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DE VOLTAIRE A TORQUEMADA

De la liberté d’expression à la censure élevée au rang de vertu, ou comment la gauche se suicide.

La liberté d’expression a été une revendication et une conquête de toutes les luttes d’émancipation. La gauche a été porteuse depuis ses origines de cette valeur essentielle et personne n’ose ouvertement nier qu’elle soit une condition qui autorise un régime à se revendiquer démocratique.

Pourtant, si les ennemis principaux de cette liberté sont depuis longtemps identifiés, est apparue une nouvelle "gauche" pervertie par la conviction que la censure et des interdits sont nécessaires. L’intolérance et surtout la dissimulation ou caricature des faits et propos que l’on prétend combattre sont élevées au rang de vertu lorsqu’il s’agit, selon certains qui en ont acquis la conviction, de combattre les idées de l’extrême droite, du racisme et de l’intégrisme. Chacun peut constater pourtant que ces idées se propagent et que les barrières morales ou législatives sont impuissantes à leur faire barrage.

Il est une "gauche" qui ne prenant pas la mesure de l’absurdité et du caractère contre-productif de cette attitude qui vise à "refuser d’en débattre’, contribue au suicide de la pensée de gauche par une régression qui semble hélas noyée au sein d’autres reniements, sociaux, économiques, politiques, qui sont plus apparents.

Comment des groupes ou communautés ont-ils pu pervertir l’usage de cette liberté, revendiquer le droit aux indignations sélectives, parfois au service de causes indéfendables que l’exercice de cette liberté fragiliserait effectivement… ?

Le site Le Grand Soir n’est pas la seule victime de cette moderne inquisition, l’autre plus récente victime a été le site "Oulala’ et un de ses administrateurs René Balme au travers duquel était visé Jean-Luc Mélenchon, avec ce raccourci tragique et pitoyable qui faisait de chacun une façade rouge brun à l’antisémitisme larvé… Mensonger, infamant, pitoyable mais efficace ! A qui a profité "le crime" ? Chacun peut s’interroger …

Pour LGS, Viktor Dedaj, Maxime Vivas et, le 17 août 2012, Théophraste R. ont dit l’essentiel de cette lâche entreprise déstabilisatrice, je n’y reviendrai pas.

Après Article 11, Rue 89 et les sites perroquets reprenant l’infamie, c’est Charlie Hebdo qui est monté un peu vite au front contre Le Grand Soir…Une nuance vient d’être introduite que l’on peut prendre pour gage de sincérité : « La porosité qui existe entre les sites fachos et les sites de gauche » motive une "petite mise au point" après l’article d’Eric Simon dans Charlie Hebdo reprenant les accusations insensées et non vérifiées semble-t-il de la minable inquisitrice Guyet contre Le Grand Soir.(Mise au point du 22 août 2012, page 3 du numéro 1053). Mais que ne s’appliquent-ils à eux-mêmes une précaution identique, ces ’humoristes’ engagés pour que ne puisse jamais s’écrire : « La porosité qui existe entre les sites fachos et la presse satirique en terme de racisme, d’islamophobie, d’antisémitisme, de relais des thèses néo-conservatrices ou identitaires » Cette presse qui dégaine plus vite que son ombre pour flinguer ses amis autant que ses adversaires désignés, se vend bien, c’est même sa raison d’être. Dans le même numéro de Charlie Hebdo c’est Jean Yves Camus qui décrit (page 5) « La droite à la conquête de l’hégémonie culturelle » et la pertinence du propos ouvre une interrogation de circonstance : la même équipe du journal satirique s’est-elle interrogée au temps de la toute puissance de Philippe Val sur les éditoriaux et le contenu idéologique de "son" journal ? Le sulfureux promu par le président Nicolas S à la tête de la radio publique était-il de gauche alors ? Les donneurs de leçon d’aujourd’hui mesuraient-ils la dérive et les ravages du couple Val - Fourest qui reprenaient à leur compte une large part de l’idéologie néo-conservatrice et islamophobe pour légitimer des entreprises guerrières jamais désavouées par ceux-là  ? S’interrogeaient-ils lorsque l’inquisition s’exerçait au sein même de l’équipe du journal avec chasse ouverte aux prétendus antisémites et rouge bruns qui s’écartaient simplement du discours conforme à la volonté du chef sarko-compatible et sarko-protégé ?

