De mon hamac bercé d’alizés, plongeant la main dans ma besace de livres et documents, le hasard m’offrit l’ouvrage le plus surprenant de l’année, désopilant, bourré d’humour "décalé" , le plus passionnant aussi : un rapport du FMI !
Oui ! Daté du mois d’août 2011, tout frais, le dernier rapport du FMI sur l’Iran ! (1)
Qui dit mieux ?...
A sa lecture, loin des diatribes hystériques coutumières, ce pays de 75 millions d’habitants, trois fois la France en superficie, apparaît comme un des meilleurs exemples actuels de gestion économique d’un Etat !
Le titre en est un peu lourdingue, style maison, bureaucratie assumée. Mais, ce mille-feuilles de commentaires, chiffres, pourcentages, et graphiques, mérite la dégustation pour ceux qui s’intéressent un tant soit peu aux « puissances économiques émergentes » : Islamic Republic of Iran : 2011 Article IV Consultation - Staff Report ; Public Information Notice on the Executive Board Discussion ; and Statement by the Executive Director for Iran
Ironie décoiffante !
Des experts du FMI en pleine galère ! Malgré eux, au terme de mois de travaux, contraints de déconstruire les clichés de la propagande impériale, l’iranophobie compulsive des « spécialistes » et « géopoliticiens » de la désinformation instrumentalisés par les lobbies prédateurs, dont les imprécations récurrentes ne cessent de se déverser, dégouliner, dans nos médias… Repris en choeur par nos politiciens ignares et corrompus. (2)
Cinquante et une pages de contorsions, pour reconnaître, après visites, inspections, discussions, passage au microscope des statistiques et de leur méthodologie d’élaboration (3), que de fantastiques progrès sont en cours.
En dépit de la fréquence des tremblements de terre (dont celui du 14 août dernier), exceptionnelles sècheresses [… severe drought … in 2008/09…] (4), embargos, sanctions, anathèmes, et autres "coups tordus" (5).
Jusqu’à concéder une croissance annuelle de 3,2 % pour le dernier exercice (l’année fiscale iranienne se termine ou commence le 20 mars de chaque année). (6) Avec des réserves en devises de 100 milliards de dollars, estimées à 109,7 milliards pour 2011/2012, pour être précis. (7)
Qui dit mieux ?...
Dans l’acharnement des occidentaux à déstabiliser ce pays, rappelons les mesures foncièrement illégales au regard des résolutions de l’ONU et engagements internationaux. Celles d’entraver, d’empêcher l’Iran de se connecter au réseau bancaire international et donc au système de paiements internationaux, pour effecteur ses transactions commerciales courantes. (8) Au point qu’un pays comme l’Inde, qui importe 20% de ses ressources énergétiques de l’Iran (12 % en pétrole), éprouvait récemment des difficultés pour le règlement de son fournisseur. (9) Mais, la solution vient d’être trouvée : toutes les idioties, même les plus perverses, sont contournables…
Obligés d’admettre que le pays connaît une croissance soutenue. Pas seulement grâce aux cours internationaux du pétrole et du gaz, mais aussi sous l’action conjointe d’une forte croissance du secteur agricole ("… strong rebound in agricultural sector and rapid credit expansion …" . (10) Auquel s’ajoute l’effet moteur d’une rapide extension du crédit en faveur d’un important secteur industriel, bien diversifié, tout particulièrement des petites et moyennes entreprises [… Iran has a relatively well-diversified economy with a sizeable industrial base…]. (11) Afin d’améliorer leur productivité, leur compétitivité, et faciliter la création de nouvelles initiatives.
