe au formatage des consommateurs pour l’acceptation d’un capitalisme indépassable.
La solution est que ces saloperies restent au sol. Saloperie qui est défendue, de l’extrême-droite jusqu’aux anarchistes, pour le droit petit-bourgeois à la mobilité.

30/03/2015 01:48 par Dwaabala

Quand on a trouvé chaussure à son pied, on est parti pour de nombreuses heures de vol.

30/03/2015 09:06 par Dwaabala

@ Taliondachille
C’est dès la révolution industrielle du XVIIIe siècle en Angleterre et l’invention de la machine à vapeur qu’il fallait intervenir, pour revenir au rouet ; puis empêcher l’invention de l’électricité au XIXe, pour rester à la chandelle ; celle de l’automobile, pour s’en tenir au moteur à crottin ; enfin, au XXe, interdire les expériences des frères Wright en 1903, .ce qui aurait tué l’aviation dans l’œuf et forcé à traverser l’Atlantique à la voile.

31/03/2015 15:28 par sidonie

J’ai tout de suite pensé, quand j’ai entendu la nouvelle de l’accident, que le low cost des compagnies aériennes pour faire plus de profit qui en était responsable. Les passagers de cet avion dont bcp d’enfants tués dans ce crash sont les victimes sacrifiées à la course au profit, au profit, au profit de quelques uns.

C’était d’autant plus choquant de voir les "experts " d’état monter aux créneaux pour dire que les avions low cost étaient aussi fiables que les autres. Cela suffirait pour nous faire comprendre que oui c’est bien le low cost qui en est responsable car le gouvernement et ses sbires disent presque tjs le contraire de la vérité. Ce qui parfois la révèle à leur corps défendant.

31/03/2015 19:01 par Autrement

Je n’ai entendu personne à la télévision, ni responsable, ni autorité, ni journaliste, rappeler que jadis, il y avait DEUX co-pilotes en plus du pilote. C’est bien là encore le profit qui est en question. Comme dans les autobus péri-urbains et à la RATP, où le conducteur est tout seul pour faire face à l’imprévu et aux agressions.

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