L’actrice Susan Sarandon a récemment semé la panique en révélant sa réticence potentielle à voter pour la favorite démocrate Hillary Clinton au cas où elle affronterait le probable candidat républicain désigné Donald Trump dans la course à la présidentielle.
Le 8 octobre 2011, Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, s’exhibe avec des soldats libyens lors d’une visite à Tripoli, durant l’intervention conduite par les EU qui a renversé le dirigeant Mouammar Kadhafi.
Sarandon faisait écho à une position partagée par de nombreux supporteurs de l’opposant démocrate de Clinton, Bernie Sanders, lesquels disent qu’ils ne voteront pas pour Clinton même si cela signifie que Trump deviendra président des États-Unis.
En réponse, l’establishment [démocrate] a perdu son esprit collectif.
Le chroniqueur du New York Times Charles Blow a descendu en flammes les électeurs « Bernie sinon rien » qui se livrent à une « sinistre politique électorale de la terre brûlée » en pataugeant dans « l’irascibilité et les privilèges » et qui « voient tout en noir ».
Jonathan Jeremy Goldberg de The Forward, dans un article intitulé « ’Bernie sinon rien’ est une revendication prétentieuse butée - et dangereuse », mettait en garde que « se plaindre de la faiblesse [de Clinton] ne peut qu’affaiblir la participation à l’élection de novembre et livrer Washington entièrement au Parti Républicain ».
Et Michael Tomasky de se lamenter dans The Daily Beast que ces refuzniks anti-Clinton sont principalement des Blancs privilégiés qui n’ont rien à perdre. Même Hillary Clinton y est allée de son couplet, en twittant : « Certaines personnes peuvent peut-être se payer le luxe d’exiger « le parfait ». Mais beaucoup d’Américains souffrent ici et maintenant et ne peuvent pas attendre qu’il arrive. »
C’est devenu une orthodoxie acceptée dans les cercles de la classe dominante de considérer Trump comme un autoritaire qui fait son lit sur les tensions raciales et qui présenterait une menace majeure pour le monde s’il était élu en novembre prochain.
Si cette présentation est certainement parfaitement fondée, elle ignore le fait que Clinton est tout aussi dangereuse pour la stabilité mondiale. Et contrairement à Trump, elle a sur les mains le sang qui le prouve.
Si le moindre mal est l’objectif, comme insistent les experts de la classe dominante, on ne sait pas trop qui représenterait le moindre mal - si le choix se limite à Trump et Clinton.
Reine de guerre
Sur de nombreux sujets, en particulier les échanges commerciaux et la politique étrangère, Clinton est à la droite de Trump, avec un penchant pour la belligérance militariste et elle ressemble beaucoup plus à une belliciste néoconservatrice qu’à la progressiste qu’elle prétend être.
Pour vous en assurer, ne cherchez pas plus loin que les néoconservateurs eux-mêmes, lesquels sont tellement terrifiés par l’approche non-interventionniste de Trump en matière de politique étrangère qu’ils sont prêts à se ranger derrière Clinton. Ce n’est pas la première fois que Clinton s’est vue gagner l’adoration des faucons.
En 2008, les néoconservateurs ont poussé un ouf de soulagement lorsque le Président Barack Obama nomma Clinton au poste de secrétaire d’État.
Richard Perle, l’ancien président du conseil à la politique de défense du Président George W. Bush et l’un des principaux architectes de la guerre d’Irak, commentait ainsi la nomination de Clinton, « Je suis assez content [.] Il n’y aura pas autant de changement que ce que nous avions cru au départ. »
Le très néoconservateur Weekly Standard avait également célébré la nomination de Clinton, applaudissant à son évolution de « Première Féministe » à « Reine de guerre, plus Margaret Thatcher que Gloria Steinem.
Clinton est allée jusqu’à dépasser les attentes des néoconservateurs.
