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En finir avec l’eurolibéralisme - Bernard Cassen (dir.) - Mille et Une Nuits, 2008.

Il s’agit là d’un court ouvrage collectif, très dense, publié suite à un colloque organisé par Mémoire des luttes http://www.medelu.org/ et la revue Utopie critique à l’université Paris 8 en juin 2008, sous la direction de Bernard Cassen, fondateur et ancien président d’ATTAC, à qui, on s’en souvient, le "non" au référendum de 2005 doit beaucoup.

La thèse centrale de cet ouvrage est que l’« Europe » est, et a toujours été, une machine à libéraliser, au-dessus des peuples, contre les peuples.

Dans "La fracture démocratique", Christophe Ventura revient sur "la méthode Monnet" qui a consisté à faire élaborer dans la plus grande discrétion, face aux réticences des opinions publiques, des traités fondateurs par des armées de diplomates, de juristes, de représentants des milieux d’affaires. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, lorsqu’ils ont été consultés par référendum après un véritable débat public, les peuples ont souvent exprimé leur hostilité aux programmes venus de Bruxelles : les Danois s’opposèrent en 1992 au traité de Maastricht (le vote fut « rectifié » l’année suivante), les Irlandais refusèrent le traité de Nice en 2001, les Français et les Néerlandais dirent "non" au TCI en 2005, l’Irlande refusa le traité de Lisbonne en 2008.

Pour contrecarrer la volonté populaire, 22000 lobbyistes oeuvrent en permanence à Bruxelles. Plus de 70% d’entre eux sont au service d’intérêts industriels, 20% représentent les intérêts de collectivités ou d’institutions internationales, 10% des ONG et des syndicats.

La stratégie de base est de techniciser les problèmes, d’administrer, d’intégrer à toute force en niant le politique comme forme d’organisation du rapport de forces social et de la conquête du pouvoir pour et par le peuple.

Ce déni de démocratie a été théorisé, il y a plus de soixante ans, par Friedrich von Hayek, inventeur du concept de "démocratie limitée" (à laquelle a souscrit, par exemple, Dominique Strauss-Kahn), dans laquelle la répartition du travail et des richesses, de même que la monnaie, seraient entièrement soustraites à la sphère politique et aux aléas électoraux. Limiter les droits du peuple revient à évacuer le social, ce qu’explique Corinne Gobin dans "Quand « social » signifie anti-social".

Avec l’arrivée de Jacques Delors à la présidence de la commission en 1985, l’Europe va utiliser peu à peu les politiques communautaires comme autant d’instruments pour liquider l’ensemble des conquêtes sociales antérieures. On habituera le monde syndical à accepter les « dures lois du marché », à se contenter d’un droit social minimum à défaut d’une absence de droit, en d’autres termes un droit plancher « dont le niveau est condamné à descendre par le jeu même du développement de la compétitivité et de la flexibilité. » L’emploi sera considéré comme un « facteur de production » au service de la compétitivité des entreprises et de l’augmentation des profits, dans le cadre de la marchandisation de l’ensemble des droits sociaux. La politique sociale devra préserver les « grands équilibres » macro-économiques. De nouveaux concepts seront vendus comme des savonnettes : « l’employabilité », qui réduit l’être humain à du « capital variable », « la formation tout au long de la vie » qui organise la déqualification permanente du travailleur, la « flexicurité » qui fait du CDD la nouvelle norme de l’emploi.

On va créer une situation de pénurie de ressources pour « désocialiser » le financement des droits sociaux et faire de ceux-ci des espaces à « remarchandiser par la privatisation et l’invention de produits financiers. » On imposera aux peuples une rareté artificielle alors que les pays européens n’ont jamais été aussi riches. Les droits sociaux seront subordonnés aux « libertés » du commerce, de la circulation des capitaux, de la concurrence « libre et non faussée » et du droit d’établissement. Seuls les éléments non rentables pourront demeurer « sociaux » et relever de la solidarité. Les autres seront considérés comme des espaces marchands, donc soumis aux droits de la concurrence. Ce tri agira principalement dans le secteur des services publics et des mutuelles de retraite et de santé.

