Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et l’adoption aux États-Unis et en Europe de lois antiterroristes qui ont suivi, chaque personne qui part pour le front afghan du côté des insurgés est considérée comme un terroriste et un criminel. Tout appel à aller se battre contre l’occupation en Afghanistan ou en Irak ne fait plus partie de la liberté d’expression, mais est devenu un acte terroriste et criminel. Ainsi, en Belgique, les deux principaux inculpés de la « filière afghane » ont été condamnés à huit ans de prison. D’autres inculpés ont été mis en liberté conditionnelle pour « manque de preuve sur leur complicité », ou sont en liberté portant un bracelet électronique. Mais, quand il s’agit de punir, à part les États-Unis, aucun pays ne fait mieux que le Maroc. Jugé en Belgique, par défaut, à 5 ans de prison, Hicham reçoit 20 ans de prison ferme au Maroc pour les mêmes faits.
J’ai parlé longtemps avec Ahmed, le père d’Hicham. Nous avons retracé l’histoire de son fils. Elle reste pour l’instant incomplète, partielle, avec beaucoup de zones d’ombre. Ce qui est sûr, c’est que Hicham, Ahmed et leurs familles belgo-marocaines tranquilles et paisibles pendant plus de 25 ans, ont été emportés par les vagues de la guerre antiterroriste mondiale.
Ahmed, un travailleur immigré en Belgique
Ahmed, le père d’Hicham, cadre supérieur dans une banque durant toute sa vie active, est venu en Belgique pour travailler et pour se perfectionner dans son domaine professionnel. Mais sa motivation pour émigrer du Maroc était aussi d’assurer à sa fille handicapée, née en 1976, les meilleurs soins possibles. Soins qu’elle ne pourrait pas recevoir au Maroc.
Avant de s’installer à Bruxelles, où il vit aujourd’hui avec sa famille dans la commune d’Anderlecht, Ahmed était devenu plus Flamand que moi. Il peut me citer toute une série de communes et de petites villes de Flandre qu’il a parcourues pour son travail et que je n’ai jamais visitées ou dont j’avais même oublié l’existence. Sportif, il avait joué dans plusieurs clubs de football aussi bien au Maroc qu’en Belgique. Ahmed arbore une écriture calligraphique ; les cours qu’il a suivis chez le maître incontesté dans ce domaine en Belgique, le Palestinien Michel Najjar, ont laissé leurs traces.
Le 28 juillet 1979, Hicham est né à Anvers
Hicham est le troisième des enfants d’Ahmed. Quand il a 7 ans, l’âge ou il va entamer ses études primaires, il passe quelques années au Maroc avec son frère et sa soeur chez ses grands-parents. La grand-mère est malade et ne pouvant pas être à leurs côtés lui-même, Ahmed essaie de leur assurer un peu de bonheur et de joie en mettant leurs petits-enfants chez eux.
De retour en Belgique, jeune garçon normal et sans histoires, Hicham fait ses études à l’Athénée Royal Paul Delvaux à Bruxelles. Bon élève, Hicham obtient son diplôme du secondaire supérieur. Il s’inscrit à l’Institut Paul Lambin, Haute Ecole Léonard De Vinci (Université catholique de Louvain), où il commence des études en biologie médicale. Il veut devenir chercheur et il finit deux ans d’études avec succès.
Le tournant
En 2003, Hicham a 24 ans, sa vie va prendre un tournant. Hicham se marie. Devenu père de famille, il arrête ses études pour aller travailler et entretenir sa famille. Il frappe à toutes les portes. A la poste, à la police, où il réussit 4 de la série des 5 examens pour devenir inspecteur. Il sera refusé lors de la dernière session orale. Il finira comme serveur dans un snack. « C’était un moment très difficile sur le plan professionnel. J’ai mis un appartement à titre gracieux à la disposition de mon fils et sa petite famille. Heureusement que je l’ai soutenu à ce moment-là . Je me souviens qu’Hicham m’a dit : j’en ai marre, qu’est-ce qu’on fait ici ? on n’a rien ici. Je ne sais pas si nos politiques se réalisent la gravité de la situation et la part de responsabilité de la société en abandonnant les jeunes issus de l’immigration. Cette attitude expose ces jeunes à devenir une proie facile pour des groupes intégristes et ou à les encourager d’avantage à la délinquance lorsqu’ils ne trouvent pas de boulot. Si la société intervenait correctement au niveau de l’éducation, de l’emploi, du racisme et des discriminations, je ne dis pas que tout serait réglé, mais elle pourrait réduire les problèmes au moins à 30% de ce qu’on connaît aujourd’hui », me dit Ahmed.