L’ancien Vice-président Dick Cheney a dit qu’il était impressionné par le travail de Clinton au Département d’État, ce qui équivaut à une approbation.
Dans une apparition dans l’émission Morning Joe sur la chaîne MSNBC, en 2014, Dan Senor, un agent néoconservateur de premier plan et ancien conseiller en politique étrangère du candidat républicain désigné en 2012, Mitt Romney, a déclaré, « Hillary est plus belliciste que n’importe lequel d’entre nous ! »
« Hillary est la néocon des néocons », a ajouté l’animateur Joe Scarborough. « Il sera fascinant de voir si elle décide de se présenter et si elle obtient la nomination. Elle sera plus belliciste, plus une néocon, que ne le sera probablement le candidat républicain désigné. Je veux dire qu’il n’y a quasiment eu aucun engagement militaire que Hillary n’a pas soutenu au cours des vingt dernières années ».
Cet amour pour Clinton n’est pas du tout surprenant. Après tout, Clinton a régulièrement accusé les Palestiniens d’enseigner la haine à leurs enfants, tout en s’alignant étroitement sur le Premier ministre israélien très à droite et révisionniste de l’Holocauste, Benjamin Netanyahou, un néoconservateur encarté dont la démagogie rivalise avec celle de Trump.
Elle a exprimé sa fierté d’avoir fait des « Iraniens » des ennemis, dont elle a une fois menacé de rayer le pays de la carte et qu’elle continue de menacer de sanctions.
Elle a comparé les actions du Président russe Vladimir Poutine en Ukraine aux transferts de population menés par Hitler avant la Seconde Guerre mondiale. En dépit de son mea culpa, en 2014, sur son soutien à la calamiteuse invasion de l’Irak en 2003, et son effort actuel pour redorer son blason comme progressiste, l’étiquette de belliciste est celle que Clinton est toujours fière de porter - comme lorsqu’elle s’est vantée avec jubilation du soutien que le New York Daily News lui a apporté cette semaine en tant que « guerrière réaliste super-préparée ».
Traînée de sang
Le comportement belliciste de Clinton va bien plus loin qu’une rhétorique incendiaire.
Lorsqu’elle servait en tant que secrétaire d’État, elle a donné son feu vert à d’énormes contrats d’armements avec des tyrans soutenus par les EU, renforçant ainsi de façon spectaculaire les prouesses militaires de despotes qui se trouvent faire partie des plus généreux donateurs de la Fondation Clinton.
Dans une démonstration stupéfiante de son échec à avoir retenu les leçons les plus fondamentales de la guerre d’Irak, Clinton a été le fer de lance du renversement par l’administration Obama du dictateur libyen Mouammar Kadhafi, en se fondant sur des renseignements erronés.
Après le lynchage public particulièrement macabre de Kadhafi par des rebelles libyens soutenus par les États-Unis, en 2011, Clinton pouvait à peine cacher son excitation, en déclarant à CBS News avec une joie malicieuse, « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort » [« We came, we saw, he died »].
Comme l’on pouvait s’y attendre, la Libye est devenue un havre livré à l’anarchie pour les groupes extrémistes de toute la région, y compris celui que l’on appelle Etat Islamique ou Daech.
Cette semaine, Obama a dit que l’échec à préparer la suite après le renversement de Kadhafi était la « pire faute » de sa présidence. En tant que secrétaire d’État et chef de file de l’intervention, cette préparation aurait sûrement dû être la principale responsabilité de Clinton.
La Libye n’a pas été le seul pays où Clinton a fait de l’ingérence.
Marchant dans les pas de son mentor, l’ancien Secrétaire d’État Henry Kissinger, Clinton a soutenu et légitimé le coup militaire de droite au Honduras qui a chassé le Président démocratiquement élu Manuel Zelaya en 2009, plongeant le Honduras dans une violence record qui a poussé des milliers d’enfants à s’enfuir pour sauver leur peau.