Dans "Imposture écologique", Aurélien Bernier explique comment les cinquante milliards d’euros annuels consacrés par l’Union européenne à son agriculture constituent une énorme prime à la pollution, en dépit d’une forte demande sociale pour un modèle plus respectueux des équilibres écologiques. C’est que l’agriculture biologique n’est jamais présentée comme une possibilité de développement agricole pour l’Europe, mais toujours comme une autre manière de faire du commerce. Dans ce domaine aussi, les vaches sont bien gardées puisqu’il ne revient pas au Conseil des ministres de l’environnement de se prononcer sur l’autorisation d’une variété ou sur la validité d’un moratoire national mais au Conseil des ministres de l’agriculture des États membres, proche des lobbies technologiques.

Julien Landfried dénonce le "libre-échangisme destructeur". Dans ce domaine, les limites ayant été franchies, il n’y a plus de bornes. Ainsi, l’arrêt rendu en décembre 2007 par la Cour de justice des Communautés européennes rend désormais légale la possibilité pour un employeur étranger d’appliquer à ses salariés les normes sociales de son pays d’origine. Un entrepreneur roumain peut fonder une entreprise en France, recruter des travailleurs roumains et leur imposer la couverture sociale du pays d’origine. Cette déflation sociale, ce toujours moins-disant à l’oeuvre dans le monde entier est la conséquence directe d’un libre-échange intégral fondé sur la recherche des sites de production les moins chers. Les classes dirigeantes peuvent donc organiser la lutte d’une classe ouvrière contre une autre. L’Europe, dont on aurait pu espérer qu’elle protègerait les salariés contre ces pratiques de voyou, les légalise et les encourage.

Jean-Luc Gréau s’interroge sur le bien-fondé de l’euro (" L’euro en question"). L’euro, remarque-t-il très judicieusement, a été décidé au moment précis où la plus grande économie de ce qui sera la future zone monétaire était en crise sous l’effet de la réunification des deux Allemagne. Politiques, économistes et syndicalistes ont pensé à tort que l’Allemagne allait écraser le monde par sa réunification. Il fallait donc « trouver un moyen d’empêcher que cette surpuissance économique s’accompagne d’une surpuissance monétaire qui aurait fait voler en éclats les monnaies de ses partenaires. » En 1990 et 1991, années de la préparation du traité de Maastricht, la France présentait un bilan économique et financier plus qu’honorable. Les comptes publics français étaient les meilleurs des grands signataires du traité, avec un déficit égal à 1% du PIB. Le franc n’était pas menacé. Mais les cambistes, convaincus de la surpuissance à venir de la nouvelle Allemagne, ont réévalué le mark. Le franc a également été réévalué face au dollar, aux monnaies asiatiques et aux autres monnaies européennes. La réévaluation du franc s’est accompagnée « d’une rigueur monétaire jamais vue dans notre histoire économique moderne. Des milliers d’entreprises et des centaines de milliers d’emplois ont été sacrifiés. » La dette publique a presque doublé. Cette surévaluation a coïncidé avec la croissance spectaculaire des pays émergents asiatiques qui se sont attaquées au marché européen, après avoir largement investi celui des États-Unis. Depuis, l’Europe est l’espace commercial le plus ouvert au monde, donc le plus vulnérable.

Presque dix années après l’entrée en vigueur de l’euro, les économies liées par la monnaie unique « divergent plus que jamais. » L’Allemagne se veut avant tout un pays exportateur. Elle fonde toute sa prospérité future sur des gains de parts de marché au détriment de ses voisins européens, et sur la consolidation de ses bases commerciales dans les pays émergents. Elle fait cavalier seul. L’Espagne risque d’attendre longtemps de la BCE une relance providentielle. L’Italie éprouve de plus en plus de difficultés à soutenir la concurrence internationale. La France est handicapée par un euro surévalué et voit ses exportations déprimées par le marasme alentour.

Pour Antoine Schwartz ("Allégeance à Washington"), la politique étrangère et militaire de l’Europe est fondamentalement atlantiste (comme l’était Jean Monnet, contre De Gaulle). L’élargissement aux pays de l’Europe de l’Est a répondu pleinement aux souhaits de Londres et des lobbies patronaux d’étendre la zone de libre-échange à une nouvelle périphérie où la main-d’oeuvre est bon marché. Lorsque la Pologne, le République tchèque, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie ont rejoint l’Union européenne, elles ont pris soin d’intégrer l’Europe après avoir été admise dans l’OTAN, parfois, de manière symbolique, quelques jours après leur adhésion. On se souvient que seules la France, l’Allemagne et la Belgique ont pris leurs distances avec la guerre en Irak.

