RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Des cochons, Monsieur Poutine ?

Vladimir Poutine s’est plié à l’exercice de l’adresse annuelle, son « état de la Fédération », pour la quinzième fois déjà en tant que président. Comme d’habitude, c’est le silence radio chez nous, ou alors les cris d’orfraie. Pourtant, comparé à l’état de l’Union de Trump, ce discours d’une heure et demie a été bien plus construit et riche d’enseignements. Puisque la presse française refuse de s’y coller, passons-la en revue. En direct de Moscou.

L’année dernière à la même époque, on lui avait reproché, surtout en Russie, de trop parler international, crises géopolitiques et armements, et pas assez des « problèmes des vraies gens ». Cette année, il réservera moins d’un quart d’heure à son sujet de prédilection, à la fin de son intervention, sans d’ailleurs mentionner la Syrie ni même l’Ukraine.

L’année presque écoulée depuis sa réélection ayant été consacrée à une réforme des retraites plutôt mal accueillie, il s’est attaché à se montrer sous son jour le plus social, mêlant dans un demi-satisfecit un peu osé constatations indiscutables, promesses datées et annonces douteuses. Du moins a-t-il passé en revue, sans se dérober, tous les points où le bât blesse ses compatriotes, et exigé de son cabinet « des résultats rapides, sensibles, durables ».

La constatation indiscutable, c’est le problème démographique. La Russie a la démographie malmenée : entre la guerre mondiale, les purges staliniennes, l’émigration et la surmortalité des années 90 et la dénatalité post-soviétique, la population vieillit et se réduit. Ç’a été l’un des arguments, fallacieux, de la réforme des retraites. Alors que la Russie présente l’une des espérances de vie les moins élevées d’Europe, elle vient de repousser assez brutalement les âges de départ à la retraite (60 ans pour les femmes, 65 pour les hommes, soit +5 ans). Les vagues promesses de revalorisations de 1000 roubles (13 euros) étalées sur plusieurs années n’adoucissent pas vraiment la pilule. Ni les promesses de centres de soins accessibles « dans chaque commune » de Russie. Au-delà de la promesse peu réalisable, le problème, surtout dans les campagnes reculées, est celui de la pauvreté encore plus que de l’accès aux soins. Un état de fait que s’empressent de souligner les politologues Nikita Isaev et Nikolay Platochkine. « Une pitoyable tentative de se justifier » affirme ce dernier au sujet de l’adresse, soulignant que les aides proposées aux familles nombreuses, aux handicapés et aux retraités, qui s’échelonnent de 5 à 10 000 roubles par mois, ne sont qu’une « aumône du tsar aux mendiants », surtout après la hausse des impôts qu’il a fait passer.

Sur le chapitre des impôts, justement, le président russe s’est fendu d’un très sarkozyen « Plus d’enfants, moins d’impôts », proposant de mettre la nouvelle politique fiscale au service de ses ambitions natalistes déjà anciennes. Des aides qu’il annonce en outre rétroactives, c’est à dire avec effet au 1er janvier 2019. Même si l’intention est bonne, on ne peut pas dire qu’elle fasse rêver, ni que les sarcasmes soient entièrement hors de propos.

Enfin, il a voulu aussi promettre une relance de la croissance économique, plus que molle ces dernières années. On peut se demander si sa promesse d’aider les familles nombreuses à rembourser leur emprunt immobilier, à hauteur de 450 000 roubles (6 000 euros) permettra de relancer l’économie. Ni la revalorisation (de quelques euros à peine) du minimum vital pour les retraités qui passe désormais au-dessus de 12 000 roubles par mois (160 euros) à Moscou, moins encore dans les régions. Une mesure qui s’attire les quolibets pas entièrement immérités d’Alexei Navalny. Le contempteur attitré des hauts fonctionnaires commence par se gausser de l’auditoire du président dans l’amphithéâtre où il officiait : « Ça m’a fait l’effet de revoir d’anciens amis... presque tout le beau monde qu’on a vu à la télévision pour applaudir le chef a fait l’objet d’un dossier ou d’une enquête de notre fonds de lutte contre la corruption ». Effectivement, après avoir lui-même connu quelques déboires avec la justice, Alexei s’est mis en devoir de documenter les datchas dignes de Versailles, les études à l’étranger des rejetons et autres signes de luxe ostentatoire qu’arboraient des hauts fonctionnaires pourtant chichement rétribués selon la grille de salaires officielle. Il a raison de le constater, les politiciens russes sonnent aussi mal que leurs collègues français lorsqu’ils exhortent leurs compatriotes à se serrer la ceinture et à se montrer patients lorsqu’eux-mêmes vivent sur un grand pied et partagent le quotidien des milliardaires.