Le gouvernement Iranien tout en développant l’habitat social a limité, en effet, les crédits hypothécaires spéculatifs dans l’immobilier, généralement captés par une poignée (pour ne pas dire "mafia" …) de grands propriétaires et entreprises du bâtiment, pour concentrer les ressources financières disponibles sur l’investissement réellement productif. Ce que fait apparaître l’ "Index of real estate prices at constant prices in Tehran" , descendant de 110 en février 2008 à 75 en juin 2009, pour se stabiliser depuis à ce niveau. Un des rares pays où la spéculation immobilière est jugulée… (12)
Tout en maîtrisant le risque d’inflation et améliorant les rentrées fiscales ("… Inflation was contained while fiscal and external positions improved …" . (13) Preuve que les grands équilibres macroéconomiques sont sauvegardés. Des finances ultra-saines, semblent se lamenter les experts. Aucun endettement auprès du FMI, ni accords spéciaux. (14)
Mieux encore : les perspectives sont bonnes (With prudent macroeconomic policies, the medium-term outlook is positive…) avec une croissance estimée par prudence à 4,5 % (la cible étant 8%), avec une inflation chutant de moitié pour se situer au niveau des pays européens de 12 % dès 2011/2012. Malgré un doublement prévisible de ses importations de biens et de services, les réserves sont évaluées à 305,3 milliards de dollars en 2016/2017. Soit un triplement par rapport au niveau actuel ! (15)
La lutte contre le chômage, notamment chez les jeunes, est une priorité du gouvernement et du parlement Iraniens. Avec un taux de 14,5 %, en 2010, il est comparable au niveau des pays européens. L’objectif immédiat étant de l’abaisser à 7% dès 2012. Politique volontariste, inscrite dans le 5° Plan de Développement Socio-Economique quinquennal [Socio-Economic Development Plan (2010-15)], lui-même intégré dans le plan de développement global du pays sur 20 ans : The 20-Year Outlook Plan (2005-25). L’Iran a créé 1,6 millions d’emplois lors du dernier exercice et vise, pour 2012, la création de 2,5 millions d’emplois. Avec comme objectif à terme : le plein emploi…
Remarquable réussite des réformes économiques
Au-delà de ces performances, ce qui est à retenir de la lecture du rapport du FMI c’est le "constat" de la remarquable réussite, à l’étonnement des experts eux-mêmes, portant sur la profonde rénovation en cours du système économique de l’Iran. Dans trois domaines majeurs, tout particulièrement :
1. Réforme des mécanismes de subventions
En décembre 2010, les subventions des prix de l’énergie et des produits agricoles ont été supprimées. Facteurs d’injustice sociale (le ’riche’ paye, pour des produits identiques, le même prix que le ’pauvre’) et de corruption (cf. les fortunes personnelles dans l’huile, le blé et le sucre, fondées sur ces mécanismes ...), les subventions sont extrêmement délicates à réformer. Il est essentiel de ne pas passer d’une injustice sociale, à une plus grave encore, accablant les précaires et les démunis. D’habitude, pour en oublier le volet social (la caste politique mettant la différence dans ses coffres), ces réformes provoquent les révoltes dites du « pain » ou de la « faim ».
Les autorités Iraniennes y ont été attentives, l’enjeu étant un énorme transfert équivalent à 15% du PNB : 60 milliards de dollars. Agissant sur trois plans, avec un sens de l’organisation exceptionnel : une intense campagne de communication, une action sociale méticuleusement menée, et une redistribution soigneusement contrôlée.
Les produits pétroliers, électricité, et blé, en particulier, ont subi une forte augmentation. Pendant une période transitoire, le montant économisé est redistribué aux ménages sous forme d’une allocation en espèces librement utilisable (30 milliards de dollars), aux entreprises pour activer leur restructuration et leur modernisation en termes d’économies d’énergie (15-18 milliards), et aux administrations publiques pour financer leur modernisation (10-12 milliards).
Les experts du FMI, ébahis, parlent de plein succès dans la mise en place de cette réforme (The successful early implementation of the subsidy reform…), jusqu’à en reconnaître les avantages immédiats : amélioration de la redistribution des revenus, réduction de la pauvreté, et stimulation de la demande intérieure (… improving income distribution, reducing poverty, and supporting domestic demand…). (16)
A retenir que l’indice de pauvreté, établi à 2 $ par jour, est tombé de 12 % à 2% à la suite de cette réforme. Le coefficient GINI passant de 0,45 à 0,37. Effet collatéral positif : l’augmentation des produits pétroliers a diminué leur consommation (jusqu’à 20% de baisse pour certains carburants) et réduit la pollution…
2. Réforme du Système Bancaire et des Finances Publiques
Depuis deux ans, l’Iran s’est engagé dans une vigoureuse réforme de son système bancaire sous le contrôle d’une Banque Centrale connue pour la qualité de son encadrement et son efficacité. Mixant établissements privés et publics, mettant de l’ordre (à la fureur des "barons" locaux…) dans l’immense secteur des 1700 coopératives de crédits, privatisant quatre grandes banques pour les inscrire à la côte de la Bourse de Téhéran [ Tehran Stock Exchange - TSE ], cette action se poursuit dans deux directions.
La première, l’exigence du renforcement des capitaux propres, réserves et provisions des banques. La deuxième, le "nettoyage" , et la récupération, des prêts à risques ou des créances litigieuses, dans le jargon du métier : les NPLs (Non-Performing Loans).
