Des comédiens jouant les vrais salariés pour espionner leurs prétendus collègues ? La CGT a saisi la justice pour dénoncer « la mise en place d’un système visant à infiltrer le syndicat » et surveiller le personnel d’un groupe de maisons de retraite.
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Ils s’appellent Bastien, Fabien et Guillaume. Ces « acteurs de métier » ont été embauchés en 2010 par l’exploitant de maisons de retraite et cliniques privées Orpea-Clinea, n°2 du secteur en Europe, dans le cadre d’« un système organisé de surveillance », affirme l’avocat de la CGT Sofiane Hakiki. Sollicité, le groupe n’a pas réagi pour l’heure.
Ces pratiques avaient été révélées par le magazine L’Expansion en mars 2012, et détaillées début décembre dans Le Canard enchaîné. « Sous couvert de gestion préventive du risque social, le but était de prendre le pouls social, repérer les hostilités à la direction et ensuite approcher le syndicat qui semblait le plus dangereux », rapporte Me Hakiki.
Contrats de travail en poche, les faux collègues mais vrais comédiens, recrutés notamment comme brancardier ou agent d’entretien, ont été envoyés en « observation » sur les sites de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), Andilly (Val-d’Oise) et à Lyon (Rhône), selon les pièces qui étayent la plainte contre X déposée mardi au parquet de Paris. Première étape pour l’« implant » : se fondre dans la masse, puis « copiner avec les collègues », et enfin « prendre la défense de leurs intérêts jusqu’à se faire élire aux élections professionnelles », détaille l’avocat.
Une société citée dans l’enquête sur une surveillance illicite chez Ikea
Un contrat avait été passé en 2010 entre le groupe Orpea-Clinea et la société de renseignements privée GSG, spécialisée dans le « conseil en gestion de risque social ». Son nom est apparu dans l’enquête sur des soupçons de surveillance illicite de salariés d’Ikea ouverte à Versailles (Yvelines) depuis 2012. Facturé 12 500 euros HT par mois au groupe, chaque « implant » rendait compte de ses observations : seize rapports hebdomadaires ont été adressés à la DRH entre le 22 mars et le 4 septembre 2010. Dans l’un d’eux, un observateur veut « favoriser la confiance de ces collègues » et fait savoir qu’il va « les convier à déjeuner chez lui la semaine prochaine, sorte de pendaison de crémaillère ».
Pauses cafés, tractage, mécontentement, jeux de pouvoir.... « Les implants relevaient de manière quotidienne les faits et gestes des salariés en prenant un soin particulier à noter les activités syndicales », selon la plainte. Ainsi, un implant précise en « informations complémentaires » que le « sujet JCO » « consommait de la drogue, marijuana et résine de cannabis essentiellement ». La convention avec GSG ainsi que les rapports « caractérisent les délits d’entrave au droit syndical, d’atteinte à la vie privée et de collecte de données à caractère personnel », selon la plainte.
De l’espionnage pour la CGT, une « observation » expérimentale, se défend Orpea-Clinea. Dans un courrier « confidentiel » adressé fin 2012 à la CGT qui demandait des explications, la direction justifiait la réalisation d’« une étude sur les risques psycho-sociaux » et le climat social dans le cadre d’accords sur les conditions de travail. Le groupe y détaille « la méthodologie » de GSG, basée sur « l’observation in situ », en « immersion totale », et dont « la pertinence reposait en grande partie sur le caractère anonyme des intervenants », selon ce courrier.
L’embauche inédite de comédiens pour espionner
Il assure aussi avoir « exigé des garanties déontologiques » : « consciente » du risque de « dérives », « GSG a mis en place une charte éthique encadrant strictement ses interventions ». En vain, pour Me Hakikipour qui « ces dérives illustrent la volonté de l’employeur de vouloir tout maîtriser, par tous les moyens ».
L’espionnage de salariés n’est pas une pratique nouvelle. Disneyland Paris a été condamné à 150 000 euros d’amende pour avoir espionné des candidats à l’embauche en puisant dans les fichiers de police. De même , Lidl a été écopé, en Allemagne, d’une amende de 1,5 million d’euros pour avoir fait surveiller des employés par des détectives. Mais faire appel à des comédiens semble une méthode « assez inédite », pour Jean-François Amadieu, professeur à l’université de Paris 1, spécialiste des relations sociales. « De nos jours, les informations sont plutôt glanées sur les réseaux sociaux. Les employeurs adorent farfouiller sur internet. »