Et d’autres aussi auraient pu être cités, les "Conspis hors de nos villes’ , les nouveaux inquisiteurs héritiers des évêques, rabbins, imams et autres pasteurs bénisseurs de canons et de bombardiers pulvérisant l’axe du mal et dont le message principal affirme « Guantanamo, Ground zéro, Kaboul, Gaza, Tripoli…etc. Circulez il n’y a rien à voir »… Ceux-là ont la méthode de Beria et font sur chacun de nous une "fiche" archivée dans les armoires du KGB nouveau et disponible pour tous les abrutis qui voudraient "casser la gueule" aux diabolisés de la nouvelle inquisition.

La génération nouvelle de ces singuliers Croisés de l’Ordre Nouveau remplace la génération de ceux de "Touche pas à mon pote" par la génération "Pas touche aux intérêts de l’Empire et de ses alliés". Une génération "engagée" nouvelle a fait le choix fondamental et peu périlleux d’être du côté du manche et de l’autorité ; l’impunité et la protection sont assurés pour les valets de l’Ordre planétaire nouveau ! La chasse aux sorcières est leur métier… Le Maccarthysme n’était qu’une tentative avortée trop rendue publique pour être durablement efficace ;"l’anticonspi nouveau" avance masqué, le web offre un champ de délation illimité, la rumeur se substitue au procès et à toute forme de débat contradictoire, la sentence est première et irrévocable ! Les fatwa ne viennent pas toutes d’où l’on pense ; pour un Salman Rushdie scandaleusement menacé et méritant protection, cent militants de la vraie gauche sont poursuivis de la même haine irrationnelle et mensongère. L’ordre nouveau est celui de l’intimidation et de la peur. Sus à ceux qui les défendent, sus aux empêcheurs de penser conforme et docile !

Que s’est-il passé ? Quel phénomène est-il en train de s’amplifier ?

Que cette confusion qui élève la censure au rang de vertu résulte d’un auto-aveuglement, d’une mutilation ou incapacité de la pensée, ou qu’elle provienne d’une habile infiltration et subversion mentale venue des vrais ennemis de la liberté de pensée, est une question qui doit être posée.

Probablement la conjonction de tout ceci, aveuglement et infiltration, existe-t-elle. Il en résulte une double implication :

 La première est de prendre en compte la "sincérité" de certains esprits qui se croient encore de gauche mais font le jeu de leurs pires adversaires. Ils deviennent les mercenaires inconscients de la destruction programmée de la liberté d’expression, par une gradation des interdits successifs qui échappera demain au contrôle des prédicateurs d’intolérances sélectives d’aujourd’hui.

 La seconde est de ne jamais oublier que ces adversaires de nos libertés sont à l’oeuvre. Ils ne cessent d’attiser cette régression et de saisir l’aubaine d’une gauche acquise à certaines de leurs intolérances.

Au terme de ce processus si nous le laissions triompher, il en serait fini demain de la liberté d’expression pour beaucoup et, après demain, aussi de la liberté de penser pour le plus grand nombre, pour la masse de ceux qui refusent toutes les servitudes.

Le propre des inquisiteurs prophètes de tous les obscurantismes, religieux ou profanes, est de pourchasser, au-delà de tous ceux qu’ils jugent déjà "coupables, même les "innocents" qui pourraient demain rejoindre leurs rangs… Amis ou lecteurs de ceux désignés "conspis" ou "rouge brun", vous êtes déjà dans le collimateur !

Une gauche suicidaire ?

Dans ce contexte nous devons percevoir les enjeux et réagir sans nous laisser intimider par ceux qui brandissent Voltaire mais se comportent comme Torquemada !

 Percevoir en effet qu’une gauche qui s’entre déchire reproduit ses plus vieux démons du temps des dogmatismes les plus rigides aux pires conséquences qui ont contribué a ses effondrements.

 Réagir surtout avant que, sur ce terreau favorable, ne triomphent les vrais ennemis de nos libertés qui maîtrisent désormais mieux que nous la dialectique abandonnée par d’autres, qui sèment la confusion dans nos rangs par les imprécations et favorisent les divisions les plus aberrantes.

Cette confusion atteint beaucoup d’humanistes, de démocrates sincères, de progressistes, militants de terrain parfois exemplaires, de marxistes même qui se laissent convaincre que pour éviter le retour de la "bête immonde", celle de Bertold Brecht, il faudrait voir le "ventre fécond" là où il n’est pas, dans leur propre camp parfois. Les "rouge bruns" existent, ils sont dangereux et nous ne cessons de les dénoncer, mais le confusionnisme entretenu par certains neutralise cette tâche et ne sert que le vrai fascisme ! Le risque est de s’aveugler sur des périls bien plus évidents, tels que la recomposition des droites et la poussée identitaire. Le résultat est de contribuer parfois a encourager les dénonciations, les diffamations et les insinuations qui nous divisent et fragilisent les plus résistants d’entre nous, placés en posture défensive dans cette désintégration de la pensée progressiste.

