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En 2015, les contribuables de Bristol payaient encore des dettes aux propriétaires d’esclaves de la ville (Bristol Post)

photo : la statue d’un marchand d’esclaves renversée et jetée dans une rivière à Bristol - 7 juin 2020
Tristan Cork

Le gouvernement a donné aux propriétaires d’esclaves l’équivalent de 308 milliards de livres en 1833 et nous venons tous de le payer

[13 février 2018] Les contribuables de Bristol en 2015 remboursaient encore la dette empruntée par le gouvernement pour payer des millions en "compensation" aux propriétaires d’esclaves, a admis le Trésor.

Les 20 millions de livres sterling que le gouvernement a dépensés en 1833 pour rembourser les riches propriétaires d’esclaves étaient si importants qu’il a fallu 182 ans au contribuable pour les rembourser.

L’information a été révélée par le Trésor dans le cadre d’une demande de liberté d’information - mais lorsque les fonctionnaires ont décidé de tweeter la révélation, la façon dont ils l’ont fait a déclenché une réaction si furieuse qu’ils ont rapidement supprimé le tweet.

Le Trésor a confirmé que lorsque le gouvernement britannique a aboli l’esclavage et interdit aux gens de posséder des esclaves en Grande-Bretagne ou dans les colonies britanniques partout dans le monde, ces propriétaires d’esclaves ont reçu une compensation.

Beaucoup des plus grandes plantations qui gardaient le plus grand nombre d’esclaves appartenaient à certains des hommes d’affaires les plus riches de Bristol, et ils recevaient l’équivalent de millions de livres sterling en argent d’aujourd’hui. Bristol avait la plus forte concentration de personnes en Grande-Bretagne qui possédaient des esclaves en 1833 en dehors de Londres.

Les esclaves eux-mêmes ne recevaient rien et devaient continuer à travailler pour leurs maîtres pendant plusieurs années avant même de pouvoir envisager d’être "libres".

Le montant de la compensation accordée aux propriétaires d’esclaves a déjà été détaillé auparavant, dans un projet en ligne destiné à marquer le 200e anniversaire de la fin de la traite transatlantique des esclaves en 1807.

Les plus riches propriétaires de plantations de Bristol ont soudainement reçu une manne qui a laissé leurs familles multimillionnaires pour les générations à venir, et a déclenché la construction de certaines des maisons et des quartiers les plus prestigieux de la ville, notamment à Clifton.

La somme totale versée par le gouvernement britannique en 1833 était de 20 millions de livres sterling, un chiffre tellement énorme à l’époque qu’il représentait 40 % du budget total du gouvernement cette année-là, et l’équivalent de 308 milliards de livres sterling aujourd’hui.

La dette était si importante qu’elle a été empruntée sur une longue période de remboursement, a été transférée en gilts [abréviation de gilt-edged securities, soit littéralement "valeurs mobilières dorées sur tranche", sont les emprunts d’État émis par le Royaume-Uni. Wikipédia - NdT] et ceux-ci ont finalement été remboursés le 1er février 2015, il y a tout juste trois ans.

Cela signifie que toute personne ayant payé des impôts avant le 1er février 2015 remboursait la dette créée à partir des millions versés aux propriétaires d’esclaves britanniques en 1833.

Le Trésor a tweeté cette information après l’avoir rendue publique. Le tweet disait : "Voici le surprenant fait du jour. Des millions d’entre vous ont aidé à mettre fin à la traite des esclaves grâce à leurs impôts."

Le tweet a ajouté une infographie qui disait : "Le saviez-vous ? En 1833, la Grande-Bretagne a consacré 20 millions de livres, soit 40% de son budget national, à l’achat de la liberté pour tous les esclaves de l’Empire." En ajoutant : "La somme d’argent empruntée pour la loi d’abolition de l’esclavage était si importante qu’elle n’a pas été remboursée avant 2015. Ce qui signifie que des citoyens britanniques vivants ont contribué à payer pour mettre fin à la traite des esclaves".

L’historien David Olusoga, qui a beaucoup écrit sur le rôle de Bristol dans la traite des esclaves et ses relations difficiles avec son histoire, est l’un des nombreux experts qui ont remis en question à la fois l’exactitude et le ton du tweet du Trésor.

Il a fait remarquer que la loi sur l’abolition de l’esclavage n’a pas mis fin à la traite des esclaves : la traite triangulaire qui reliait Bristol à l’Afrique de l’Ouest et aux plantations des Caraïbes et des États-Unis avait été abolie des décennies plus tôt, en 1807, et pourtant le tweet du Trésor contenait une image de la traite des esclaves.

