Egypte : la démocratie militaire

Les Etats-Unis étaient dans une fausse ambiguïté sur la situation en Egypte et le secrétaire d’Etat américain l’a levée au Pakistan en déclarant que l’armée est intervenue pour rétablir la démocratie. Le propos suscite la controverse aux Etats-Unis mêmes où certains remarquent que John Kerry a choisi de faire sa déclaration dans un pays où, au nom de leurs intérêts, les Américains se sont accommodés, voire ont soutenu les intrusions de l’armée en politique.

Bien entendu, John Kerry a pris soin de dire que les violences subies par les manifestants sont « inacceptables » et que cela « n’est pas rétablir la démocratie ». Mais c’est une exception de forme à un soutien de fond qui n’a rien de surprenant. Même si les Américains avaient des lignes de contact avec les Frères musulmans, l’armée égyptienne est l’allié stratégique par excellence, celui qui veille à ce que l’ordre géopolitique ne soit pas perturbé. Et à ce que Camp David soit respecté. Les Israéliens, eux, ont demandé publiquement et sans doute par des voies plus informelles à ce que les Américains ne la jouent pas trop « principe ». Et au fond, ils ne la jouaient pas. En s’abstenant de parler de « coup d’Etat », ils ont choisi les militaires contre la démocratie.

Les médias qui parlent d’embarras américain se trompent clairement. Israël le sait, toute démocratisation dans un pays comme l’Egypte aboutira inéluctablement à une remise en question de Camp David et à un rapport très différent aux Palestiniens. Quand l’armée égyptienne intervient et reprend le peu de pouvoir qu’elle avait concédé, c’est Camp David qui est encore plus protégé. Quant aux Palestiniens, il suffit, pour ceux qui ont le cœur à ça, de se brancher les « télés mille collines » d’Egypte pour prendre la mesure de la campagne haineuse et raciste qui est menée contre eux. Quand un processus démocratique échoue - et en Egypte il ne peut être question de démocratie quand une moitié d’Egyptiens est traitée déjà en « terroriste -, Israël, la « prétendue seule démocratie au Proche-Orient », est tranquille. Et ce n’est pas exagéré de reproduire la fameuse formule « ce qui est bon pour General Motors est bon pour les Etats-Unis » en disant que pour l’establishment de Washington, « ce qui est bon pour Israël est bon pour les Etats-Unis ».

Washington en soutenant la démocratie du général Sissi a cependant pris la précaution de faire savoir que le droit de manifester doit être respecté. Ce n’est pas tout à fait inutile au moment où le pouvoir égyptien a des velléités d’en découdre en désignant les espaces où les pro-Morsi organisent leur sit-in de « menaces à la sécurité nationale ». Mais il faut en convenir, John Kerry n’a fait que confirmer un choix d’intérêt qui a été déjà fait par l’administration américaine. Il n’y avait aucun embarras, il y avait juste une gestion de la communication à faire. Désormais avec les déclarations de John Kerry on n’est plus dans le faux-semblant. L’intérêt prime. Washington devra cependant s’en souvenir : elle n’a pas, une fois de plus, de leçon de démocratie à donner. Même si du haut de sa surpuissance Washington pense qu’elle peut faire passer au monde entier l’idée biscornue qu’il suffit d’être l’ami des Américains pour bénéficier du label de démocratie. Sissi l’est, Sissi est donc démocrate. C’est court et c’est américain.

M.Saadoune

 http://lequotidienalgerie.org/2013/08/04/la-democratie-militaire/

COMMENTAIRES  

08/08/2013 14:36 par Dwaabala

Dans la même colonne G. Corm rappelle que les FM ont toujours eu une branche secrète armée dont les éléments les plus extrémistes ont souvent pratiqué la violence : assassinats de personnalités politiques, tel le président Sadate, ou tentatives d’assassinat, comme par exemple sur le président Nasser, ou sur le célèbre écrivain Najib Mahfouz, prix Nobel de littérature, et bien d’autres, ou encore les attaques sanglantes contre des groupes de touristes étrangers.
Et d’autre part il estime que l’intervention de l’armée a été le plus vraisemblablement motivée par un coup d’État rampant, mené, depuis l’arrivée du président Morsi à la tête de l’Égypte, par la confrérie des FM et son guide suprême et consistant à gangrener tous les rouages de l’État et probablement de la troupe militaire
Il ne pense pas que l’armée souhaite garder le pouvoir qu’elle exerce de façon feutrée, dans les coulisses, depuis la disparition de Abdel Nasser.
Enfin, il insiste très justement sur le fait que le pouvoir, quel qu’il soit doit trouver des solutions radicales aux énormes problèmes économiques et sociaux : chômage massif des jeunes, exclusion, inégalités sociales et régionales monstrueuses, méfaits de la persistance de l’économie de rente, de la concentration de richesses aux mains de milliardaires proches des pouvoirs, échec enfin à intégrer l’univers de la science et des technologies modernes [...] facteurs qui ont provoqué les manifestations populaires géantes dans tout le Monde arabe au printemps 2011, et certainement aussi ceux qui ont conduit à l’éviction de Morsi.
Il conclut en disant qu’en tous cas, le résultat de cette épreuve de force entre partis laïcs et partis à référent religieux en Égypte déterminera largement l’avenir du monde arabe.
À quoi il est raisonnable d’ajouter : et bien au-delà.

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