Ceux-là qui se laissent subvertir ne voient pas d’où provient l’ombre du discours qui les encourage pour professer la nécessité de nouvelles censures, y compris dans nos rangs. Et ceux qui le disent sont suspects de collusion avec "le mal", ou d’angélisme. Il n’en est rien pourtant. Ceux qui sont le plus stigmatisés sont ceux qui savent que la presse et l’idéologie d’extrême droite sont une menace mortelle pour le plus grand nombre, mais qui se refusent à en dénier l’existence et la dangerosité. Leur conviction est justement la nécessité d’aborder les sujets "torrides" que d’autres évitent. Il est une pratique du "négationnisme" (inversé) qui reproduirait le même asservissement de la pensée que son "modèle" d’extrême droite ; certains s’y refusent.

 Cette presse et cette idéologie existent, et nous devrions feindre de l’ignorer pour laisser se répandre son venin mortel ? Nous devrions, si nous en condamnons le contenu, nous contenter d’une incantation réprobatrice globale et d’une diabolisation sans argumentation ?

 Nous devrions laisser ceux que la dialectique mensongère et manipulatoire adverse ébranle et influence livrés à des interrogations sans réponse ?

 Au prétexte de ne jamais accepter la controverse avec ceux-là dont nous combattons les idées, nous devrions les aider à dérouler le tapis brun sur lequel s’étale sans entrave leur propagande ? Nous aurions dû ne pas accepter comme cela a été fait sur ce site Le Grand Soir que soient rappelés les faits et discours observés dans les "villes du Front National" avant les dernières élections ? Ne pas accepter de citer abondamment dans une série d’articles consacrés à la pensée d’Alain Soral, les éléments de la dialectique qui ramène vers lui des citoyens ou militants abusés ? Ne pas dénoncer en son temps aussi la duplicité de l’ancien dirigeant de Reporters sans frontière qui a, depuis, comme d’autres, comme Philippe Val, tombé son masque ? Nous aurions dû nous priver aussi de citer les textes de la Nouvelle Droite qui théorisent depuis longtemps le nécessaire processus de la recomposition de la droite autour de sa composante la plus extrême ? Nous aurions dû affirmer cela sans utiliser la source même de nos informations et de nos inquiétudes ? Nous aurions dû considérer les lecteurs comme des moutons obéissants, devant croire sur parole l’affirmation des périls, sans les illustrer des citations nécessaires, y compris celles de la Nouvelle Droite et des courants Identitaires, au risque de se voir accusé d’une collusion ou contamination pour avoir simplement engagé le combat ? C’est un comble de découvrir que ceux qui dénoncent sur le site Le Grand Soir des faits et propos initiés par les pires ennemis de la gauche, et le font de façon approfondie, sont suspectés de compromission et stigmatisés par les porteurs d’une pensée automatique bien peu argumentée souvent, autrement que par les clichés des haines réciproques qui ne font que renforcer les extrêmes.

C’est une gauche suicidaire qui se trompe de combat lorsqu’elle dénigre ceux qui mènent de la façon la plus approfondie possible cette bataille, pour qu’elle soit une bataille de conviction et pas seulement un choc des subjectivités et des irrationalités.

Nos inquisiteurs n’ont qu’une stratégie "haine contre haine", il est heureusement des intellectuels de toute origine qui font un autre choix : celui de l’intelligence et du discernement de leurs concitoyens.

Cette prétention suffit pour que certains dégainent leur révolver et trempent leur plume dans l’encre du fascisme éternel, celui qui fait du mensonge et de l’intimidation à la fois méthode et programme… C’est la pensée elle-même qui est leur adversaire.

Ne voyons-nous pas que cette régression tragique nous désarme et nous condamne à la fois ?

 Elle nous désarme idéologiquement, philosophiquement, en nous mutilant de nos propres valeurs. En nous interdisant à nous-mêmes de considérer, pour l’écouter et la combattre, la pensée de nos adversaires , au prétextes que certains nous accuseraient alors de collusion ou complicité ou pire, nous accréditons l’idée, fausse, que nos idées seraient trop "faibles" pour subir le "choc" de la confrontation !