Le tweet a déclenché une réaction féroce sur les médias sociaux, et beaucoup ont attaqué son ton. Ils ont déclaré que le fait de payer des millions aux propriétaires d’esclaves en compensation ne devrait pas être "célébré".

Le Trésor a rapidement supprimé le tweet, et a ensuite fourni une explication au Bristol Post. "En réponse à une demande de liberté d’information, nous avons récemment publié des informations sur les dépenses gouvernementales liées à l’abolition de l’esclavage en 1833", a déclaré un porte-parole du Trésor. "Un tweet d’accompagnement a également été publié, mais il a été supprimé par la suite en réaction aux questions soulevées par le caractère sensible du sujet", a-t-il ajouté.

M. Olusoga, qui a écrit plusieurs livres sur la traite des esclaves et le rôle de la Grande-Bretagne dans ce domaine, et qui a présenté des programmes télévisés de la BBC sur le sujet, a déclaré que le tweet était inapproprié. "La vraie question est de savoir pourquoi quelqu’un a pensé que c’était correct", a-t-il dit. "Je pense vraiment que nous nous améliorons en acceptant le rôle du Royaume-Uni dans l’esclavage et la traite des esclaves, mais des choses comme ça me font douter. De plus, pour aggraver le niveau général d’ignorance, lorsque le Trésor britannique réduit l’histoire complexe de l’abolition de l’esclavage à l’un de ses "faits du jour", il utilise une image non pertinente de la traite des esclaves - qui a été abolie trois décennies plus tôt.

"Nous avons passé un an à réaliser une série de la BBC sur les compensations versées aux propriétaires d’esclaves, par le biais d’une taxation régressive qui touchait le plus les pauvres. Une partie du prix payé par les esclaves eux-mêmes. Le Trésor trouve que c’est un "fait du jour" amusant", a-t-il ajouté. M. Olusoga a déclaré qu’il travaillait actuellement sur une série de reportages sur l’esclavage moderne. "L’existence de l’esclavage moderne ne signifie pas que nous devons oublier l’esclavage historique. Lorsque les gens parlent d’esclavage, l’esclavage moderne est utilisé pour les réduire au silence", a-t-il déclaré.

Daniel Hannan, député européen de droite et leader du groupe Brexiteer, a interrogé M. Olusoga sur Twitter à propos de ses objections. "Il est facile d’être contre l’esclavage dans l’abstrait", a-t-il déclaré." Ce n’est pas la même chose que de contribuer personnellement à l’abolition de ce fléau ". (Je) n’ai jamais compris pourquoi les gens trouvent cela choquant", a-t-il ajouté.

L’historienne locale Kirsten Elliott a souligné qu’outre le fait que les esclaves libérés eux-mêmes ne recevaient aucune compensation, la dette signifiait que leurs descendants remboursaient l’argent qui revenait aux propriétaires de leurs ancêtres pour le privilège d’être libérés pendant des années. "Ai-je raison de penser que cela signifie que les descendants d’esclaves - qui n’ont jamais reçu aucune compensation - ont payé pour les compensations versées aux propriétaires d’esclaves ?", a-t-elle demandé.

Et Cleo Lake, conseillère municipale de Bristol, a déclaré qu’elle était indignée. "Je veux que mon argent soit remboursé", a-t-elle tweeté. "Je suis indignée. Ce message est tellement lourd de sens."

Tristan Cork

Traduction "vous ne pensiez tout de même pas qu’ils l’ont fait par bonté de coeur ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

 https://www.bristolpost.co.uk/news/bristol-news/taxpayers-bristol-were-still-paying-1205049

COMMENTAIRES  

08/06/2020 16:11 par Georges Olivier Daudelin

L’OLIGARCHIE MÉDIATIQUE ATLANTISTE DONNE DE L’AMPLEUR AUX CONTESTATIONS ANTI-POLICIÈRES AFIN DE COUVRIR LA FAILLITE DE LA GOUVERNANCE CHAOTIQUE MORTIFÈRE DU COVID-19 (CATASTROPHE HUMAINE HISTORIQUE). Très fasciste comme technique médiatique.

08/06/2020 16:14 par Assimbonanga

Ben quoi ? C’est toujours pareil : on va emprunter aujourd’hui pour filer du fric aux grandes entreprises, sous prétexte de covid alors qu’elles ont toujours su engranger un max de profits. Ça ne change pas. Les riches captent toujours l’argent en vertu du principe invariable de la privatisation des profits et de la nationalisation des pertes.

08/06/2020 17:27 par Renard

Cocorico c’est notre bon français Alexis De Tocqueville qui a calculé, de manière très savante, que, finalement, il revenait moins cher pour les propriétaires de payer des ouvriers plutôt que de posséder des esclaves. On n’arrête pas le progrès cher monsieur !