Jusque-là , Hicham était un croyant modéré et pratiquant. Petit à petit, il va s’intégrer dans un milieu plus radical aussi bien au niveau politique que religieux. Il commence à être plus engagé, plus sceptique. Il ne va plus accepter ce qui se passe en Palestine, ni en Irak et en Afghanistan, suite à l’agression des Américains contre ces pays.
Le départ pour l’Afghanistan
Hicham a déjà quatre enfants quand la possibilité se présente, pour lui et ses amis, de partir comme volontaire en Afghanistan. Avec deux autres Belges et un Français, il décide de partir pour le front, pas du côté des américains, mais du côté des insurgés. Il ne dit rien à ses proches car il est très attaché à sa maman. Il ne veut pas lui faire de la peine par son choix difficile. Le 7 décembre 2007, il l’informe qu’il part quelques jours en France pour un tournoi de Taekwondo. Les jours passent et puis il n’y a plus de nouvelles. Du fait de cette disparition soudaine, l’inquiétude et la souffrance s’installent dans la vie de la famille pour ne plus jamais la quitter. Après quelques semaines, Hicham téléphone pour dire que tout va bien. Il envoie un mail à son frère l’informant qu’il est parti pour un but commercial en Turquie et en Syrie. Et puis, il n’a plus donné signe de vie.
« La filière afghane »
En 2010, le nom d’Hicham apparaît dans la presse dans le cadre du procès de « la filière afghane de Malika Al Aroud ». A l’issue de ce procès, Hicham est condamné à 5 ans de prison. Selon les aveux d’un co-inculpé présent au procès, l’aventure afghane a été un véritable calvaire. La désorganisation totale, leur manque d’expérience et le fait que les Talibans ne voulaient pas d’eux, ont fait que les volontaires belges n’ont pas participé à des opérations militaires. Trois jeunes, dont Hicham, décident de rentrer. L’un décide de rester et il laissera sa vie dans les combats. Hicham n’arrivera pas jusqu’en Belgique, il restera bloqué en Syrie.
A l’issue du procès en Belgique, en mai 2010, les peines prononcées par le tribunal en première instance sont de 8 ans pour les deux principaux inculpés, quatre autres écopent de 37 mois de prison ferme ou de 40 mois de prison avec sursis. Hicham n’est pas présent à ce procès. Il n’est même pas défendu par un avocat. Il est condamné par défaut à 5 ans, et, selon la presse, depuis lors, « il est activement recherché à l’échelon international ». Deux des inculpés dans ce procès iront en appel contre leur condamnation, mais en décembre 2010, les peines seront confirmées. « Mais même si ces peines sont extrêmement lourdes, elles seront bien la preuve que la justice belge était plus tolérente et clémente que la justice marocaine », me dit Ahmed.
Arrêté en Syrie et extradé vers le Maroc
En 2011, en plein Ramadan, la famille reçoit un coup de fil venant de Syrie pour leur dire qu’Hicham y a été arrêté. Après avoir contacté les autorités belges en Syrie, le Consul général belge assure la famille qu’il a pris les choses en main. Il a retrouvé Hicham. Il n’a pas été torturé, ni physiquement, ni psychologiquement. Les autorités belges en Syrie informent la famille qu’elles préparent son extradition vers la Belgique : « Dans une semaine, maximum dix jours, il sera en Belgique ». Après une semaine d’attente, le Consul général annonce que les choses se compliquent : Hicham serait recherché par plusieurs États et le Maroc devance la Belgique. Contre toute logique, Hicham ne sera pas extradé vers la Belgique, son pays natal où il vient d’être condamné à 5 ans de prison. En octobre 2011, il est extradé, par la force et pour des motifs qu’on ignore, vers le Maroc. Pourquoi Hicham a-t-il été extradé vers un pays qui n’est pas le sien et qui n’est concerné par cette affaire ni de prés ni de loin ? Pourquoi est-il jugé là , pour des faits qui n’ont rien à voir avec le Maroc, mais qui se seraient passés en Afghanistan ?