« Le tsar est bon, les boyards sont méchants »... un vieux classique de tous les pays, souvent évoqué aussi en Russie. Sans dévoiler ses batteries trop directement, Vladimir Poutine a pourtant distillé, à la fin de son intervention sociale, une menace voilée de remaniement ministériel. Concluant que le gouvernement avait du pain sur la planche et que le travail urgeait, il a usé d’une métaphore guerrière, ou plutôt d’un fameux proverbe militaire russe : « Si tu ne te sens pas sûr, n’approche pas de l’obus ». Sous-entendu, « ceux qui y vont à reculons, qui hésitent, qui temporisent, seront remplacés ».

C’était la transition nécessaire pour parler un peu géopolitique. Quinze minutes, moins même, lui ont suffi pour mettre les points sur les i. Il a répété, en soulignant bien qu’il se répétait exprès, pour empêcher les interprétations tendancieuses de « nos amis et partenaires étrangers », que la Russie excluait tout recours en premier à l’arme atomique (ce que refusent d’exclure pour eux-mêmes les Américains), et que sa doctrine est par conséquent entièrement défensive. Il a aussi rappelé que la mise au rencart de l’accord sur les missiles à moyenne et courte portée (1987) par les Américains n’avait pas pour cause une violation par les Russes comme cela a été affirmé sur toutes les chaînes occidentales. Si effectivement cet accord est obsolète, c’est parce qu’il avait été signé entre l’URSS et les USA, et que depuis de nombreux pays avaient progressé dans ce domaine, laissant les deux grands à découvert. Cela dit, il a mis en garde les Américains contre la tentation (affichée par eux) de se cacher derrière leurs alliés européens pour bombarder la Russie à partir de silos situés en Europe de l’Est « d’où la durée de vol se réduit à 10 ou 15 minutes jusqu’à Moscou ». « La Russie ripostera, et pas seulement sur les pays en question, mais aussi sur les centres de prise de décision », comprenez les États-Unis, a précisé le président russe.

Cette remarque a été l’occasion pour lui de glisser une petite fantaisie qui a donné du fil à retordre aux traducteurs. Évoquant les menaces et les mensonges des Américains en matière d’armements nucléaires stationnés en Europe, il a évoqué les « discrets grognements d’approbation » qu’émettaient leurs alliés européens, provoquant le sourire de son auditoire sur un thème pourtant préoccupant.

C’est une petite phrase qui entrera peut-être dans l’histoire, aux côtés du « Kouzkinou mat’ * » de Khrouchtchev à l’ONU. Vladimir Poutine a-t-il traité les Européens de cochons ? Le grognement en question - подхрюкивать - suggérait nettement une origine porcine. Aurait-il dû employer le terme plus neutre de поддакивать, c’est à dire « approuver sans réserve et sans examen avec un enthousiasme excessif » ? Sans me lancer dans une exégèse exagérément approfondie, je propose l’interprétation suivante : les Européens qui suivent aveuglément l’Oncle Sam dans cette nouvelle course aux armements se rendent-ils compte qu’en accueillant des missiles atomiques sur leur territoire, ils suivent celui-ci vers une possible boucherie atomique ? Qu’ils acceptent, en échange de quelques friandises, d’effectuer quelques pas extrêmement risqués ? Qu’ils sont donc comme des cochons que l’on mène à l’abattoir ?

* « Мы вам покажем Кузькину мать » avait lancé Khrouchtchev en martelant le pupitre de sa chaussure. Une exclamation qui avait été traduite par « We will bury you » (on vous enterrera). Coup de chapeau aux traducteurs ! Selon ma version personnelle (mais il n’y a pas vraiment de traduction officielle) l’expression « Vous montrer la mère de Kouskine » signifie effectivement vous expédier dans l’au-delà, rendre visite à la mère décédée de l’hypothétique Kouskine. « La mère Kouzkine » fut d’ailleurs le surnom de la bombe de 58 mégatonnes qui devait exploser en Nouvelle Zemble quelque temps plus tard.

Christophe TRONTIN

URL de cet article 34608
  

L’Âge du capitalisme de surveillance
Shoshana Zuboff
« Révolutionnaire, magistral, alarmant, alarmiste, déraisonnable... Inratable. » The Financial Times Tous tracés, et alors ? Bienvenue dans le capitalisme de surveillance ! Les géants du web, Google, Facebook, Microsoft et consorts, ne cherchent plus seulement à capter toutes nos données, mais à orienter, modifier et conditionner tous nos comportements : notre vie sociale, nos émotions, nos pensées les plus intimes… jusqu’à notre bulletin de vote. En un mot, décider à notre place – à des fins (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Le fait de se définir Blanc ne s’est pas construit à travers des séances d’œnologie ou de dégustations de glaces entre amis, mais sur le saccage de la vie, de la liberté, du travail et des terres ; sur la lacération des dos ; l’enchaînement des membres ; l’étranglement des dissidents ; la destruction des familles ; le viol des mères ; la vente des enfants ; et tant d’autres actions destinées avant tout à nous refuser à toi et moi le droit de protéger et de disposer de nos propres corps. »

Ta-Nehisi Coates

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.