RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Derrière l’affaire Benalla, la banalisation de la violence policière

L’affaire Benalla révèle que M. Macron n’est plus invincible. Elle dévoile aussi la tentative de créer une police privée, dans une logique néolibérale extrémiste. Mais l’angle mort du scandale reste la banalisation de la violence policière : le tabassage aurait été admis... s’il avait été le fait d’un policier.

L’incendie a pris à la plaine avec une telle vigueur et une si surprenante rapidité qu’il est encore trop tôt, dans la fournaise, pour deviner où il s’arrêtera. Mais dans le brasier se lit déjà ce qu’il a détruit et ce qu’il révèle.

Ce qu’il a détruit, c’est l’apparente invincibilité de M. Macron et de sa cour. Sur un terrain qu’avaient durement préparé les quinquennats de Sarkozy et Hollande, M. Macron a mis en œuvre à marche forcée un néolibéralisme total, imposant une fiscalité encore plus favorable aux riches, l’adaptation du droit du travail au profit des employeurs, la banalisation de l’état d’urgence, le démantèlement du chemin de fer, une politique anti-environnementale, avant de se préparer à des privatisations multiples, à la déstructuration de la fonction publique, et à la dissolution de la retraite par répartition. Appuyé sur une majorité parlementaire massive, soutenu par des médias détenus par ses amis du capital, face à une opposition divisée et faible, M. Macron pouvait croire irrésistible son projet de « transformation disruptive ». Mais une étincelle a mis le feu à une société politique que l’on croyait apathique. Soudain, le président est bloqué, ses ministres ne savent plus quoi dire, ses députés plient sous l’orage, et M. Macron en est réduit à une provocation de voyou : « Qu’ils viennent me chercher. »

La cuirasse a cédé, et de la jointure s’écoulent la légitimité, l’aura, la vista du personnage. La séquence victorieuse s’achève, la bête est blessée. On sait maintenant que M. Macron peut être battu. Et déjà, il doit abandonner son projet de réforme constitutionnelle, qui visait à donner encore plus de pouvoir au président de la République.

Pourquoi cette défaite s’opère-t-elle à partir du cas d’un conseiller semi-secret s’arrogeant des pouvoirs de basse police, l’affaire révélant l’amorce de la constitution d’une police privée du Président ? Une hypothèse est que, du fait de l’apparente inertie du corps social face aux réformes néolibérales, la répartition des pouvoirs politiques entre les groupes aspirant à contrôler un jour l’appareil de l’État devient le principal objet de la conflictualité. Or M. Macron envisageait la privatisation du service chargé de sa protection en tant que président : « Au vu des infos que nous avons recueillies, commence à émerger une possibilité qui, si elle était avérée, serait gravissime », a dit mardi 24 juillet au soir M. Bas, président de la commission des lois du Sénat ; « On nous évoque la possibilité que des civils aient travaillé aux côtés, voire carrément dirigé la troupe d’élite chargée de la protection du PR [président de la République]. Si c’était avéré, ce serait une violation de l’État de droit. »

La démarche est plus que symbolique. Elle exprime que le néolibéralisme de M. Macron est extrémiste : il vise à la privatisation des fonctions même de l’État, renonçant à ce qui constitue un des piliers de la démocratie, à savoir la distinction entre un appareil public, censé défendre l’intérêt général, et la sphère des intérêts privés, régis par les stratégies individuelles.

Il est frappant que cet assaut idéologique se soit dévoilé sur le terrain très concret d’une répression physique. Le président voulait avoir son œil direct sur les mouvements sociaux — un intérêt qui témoigne que, malgré leur faiblesse apparente, ces mouvements sont perçus par le pouvoir comme stratégiquement menaçants —, sans imaginer que ses sbires iraient jusqu’à vouloir cogner eux-mêmes, comme de vulgaires voyous. Mais ils révèlent la violence que dissimule l’aspect lisse de M. Macron : le désir du combat de rue, « qu’ils viennent me chercher ».

On comprend que l’institution policière tout entière se rebelle contre l’entreprise : elle signifie que la police n’a pas pour fonction d’assurer l’ordre public — la paix civile, devrait-on dire plus exactement —, comme le croient les policiers et gendarmes, mais d’exercer un pur rapport de force pour soumettre les récalcitrants à la loi du néolibéralisme.

Ainsi, l’affaire Benalla révèle que le débat politique se concentre aujourd’hui sur ce que doit être le pouvoir de contrainte de l’État. Malgré la logique oligarchique du système, et l’assentiment global des médias et de la majorité des parlementaires au néolibéralisme, ils rechignent à le pousser dans les conséquences extrêmes vers lesquelles l’entraîne M. Macron, et veulent marquer une limite.

Mais cette volonté, au demeurant louable, laisse un angle mort qui est éclairé par un homme du sérail, commissaire de police honoraire : « Si Benalla avait été un vrai policier, tout le monde aurait trouvé “normal” qu’il tape sur des manifestants non violents. D’ailleurs, personne ne relève le fait que le jeune homme, une fois à terre, ait été rudement molesté par les CRS. » En fait, confirme le site Paris Luttes, « la violence de Benalla était tellement proche de celle exercée par les flics que personne n’a imaginé qu’il pouvait avoir une autre fonction ». Il n’est pas reproché au mercenaire de M. Macron d’avoir frappé, mais qu’il l’ait fait sans être vraiment policier... On mesure par là à quel point la banalisation de la violence policière a gangrené l’esprit public.

Depuis des années, les dirigeants ont rendu globalement acceptable une répression de plus en plus violente et souvent meurtrière dans les quartiers populaires et contre les mouvements sociaux et écologistes. Ainsi, la mort de Rémi Fraisse n’a guère suscité de réprobation, celle de Jérôme Laronze est passée inaperçue, les mutilations de Robin Pagès (à Bure le 15 août 2017) ou de Maxime Peugeot (à Notre-Dame-des-Landes le 22 mai 2018) n’ont presque pas eu d’écho, tandis que les homicides d’Adama Traoré, de Wissam El-Yamni, d’Aboubakar Fofana et de dizaines d’autres n’échappent au silence que par l’obstination courageuse de leurs proches à faire entendre le cri de la justice.

Ainsi, il est heureux que M. Macron et l’idéologie qu’il incarne aient trouvé un frein. Il est appréciable que l’on cherche à recadrer les pouvoirs publics pour qu’ils soient soumis à la loi plutôt qu’au bon plaisir du Président. Mais il serait dramatique que l’affaire Benalla ne soit pas l’occasion de proclamer que c’est la violence même de la police, fût-elle « d’État », qui est devenue insupportable dans une société qui aspire à la paix.

Hervé Kempf

»» https://reporterre.net/Derriere-l-affaire-Benalla-la-banalisation-de-l...
URL de cet article 33647
  

Même Thème
Michel Boujut : Le jour où Gary Cooper est mort.
Bernard GENSANE
Le jour de la mort de Gary Cooper, Michel Boujut est entré en insoumission comme il est entré dans les films, en devenant un cinéphile authentique, juste avant que naisse sa vocation de critique de cinéma. Chez qui d’autre que lui ces deux états ont-ils pu à ce point s’interpénétrer, se modeler de concert ? Cinéma et dissidence furent, dès lors, à jamais inséparables pour lui. Il s’abreuva d’images « libératrices », alors qu’on sait bien qu’aujourd’hui les images auraient plutôt tendance à nous « cerner ». (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

J’ai vu des démocraties intervenir contre à peu près tout, sauf contre les fascismes.

L’Espoir (1937) - Citations de André Malraux

Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.