La raison reste jusqu’à présent inconnue. Ce qu’on peut dire avec certitude, c’est que la présence d’agents du FBI a été signalée aussi bien lors de son procès en Belgique qu’au Maroc. Hicham n’aurait pas pu être inculpé sans l’aide des Américains. Faute d’avoir pu mettre la main sur lui, il est fort probable que ce sont les services américains qui ont décidé de l’extradition de Hicham vers le Maroc et son jugement, pays qu’ils ont utilisé à maintes reprises comme base intermédiaire (notamment de torture) pour les détenus arrêtés en Afghanistan et dirigés vers le camp de Guantanamo. Au Maroc, au moins, les Américains avaient la garantie qu’Hicham serait puni de la manière la plus sévère.
Comme dans nombre de cas d’extraditions où les terroristes servent de monnaie d’échange entre les pays, ce sont aussi les rapports de force à un moment donné qui décident des extraditions. Est-ce que le fait que la Syrie était en conflit avec l’Europe sur la question de la répression du mouvement de contestation a poussé la Syrie à extrader Hicham vers le Maroc, et pas vers un pays occidental ?
La condamnation au Maroc à 20 ans de prison ferme
Une fois arrivé au Maroc - selon le scénario bien connu suite aux dérives marocaines en matière de la lutte antiterroriste et de la volonté marocaine de plaire aux Etats-Unis, Hicham est pris en main par le juge antiterroriste marocain Chentouff. Il est interrogé pendant plus d’une semaine. Les services secret marocains trouvent et ajoutent des inculpations que d’autres services secrets n’auraient pas su trouver avec la meilleure volonté du monde : ils accusent Hicham d’avoir assisté à des attaques contre des militaires américains. Il n’y a que les Américains qui peuvent avoir fourni ce genre d’information. « Mais si c’était vrai tout ça, est-ce que vous croyez vraiment que les Américains ne l’auraient pas exécuté, ou kidnappé et transféré à Guantanamo ? », me demande Ahmed. On aurait pu croire qu’on allait trouver dans le texte du jugement le nom d’une victime américaine, une arme du crime ou, au moins, quelque chose de précis et de concret. Mais rien de tout ça. Hicham est condamné à 20 ans de prison ferme sur base des déclarations formulées par les services secrets marocains, sous la menace et en absence des preuves matérielles justifiant le fond de ce jugement. Ce jugement, le voici : « La formation d’un groupe terroriste en vu de commettre des actes terroristes et l’agression intentionnelle de la vie d’autrui et à leur sécurité. L’atteinte à la sûreté nationale, l’incitation et l’intimidation et la violence. L’incitation d’autrui à commettre des crimes terroristes ».
Après la lecture de ces lignes, Ahmed lève les bras : « Mais de quel groupe de terroristes parle-t-on ? Si c’est le même groupe que celui en Belgique, alors Hicham a été condamné deux fois pour les mêmes faits, ce qui n’est pas admis par la justice internationale. S’il s’agit d’autres personnes : la justice marocaine est-elle en possession d’une liste faisant apparaître les personnes qui ont été incitées par Hicham à commettre des actes terroristes ? Hicham s’est présenté seul devant les jurys lors des deux audiences du procès, alors où sont-ils, ces autres personnes qu’il a incité à commettre des crimes terroristes ? Comment Hicham peut atteindre à la sureté nationale marocaine alors qu’il ne s’est pas rendu au Maroc depuis juillet 2005 ? »
Après sa condamnation Hicham est enfermé dans la prison de Salé II.
Dans les mois qui suivent il participe à une grève de la faim, qui a duré 40 jours, contre les conditions de détention. Dans un état grave, après cette grève, il ne reçoit pas les soins médicaux nécessaires. Il est transféré vers la prison de Tiflet où ses conditions de détention se sont améliorées. Ahmed : « Je saisis l’occasion pour rendre hommage au directeur de cette prison qui traite les détenus avec humanisme contrairement à ce qui ce passe dans d’autres prisons, notamment celle de Salé 2, Toulal 2 et récemment la prison de Oukacha ».
Aujourd’hui, la famille d’Hicham et un groupe d’amis ont décidé de s’engager pour qu’Hicham puisse être transféré du Maroc vers la Belgique. Pour qu’il puisse purger sa peine ici, dans son pays natal et près de sa famille et de ses quatre enfants.
La famille a besoin d’un soutien moral, mais aussi financier pour pouvoir assurer la défense d’Hicham dans les mois qui viennent.
Un procès en appel, équitable, en présence d’un avocat, s’impose.
Luk Vervaet