 De ce dérobement nos adversaires se réjouissent qui peuvent stigmatiser nos lâchetés et nos intolérances. Nous leur offrons une "victoire par forfait" dans les débats intellectuels de notre temps dont pourrait dépendre l’avenir de l’humanité dont les matins bruns se succèdent sous nos yeux incrédules. La gauche ne se défend plus, elle n’attaque plus, sa posture est "morale" et elle ne parle pas avec ses diables, son "éthique" lui fait vertu d’ignorer les altérités dérangeantes, parfois issues de ses propres rangs… La gauche n’a plus à offrir que des incantations sans argumentation dont se moquent bien les populistes et les véritables fascistes qui gagnent le terrain que nous leur concédons, par nos hontes ou nos médiocrités. Face à ce qu’il reste de la gauche, se distillent impunément et sournoisement les pensées qui légitiment les discriminations, les haines, les intolérances, la supériorité non négociable d’une partie du genre humain sur une autre partie…Et ainsi, la gauche aussi alimente le "choc des civilisations"…
Et nous n’aurions pas le droit d’écouter , de décrypter, de déconstruire mot par mot, concept par concept , mensonge par mensonge, le discours de ceux-là sans risquer d’être traités nous-mêmes de néo-fascistes, de rouges bruns, d’antisémites ou simplement d’arriérés ou de salauds au double discours ?

Ces invectives qui viennent de ce que nous pensions, à tort parfois, être notre propre camp, révèlent la faillite intellectuelle, la duplicité et parfois la complicité de certains de nos faux-amis avec nos pires adversaires. Noam Chomsky, Michel Collon, Jean Bricmont par exemple, sont de ceux que nos inquisiteurs détestent ; ils attirent les foudres des doctrinaires simplificateurs qui se contenteraient bien en terme de débat politique d’incantations et de slogans simplistes. Ce sont parfois ceux qui sont inaptes ou non désireux de mener ce combat difficile pour la sauvegarde de ce fondamental qu’est la liberté d’expression, qui prétendent faire taire les expressions de la pensée complexe ou nuancée qu’ils assimilent à une pensée de compromission. Cette liberté d’expression vaut pour nos adversaires autant que pour nous-mêmes ; une liberté double et réelle que la droite elle n’a jamais défendue. La force de la gauche est de croire à ses idées, nous taire c’est capituler ! Prétendre museler l’adversaire c’est renoncer à mobiliser sa propre intelligence pour gagner une bataille idéologique en concédant à l’adversaire l’avantage de notre dérobement.

Les conditions de cette bataille, la simplification et la pensée binaire.

L’argument de nos adversaires et de leurs alliés contaminés par leurs méthodes est hélas efficace :

 Efficace premièrement car il est basé sur la "simplification" de tout débat. La gauche porte ce lourd passif d’avoir longtemps résumé le dilemme en "choisi ton camp camarade", même lorsque le sien cachait des pratiques bien peu compatibles avec ses idéaux annoncés. La droite libérale a pour un de ses principaux ennemis la pensée complexe, et le "There is no alternative’ de Margaret Thatcher ne résonne pas qu’en économie, il se prolonge dans le credo impérial de l’axe du bien contre l’axe du mal et ses implications que sont le choc des civilisations et les guerres préventives.

 Efficace encore car la pensé binaire est devenue aussi le mode de pensée d’une partie de la gauche qui combat dans ses propres rangs ceux qui introduisent de la nuance ou refusent de rallier certaines intolérances. Pour ceux-là , qui adoptent la pensée binaire, le seul horizon est la haine et la confrontation sanglante. Ils ont oublié Jaurès et tous les débats de la pensée des Lumières ; Georges Bush est devenu leur apôtre, égal dans ses intolérances avec ses adversaires désignés. Il est des fatwa venues d’Orient, d’autres d’Occident lorsque est niée l’humanité de nos adversaires, rejoignant un des fondamentaux du racisme et du totalitarisme. L’hégémonie défendue est ici occidentale, judéo chrétienne et capitaliste. On mesure mal peut-être l’imprégnation de la rigidité "calviniste" dans la pensée de l’Empire qui trouve ses défenseurs aussi dans nos frontières. Le Patriot Act s’est décliné aussi chez nous pour définir le renoncement à des libertés fondamentales, aussi la préférence nationale ethnique ou religieuse qui fonde les politiques nouvelles comme autant de réhabilitations des barbaries, au nom même de la lutte contre la barbarie. Une évolution planétaire qui aurait été considérée comme impensable il y a seulement deux ou trois décennies…

Un enjeu majeur :

La question est de savoir si nous accepterons d’être condamnés à nous taire, témoins de l’étouffement de nos valeurs et devrons nous résigner à renoncer a la pensée émancipatrice dont nous avions cru être porteurs, pour nous autant que pour d’autres peuples auxquels nous attribuions les même capacités qui avaient été les nôtres.