Ce dernier travail, toujours en cours, provoque une forte "opposition" de certains intérêts privés "hauts placés" , habitués à ne pas rembourser les considérables crédits bancaires dont ils ont bénéficié pour édifier leurs fortunes personnelles… Mais, le FMI en prend acte : le montant global de ces prêts est tombé de 24,5 % en janvier 2010 à 13,5 % en mars 2011. Comme quoi : quand on veut, on peut… (17)
Parallèlement, l’Etat Iranien a entamé un programme de privatisation d’entreprises et activités non liées à des services publics et à la défense nationale : 589 entreprises ont été privatisées pour une valeur de $ 83 milliards. Contrairement au schéma classique qui consiste, dans les économies émergentes notamment, à les brader à des intérêts étrangers en cheville avec de richissimes familles locales, les autorités ont veillé à une scrupuleuse répartition des actions :
- 20 % détenues par l’Etat
- 40 % réservées aux foyers à faibles revenus
- 40 % sous forme d’introduction en Bourse
Cette politique d’assainissement et de restructuration induit deux effets positifs :
=> La forte attraction de la Bourse de Téhéran auprès des Iraniens, perçue non pas comme un lieu de spéculation hasardeux (économie-casino) mais comme un vecteur de valorisation de l’épargne dans des investissements productifs. C’est une des Bourses qui a connu la plus forte croissance en valeur (200 %) dans le monde, depuis 2009.
Toutefois, l’analyse des experts du FMI considère qu’il ne s’agit pas d’une bulle spéculative mais d’un fort dynamisme créé, sur de solides fondamentaux, par la restructuration de l’économie sous forme de privatisations, fusions et acquisitions (… staff analysis suggests that stock prices have not yet reached bubble levels, with supportive fundamental factors, including high levels of IPOs, having been at play…). (18)
=> Le rial Iranien est apprécié à sa juste valeur, après une dévaluation technique intervenue le 8 juin dernier, de 11,5 %, démultipliant l’exportation de ses produits non pétroliers, tout particulièrement (qui avaient déjà évolué de $ 6,4 milliards en 2004 à 26,3 milliards en 2010, atteignant 30% de ses exportations).
Ni "sur" , ni "sous" évaluée, la monnaie du pays correspond aux grands équilibres macroéconomiques (…The macroeconomic balance approach estimates an equilibrium current account (norm) from a set of fundamentals employing a generalized method … no evidence of exchange rate misalignment … broadly in line with its medium term fundamentals.) Signe évident d’une bonne gestion des finances publiques. (19)
3. Maîtrise de la gestion des exportations de gaz et de pétrole
Le volet certainement le plus prometteur pour l’avenir du pays : la gestion maîtrisée de ses richesses pétrolières et gazières. L’Iran, membre de l’OPEP, étant un des premiers producteurs mondiaux et le deuxième pays, après la Russie, à détenir les plus importantes réserves de gaz. Leur contrôle, dans l’indépendance de leur exploitation et la bonne affectation de leurs revenus, est considéré comme un vecteur essentiel de développement et de garantie pour les futures générations.
Les Iraniens se souviennent que Mossadegh, leur premier ministre régulièrement élu et réputé pour son intégrité, avait été renversé par un putsch militaire manipulé par les services spéciaux occidentaux en 1953. Il avait eu le tort d’exiger la présentation des livres comptables de l’exploitation du pétrole et du gaz monopolisés par les compagnies étrangères qui pompaient, exportaient, et réglaient à l’Etat ce que bon leur semblait ; et de les nationaliser…
La révolution iranienne de 1979 a permis l’éviction des grandes compagnies occidentales qui en pillaient les ressources naturelles dans l’impunité, sous couvert d’une des plus atroces dictatures de l’Histoire, celle d’un empereur d’opérette : le Shah. A présent, c’est donc une seule compagnie nationale qui contrôle l’exploitation et l’exportation de ces ressources : National Iranian Oil Company (NIOC).
Mais, pas n’importe comment. Pour bien assurer la traçabilité des flux, deux ensembles de procédures et de comptes budgétaires, étanches, rigoureusement surveillés, ont été mis en place pour le suivi et la répartition des revenus provenant des exportations énergétiques (20) :
=> Le premier, affecte et ventile les recettes budgétées sur un taux estimé ($ 75 le baril [1 baril ≈ 159 litres environ] pour le budget 2010/11, par exemple) :
- 63,5 % au Budget de l’Etat
- 20 % au Fonds de Développement National (National Development Fund - NDF), destiné en priorité au financement des infrastructures (il est interdit au gouvernement d’y effectuer le moindre emprunt)
- 2 % au Budget des régions (notamment non productrices de pétrole ou éprouvant des difficultés économiques)
- 14,5 % aux fonds propres et réserves pour la compagnie nationale elle-même (NIOC) : investissements / prospection-production-recherche-développement.