Ensuite, en 2014, Clinton s’est dressée en faveur de la déportation de dizaines de milliers d’enfants réfugiés non-accompagnés d’Amérique Centrale qui cherchaient asile aux EU, afin d’« envoyer un message » a leurs parents que « ce n’est pas parce que votre enfant est arrivé de l’autre côté de la frontière que cela signifie qu’il doit rester ici ».
Près d’un tiers de ces enfants avaient fui les violences qui avaient suivi au Honduras.
Clinton a réitéré son soutien à leur déportation pas plus tard qu’en août dernier.
Berta Caceres, militante pour les droits des Indiens et écologiste, a critiqué le rôle joué par Clinton dans ce coup d’État, avant son assassinat, le 3 mars dernier, par un escadron de la mort hondurien.
L’équipe de campagne de Clinton a nié que sa candidate portait quelque responsabilité que ce soit pour cette violence, en disant que son rôle au Honduras avait été de la « diplomatie active ». Cette semaine, Clinton a de nouveau soutenu le renversement de Zelaya.
Malgré la traînée de sang qu’elle a laissé derrière elle, Clinton continue de croire en la vertu des changements de régimes soutenus par les EU.
Interrogée le mois dernier sur ce qu’elle pensait du passé des États-Unis en matière de renversement de dirigeants démocratiquement élu dans le monde entier, Clinton a invoqué le spectre de l’Allemagne nazie, en soutenant que « Quelqu’un aurait pu assassiner Hitler avant que nous envahissions l’Allemagne ; cela aurait été une bonne ou une mauvaise chose ? ».
Même Trump reconnaît plus ou moins la bellicosité de Clinton. Il a dit lors d’un meeting en mars dernier à Detroit que le « Moyen-Orient est en train de brûler en grande partie à cause des politiques et des concepts défaillants de Hillary Clinton ».
La grande panique des néocons
Dans un contraste quasi-surréel à Clinton, Trump a appelé à réduire la présence militaire des EU à l’étranger et a déclaré à plusieurs reprises son opposition à l’intervention étrangère, disant de la guerre d’Irak que Clinton a soutenue avait été « une très grosse erreur » qui a « déstabilisé le Moyen-Orient ».
Il a même suggéré une politique de neutralité dans les négociations de paix entre Israël et les Palestiniens, une proposition à laquelle il a fini par renoncer après avoir soulevé l’ire des tenants de la ligne dure pro-israélienne, y compris Clinton, qui a déclaré, « l’Amérique ne peut jamais être neutre [...] quiconque ne comprend pas cela n’a rien à faire à être président de l’Amérique ».
L’establishment néoconservateur a réagi en lançant une attaque tous azimuts contre Trump.
Le Comité d’Urgence pour Israël [Emergency Committee for Israel], un think tank néoconservateur, a diffusé une pub assimilant l’opposition de Trump aux changements de régimes en Libye et en Irak à un soutien aux dictateurs anti-américains.
Peu après, un groupe autoproclamé « communauté républicaine à la sécurité nationale » a publié une lettre condamnant le blasphème de Trump contre le dogme central de leurs principes hégémoniques.
Signée par un noyau d’intellectuels néoconservateurs, d’anciens dirigeants et agents gouvernementaux, cette lettre critiquait le frayage de Trump avec l’isolationnisme et son opposition aux traités commerciaux en faveur des grandes entreprises.
Cette lettre est allée jusqu’à dénoncer le sectarisme de Trump et son soutien appuyé pour la torture, bien que ces complaintes puissent difficilement être prises au sérieux vu que les gens qui se trouvent derrière cette lettre ont fermement soutenu pendant des décennies la torture, le sectarisme et pire. Eliot Cohen, qui a organisé la lettre anti-Trump, a même affirmé, « Hillary est, de très loin, le moindre mal ».