09/06/2020 01:05 par Georges SPORRI

@Georges Olivier Daudelin / D’une part tu as raison, ce mouvement peut être utilisé comme contre-feu, c’est d’ailleurs le cas. Paradoxalement, il peut même être une préparation des élections de 2022 : garantir la présence du RN ou de Dupont Gnangnan au second tour contre MACRON et désespérer le "peuple de gauche". Cependant, comme l’explique MARX dans "La question juive" la police est l’institution centrale de la société bourgeoise, car, en dernière analyse, l’ordre établi ne repose que sur la force. Lénine nous incitait d’ailleurs à "saisir toutes les opportunités"...

MACRON et ses chefs (MEDEF-CPME-Banques d’affaires-FNAIM-CTPE-FNSEA-corporations privilégiées...) essayeront évidemment de ne pas vraiment tenir les promesses faites aux soignants pendant la très petite épidémie, de remettre en chantier la réforme des retraites le plus vite possible, de réduire les salaires et les assurances sociales collectives. Si nous voulons résister nous aurons l’état policier face à nous.

La "révolution" ne se fera pas sans l’immigration et les salariés du petit peuple des villes. Ni sans la jeunesse paupérisée et surexploitée. Alors il faut foncer ! Essayer de soutenir la partie la plus radicale de ce mouvement contre les manipulateurs de la fausse gauche qui vont essayer d’en prendre la tête pour le foutre sur une voie sans issue.

09/06/2020 09:44 par Assimbonanga

Oui ! " l’ordre établi ne repose que sur la force". Nouvel exemple à rajouter au dossier des iniquités policières :Les gendarmes de Demeter convoquent un porte-parole de France nature environnement
C’est encore un exemple du dévoiement de l’usage de la soldatesque qui rappelle l’ancien régime : les gens d’armes au service des grands seigneurs qui sont de nos jours des entrepreneurs qui entretiennent des lobbies. Dans ce cas, l’agro-industrie. Mais ça peut aussi être le lobby du nucléaire : À Bure, l’agence des déchets nucléaires se paie des gendarmes
Les dérives sont multiples. Ça peut aussi bien être des chiffonniers ou des ferrailleurs qui prennent le pas sur les communes, départements ou régions dans le traitement des déchets... Ou bien des entreprises de fourrière qui abusent de leur position pour transformer en course au profit l’enlèvement des véhicules en stationnement interdit avec la complicité policière.

Je trouve que le NPA sait très bien expliquer le principe de la cotisation et du salaire différé : Une crise inédite arrive, c’est une bombe à retardement. Il faudrait pourtant que les vidéos se limitent à 4 mn pour parvenir aux travailleurs harassés. Le temps de cerveau disponible n’est pas énorme pour les raisons citées.

Je trouve qu’avec le "quoi-qu’il-en-coûte" de Macron, on reproduit le même procédé : donner les indemnisations aux esclavagistes et non aux esclaves. Après tout, dans un autre monde, si on avait donné aux salariés les sommes levées et qu’on leur avait laissé le loisir de s’organiser, le monde aurait continué de tourner mais avec moins de voitures et d’avions par exemple.

C’est dingue, que s’est-il passé ? Deux mois d’arrêt de travail. C’est tout.

09/06/2020 09:56 par CN46400

@ GSporri
100% d’accord, gare à ceux qui auront trop cru à la "France d’après".... La lutte des classes entre la bourgeoisie encore plus assoiffée de profits et les prolos qui vont, face à la baisse des postes de travail, avoir plus de difficultés pour vendre leur force de travail, va devenir encore plus saignante. Et, baisse, absolue ou relative, des salaires, c’est l’extention du chômage garantie....

09/06/2020 12:42 par irae

Quand il s’agit d’indemniser les riches l’argent est toujours magique, du moment qu’il vient de la poche des pauvres. Encore une belle illustration, merci pour cet édifiant article.