=> Le second, est destiné à réguler les surplus, ou les diminutions, de recettes par rapport au prix du baril estimé lors de la préparation et de l’application du budget de l’Etat : variation des cours internationaux en hausse ou en baisse, diminution ou augmentation en quantité des exportations de pétrole ou de gaz.
Pour le moment, les chiffres sont à la hausse par rapport au prix du baril antérieurement budgété, notamment en raison des hausses de cours ($ 80-90 en moyenne le baril, actuellement). La différence est, en ce cas, affectée pour :
- 85,5 % à un Fonds de Stabilisation du Pétrole (Oil Stabilization Fund - OSF), dont 50% sont versés en fin d’année fiscale au Fonds de Développement National
- 14,5 % aux fonds propres et réserves pour la compagnie nationale elle-même (NIOC) : investissements / prospection-production-recherche-développement.
Pour encore mieux valoriser ses ressources et éliminer un certain nombre d’intermédiations, l’Iran a inauguré mi-juillet dernier sa propre Bourse internationale des produits pétroliers sur l’ile de Kish (surnommée la perle du Golfe Persique), à l’entrée du Golfe Persique : The Kish Commodity Exchange. Les transactions quotidiennes sont estimées à 50.000 barils/jour pour commencer. Mais, il est à prévoir une forte croissance de ce type de ventes. Ainsi, le jeudi 18 août 2011, 500.000 barils de pétrole brut ont été vendus au prix d’ US $ 105,49.
Cette gestion des ressources pétrolières et gazières « en bon père de famille » est une rareté dans la région, habituée aux gaspillages pharaoniques dans les achats d’armes ou la construction spéculative de multiples tours de bureaux et appartements aux hauteurs démentielles, avec vue imprenable sur le désert …
Bien sûr, des critiques sont distillées dans le rapport du FMI. Curieusement, elles ne portent pas sur des chiffres, des catégories d’investissements, des éléments techniques. Non. Uniquement : sur des orientations idéologiques. L’Iran est en retard, réticent, dans l’instauration de l’Ultralibéralisme ou du Capitalisme Sauvage, censés procurer prospérité et bonheur à l’espèce humaine. Têtus, ces Iraniens…
On y retrouve l’inévitable florilège des incantations antisociales (21) :
i) Le système de protection du chômeur est trop généreux, jusqu’à 50 mois d’indemnisation (The existing unemployment benefit system [of up to 50 months] is too generous)
ii) Les procédures d’autorisation de licenciement devraient être simplifiées (The administrative approval process to allow companies to terminate redundant workers could also be simplified)
iii) Les autorité devraient progressivement supprimer les surveillances et les interventions sur les prix (The authorities should gradually relax any remaining supervision and interventions over product prices)
iv) Encourager la participation des investisseurs étrangers dans le processus des privatisations qui est à accélérer (Greater participation of foreign investors … and accelerating the ongoing privatization process).
Evidemment, beaucoup reste à faire pour un pays qui demain comptera 100 millions d’habitants…
Surmonter "l’opposition" d’une « bourgeoisie affairiste », friande de spéculations (sur l’immobilier et les prix), de corruptions, de monopoles, de rentes de situation, générées par les produits d’importation et les privatisations « soldées ». Affronter l’hostilité des puissances étrangères et leur volonté de s’emparer à nouveau de ses immenses ressources naturelles, de ses services publics, de ses infrastructures, et de ses avoirs en devises. Rituelles danses du scalp des prédateurs.
Mais, d’après ce rapport du FMI, l’Iran travaille, progresse, s’organise, prépare l’avenir. Malgré diabolisations délirantes et menaces d’apocalypse, dont il est l’objet obsessionnel. Méthodiquement. A grands pas.
Néanmoins…
Prétendre aujourd’hui, comme le fit Galilée en son temps, qu’après observations la Terre est ronde et non pas plate peut s’avérer dangereux. Nos pays prétendument "laïcs" se révèlent, en effet, inflexibles quant au respect des croyances et dogmes édictés par les grands prêtres de la propagande de l’Empire. Implacable religion "mondialisée" , avec son Clergé et son Inquisition.
Espérons que les experts du FMI s’étant permis quelques libertés à l’égard des injonctions cléricales de la démonologie actuelle, sous forme de propos objectifs ou mesurés sur l’Iran, ne soient pas excommuniés, brûlés en place publique ou médiatique, pour "blasphème" et "hérésie" …
Georges Stanechy
Illustrations : infrastructures du gazoduc Iran-Turquie. Source : Press-TV.