La politique européenne de défense n’implique, selon l’auteur, « ni défense européenne, ni armée européenne. La revendication d’un centre de commandement autonome serait considérée comme une offense. » Les États-Unis veulent désormais modifier la nature de l’alliance en élargissant ses missions, de la « guerre contre le terrorisme » à la protection des approvisionnements en matière de pétrole. D’où, bien sûr, la guerre contre l’Irak. Alliance initialement défensive, l’OTAN pourrait être de plus en plus perçue par les pays du Sud comme « une alliance offensive dont le but réel serait d’imposer une domination occidentale sur le monde. »

Louis Weber analyse la "perversion de la citoyenneté". Élus par une minorité d’électeurs, les députés des deux principaux groupes de l’assemblée de Strasbourg (le PSE et le PPE) se ressemblent chaque jour davantage et votent systématiquement des textes qui ne mettent jamais en cause les orientations libérales de la Commission. Les syndicats se sont laissé prendre au piège. Pour faire partie de la Confédération Européenne des Syndicats, il leur a fallu adhérer aux principes de base de la construction européenne : l’ouverture des marchés et la concurrence. En fut donc exclue, pour un certain temps, la CGT. Les syndicats ont finalement choisi de participer au "dialogue social européen".

Bernard Cassen ("Vive la crise !") la fait imagée : « C’est autour du ver libéral qu’a été imaginé le fruit européen. » En janvier 1957, rappelle Cassen, Pierre Mendès-France dénonçait les principes fondateurs du futur Marché commun : « Le projet de Marché commun est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. » La BCE est un ver à elle toute seule : elle est totalement indépendante des gouvernements et des citoyens, mais pas des marchés financiers. Elle gère la monnaie unique sans sa préoccuper de l’incidence de ses décisions sur l’emploi et la croissance. Cassen revient sur divers dénis de démocratie : en février 2008, l’Assemblée de Strasbourg a rejeté à une forte majorité un projet de résolution dans laquelle elle se serait engagée à respecter le résultat du référendum irlandais du 12 juin suivant. Après les "non" français et néerlandais, qui signaient juridiquement et sans aucun doute possible la fin du TCE, elle a voté une résolution demandant son entrée en vigueur. Les seuls moments, conclut l’auteur, où la chape atlantiste et libérale de la construction européenne a été (provisoirement) remise en question ont été des moments nationaux : échec de la Communauté européenne de défense en 1954, "non" français et néerlandais en 2005, "non" irlandais en 2008.

Anne-Cécile Robert souhaite une "remise à plat" radicale. Elle observe qu’il n’a jamais existé dans l’histoire d’entité politique qui corresponde aux 27 pays membres de l’Union. Il est tout à fait abusif d’évoquer, lors de l’adhésion des nouveaux États, une « réunification » du continent, celui-ci n’ayant jamais été « uni ». Robert s’interroge sur l’efficacité de l’UE en matière de projets économiques : « C’est l’Europe intergouvernementale qui construit des avions et des fusées (Airbus), c’est l’Europe intégrée qui l’oblige à délocaliser aux États-Unis. » (On pourra lire à ce sujet une récente analyse de Bernard Cassen à l’adresse http://blogbernardgensane.blogs.nouvelobs.com/archive/2008/10/27/genev...). Faut-il sortir de l’UE, demande-t-elle ? La question doit être reformulée ainsi : « A quelles conditions en restons-nous membres ? Ces conditions sont de deux ordres : d’une part la démocratie, sans laquelle aucun pouvoir n’est légitime ; d’autre part le progrès social. […] La source principale de tous nos maux réside dans le déni des aspirations populaires par une classe politique qui se coopte au pouvoir et qui fait de la construction européenne le verrou de ses reniements et la gardienne des nouveaux privilèges. »

Bernard Cassen souhaite, en conclusion, "un acte de dissidence inaugural", partant du principe que l’UE est devenue une protagoniste active de la mondialisation néolibérale, et non un rempart contre cette mondialisation. Il dénonce le fait que la machine communautaire se soit affranchie du pouvoir d’intervention des citoyens et qu’aucun des trois "non" n’ait entraîné de changement de cap de l’Union.

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