En attendant, sur les conseils de la Sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, Netanyahou s’active maintenant à signer un très gros accord d’aide militaire américaine, qu’il avait auparavant rejeté comme étant insuffisant, avant qu’Obama ne quitte le pouvoir de peur qu’un Président Trump ne soit pas aussi généreux.
Construction de murs
Si la politique étrangère sépare Clinton et Trump, il y a de nombreuses questions intérieures qui les unissent.
Le nouvel enthousiasme de Clinton à « faire tomber les barrières », une référence directe à la proposition anti-immigrés de Trump de construire un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, contredit entièrement le soutien qu’elle a elle-même apporté au mur frontalier qui existe déjà, dont une grande partie à été construite sous la présidence d’Obama.
Il y a tout juste cinq mois de cela, Clinton se vantait du soutien qu’elle avait apporté à ce mur.
« J’ai voté de nombreuses fois lorsque j’étais sénateur pour dépenser de l’argent afin de construire une barrière visant à empêcher les immigrés illégaux de rentrer », s’est vantée Clinton dans un Hôtel de ville du New Hampshire en novembre dernier.
Le mois dernier dans un débat, à la question de savoir ce qui distinguait son mur de celui de Trump, Clinton a mentionné sa dimension. « Tel que je le comprends, [Trump] parle d’un mur très haut », a-t-elle dit.
Clinton est une immense fan du mur de séparation d’Israël qui a effectivement annexé des terres palestiniennes en Cisjordanie occupée et elle a suggéré de l’utiliser comme modèle pour la frontière entre les États-Unis et le Mexique.
Et elle continue de citer comme argument sur son site internet de campagne son soutien au mur d’Israël, jugé illégal par la Cour Pénale Internationale.
Son hypocrisie n’est pas restée inaperçue par Trump, qui twittait en janvier dernier, « Hillary Clinton a dit que c’est OK d’interdire l’entrée des Musulmans en Israël en construisant un MUR, mais pas de le faire aux États-Unis. Nous devons rester vigilants ! »
Une course vers le pire
Ces derniers mois, Clinton s’est réinventée comme une combattante pour la justice sociale antiraciste, en utilisant le langage de l’intersectionnalité et le discours sur les privilèges pour tourner en ridicule le populisme de Sanders, détourner l’attention sur ses liens bien documentés avec Wall Street et se distinguer de la rhétorique haineuse de Trump.
Mais derrière son vernis de justice sociale se trouvent des principes plus en ligne avec la base républicaine que la base démocrate.
Tandis que Trump a traité les Mexicains de « violeurs » et s’est moqué des handicapés, Clinton a notoirement appelé « super-prédateurs » les enfants noirs et s’est référé aux allocataires sociaux comme étant des « bons à rien ».
Trump veut bannir les Musulmans. Mais Clinton a un solide passé de soutien aux bombardements des Musulmans, sans parler de sa disposition à débiner les Arabes et les Musulmans pour remporter les électeurs et les donateurs pro-israéliens.
Trump exacerbe les sentiments fascistes. Mais il le fait en puisant dans la colère légitime liée aux conséquences négatives de l’économie néolibérale du ruissellement [trickle-down economics] menée par des politiciens de la classe dominante comme Clinton.
Elle a joué un rôle actif dans le démantèlement du filet social et a livré les travailleurs américains aux désastreux accords commerciaux favorables aux grandes entreprises.
Encore quatre ou huit ans d’économie et d’aventurisme militaire clintoniens pourraient très bien préparer l’ascension d’un démagogue encore plus belliciste que Trump.
Une élection présidentielle entre Clinton et Trump serait une terrifiante course vers le pire. Il ne faut pas s’étonner si autant de personnes refuseraient dans ce casde donner leur voix à l’un ou l’autre de ces candidats.
* Rania Khalek est journaliste indépendante et reporter.
https://electronicintifada.net/content/hillary-clinton-more-dangerous-donald-trump/16316
14 avril 2016
Traduction et publication : JFG-QuestionsCritiques