09/06/2020 23:24 par AF30

Pensant au commerce triangulaire je me suis souvent demandé s’il n’existait pas encore des familles bourgeoises dans nos bonnes villes de Nantes ou de Lorient ou ailleurs qui ne profitaient pas de nos jours d’une aisance financière qui a pour origine une fortune accumulée en ces temps là.
Je pense également à la chanson de Graeme Alwrigth, la ligne Holworth qui après fortune faite dans le transport d’esclaves s’est reconvertie dans un commerce plus respectable :
" Depuis le monde a bien changé
La ligne Holworth a fait peau neuve
Elle est très bien considérée "

10/06/2020 09:43 par Danael

C’est toujours la même loi de la propriété privée des moyens de production ( la droite connaît mieux Marx, hélas, que les opprimés). Un autre rappel d’histoire ( parmi d’autres) : notre chère République française a bien aussi écrasé par la dette (jusqu’à nos jours) le peuple haïtien qui avait osé briser jadis les chaînes du système esclavagiste français. Elle l’appelait "le traité de l’amitié." La novlangue étant bien sûr une très vieille coutume des classes dominantes.
https://www.politis.fr/articles/2017/09/haiti-de-la-traite-a-la-dette-37581/

10/06/2020 13:28 par Gilles

@AF30 : en France métropolitaine je ne sais pas, mais aux Antilles françaises c’est le cas.
Il existe en Guadeloupe et Martinique des familles descendants d’esclavagistes qui se sont enrichies avec l’esclavage puis avec les indemnités versées par l’état et les terres attribuées à l’abolition.
Ces familles ont une position financière dominante aujourd’hui. Elles sont richissimes et imposent leurs lois. Elles possèdent en Martinique 95% du foncier. C’est un peu moins le cas en Guadeloupe car l’île a vécu la Révolution française.
La famille la plus connue est la famille Hayot, en Martinique, dont l’entreprise est le Groupe Bernard Hayot.
Cette situation est injuste, et le mot est faible. Tant que cette injustice n’aura pas été réparée une rancoeur (ou de la haine) perdurera dans le cœur des habitants.

10/06/2020 18:26 par szwed

Comme tous les britanniques d’ailleurs qui acceptent d’entretenir à grands frais et sans raisons les membres de la monarchie britannique, il sont vraiment cons les habitants de Bristol pour encore aujourd’hui et depuis plus d’un siècle accepter de payer cet impôt inique. Les biens mal acquis des descendants d’esclavagistes devraient être saisis et remis à la communauté et en partie aux organisations humanitaires luttant contre les nouvelles formes d’esclavagisme.

10/06/2020 23:22 par François de Marseille

@Renard : les industriels ont trouvé encore mieux que le salariat, c’est imposer à sa main d’oeuvre L’auto-entreprenariat. Generaliser ce statut, c’est peut-etre l’horizon ultime du capitalisme. Chacun se battra pour sa survie, sans chaîne ni gardien.
On en est proche...

11/06/2020 08:42 par doucic

Il ne manque qu’une chose dans cet article : les noms des bénéficiaires de cette redistribution de richesses généreuse.
La vengeance c’est pas bien, et bla et bla, reporter la faute des ascendants sur les descendants c’est dégueulasse, et bla et bla.
En attendant, ces derniers comptent leurs sous en se marrant.

Cette histoire me fait penser à l’article paru il y a quelques temps sur la dette d’Haiti, où j’apprenais que les Haitiens "nous" "doivent" encore du pognon pour leur liberté...

De manière générale, je me défie souvent des anglo-saxons, mais il y a un truc que j’aime bien chez eux, c’est le "name and shame". Les institutions scélérates sont toujours incarnées par des êtres de chair et d’os : qui collecte cet argent ? qui signe pour l’encaisser ? qui refait le chèque pour le donner aux pires salauds ? ce n’est pas la main invisible du marché ou les voies du seigneur, c’est probablement un homme blanc de plus de 50 ans qui ne courre pas vite....

14/06/2020 12:26 par Mohamed

Article très intéressant mais dont la présentation semble montrer que durant toutes ces années, nous avons payé les esclavagistes et leurs enfants sous forme d’impôts, ce qui est élude, à mon sens, un autre point important.

Loin de moi l’idée de défendre les esclavagistes et leurs "indemnisations" mais j’imagine que l’état s’est endetté pour "indemniser/faire plaisir" aux esclavagistes, et donc à moins que les esclavagistes possédaient les banques de l’époque et leurs descendants celles d’aujourd’hui, on ne peut pas dire que c’est eux qui ont été payé toutes ces années. Comme d’habitude, on revient à la question centrale concernant le paiement de la dette et surtout des intérêts de la dette... Je crois que ça mérite d’être souligné et c’est dommage qu’il n’y soit pas fait mention dans l’article.

Pour ce qui est de "l’indemnisation" en elle-même, j’imagine qu’elle a été donné directement en son temps donc s’arrêter à cette "indemnisation" est un débat qui devait être tenu il y 200 ans. Aujourd’hui nous sommes tous d’accord pour dire que les esclavagistes n’auraient pas dû obtenir cette "indemnisation" et qu’au contraire ce sont les esclaves qui auraient dû indemniser. C’est d’ailleurs triste de devoir encore employer le terme "d’indemnisation" pour les esclavagistes.

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