La question est de savoir si la gauche acceptera de voir se produire une inversion ou un abandon de toutes ses valeurs, et d’une, fondamentale, qui est la liberté d’expression. Percevrons-nous avant qu’il ne soit trop tard le risque de nous trouver tous bâillonnés durablement, définitivement, par les inquisiteurs nouveaux de la bien pensance de gauche , avant qu’eux-mêmes soient également neutralisés lorsque leurs mentor ou alliés objectifs auront considéré leur mission remplie… ? Plus rien ni personne alors ne s’opposera à un ordre planétaire de servitude globale.

Que faire ? Comme disait le camarade… Dans « Une lente impatience » (2004), Daniel Bensaïd écrivait « Quand les lignes stratégiques se brouillent ou s’effacent, il faut en revenir à l’essentiel : ce qui rend inacceptable le monde tel qu’il va et interdit de se résigner à la force aveugle des choses ».

Il serait temps que ceux qui usent, et ils en ont le droit, de la liberté d’expression dont ils bénéficient encore, ne l’utilisent pas pour réclamer que d’autres en soient privés et des censures nouvelles, des interdits, des fermetures de sites, des discours imprécateurs et mensongers contre des personnes au passé et au présent exemplaires qui s’exposent pour défendre justement ces libertés !

Ces attaques indignes font le régal de nos ennemis communs, ceux qui voudraient nous faire taire tous, mais sont prêts à recruter quelques mercenaires dans nos rangs pour cette basse besogne. Certains de ces derniers, complices volontaires ou pas des droites obscurantistes, trouvent plus facile de jouer le rôle du kapo ou du délateur que de réfléchir à la motivation réelle de leurs donneurs d’ordre ou de ceux qui les influencent. Ils se croient parfois libres de leurs actes pourtant dictés par la pensée dominante de l’ère des nouvelles intolérances. Cette pensée qui élève la censure au rang de vertu est distillée par quelques personnages médiatiques à visage découvert et infiltrée aussi sournoisement dans nos réseaux sociaux, partis ou associations ; la vigilance doit être constante pour en dépister l’emprise.

Si la liberté d’expression n’est pas négociable, sauf à consentir à un nouveau totalitarisme, elle possède un corollaire qui est l’exercice plein de son droit de penser. Deux penseurs non issus de la gauche révolutionnaire disaient comme pour appuyer le propos de Lénine "Seule la vérité est révolutionnaire" que l’acte de pensée n’est pas aliénable à quelque police de la pensée que ce soit : le philosophe Alain avait écrit « La fonction de penser ne se délègue point » ce qui suppose que nul n’ait la prétention de formater nos jugements ; Georges Bernanos,qui s’éloigna tard de la droite au terme d’un long parcours qui le rendit témoin des faits et gestes du fascisme franquiste, avait formulé ce bel hommage à la pensée dissidente « Il faut beaucoup de gens indisciplinés pour faire un peuple libre »…

Des gens indisciplinés, nous en sommes !

Tous les indisciplinés ne se ressemblent pas : certains se revendiquent de la révolution, de la pensée libertaire, de la libre pensée ou de quelque philosophie que ce soit…

Mais nous vivons aussi un temps de bouleversement des pratiques politiques dans lequel les "alter" divers et autres "indignés", issus de la "multitude", se donnent le droit de hurler, chacun à leur manière, contre les injustices du monde, ou de "leur" monde. Et ils ont raison ! Mais que ceux-là ne se trompent pas de combat :

 On n’est pas antifasciste en réclamant que la pensée de l’autre soit muselée, on le devient !

 On est pas laïque en devenant anticlérical ou judéophobe ou islamophobe, on devient la caricature de ce que l’on dénonce !

 On n’est pas internationaliste en prétendant dicter à des peuples dont on ignore tout la seule ligne de conduite qui serait de nous ressembler ; on est seulement mal repenti du colonialisme et de l’impérialisme !

 On est pas voltairien en prétendant museler la parole de l’autre avec des critères de tolérance ou d’intolérance énoncés par nous, on est voltairien lorsqu’on met toutes ses forces et son esprit à dénoncer ce que nous pouvons trouver inacceptable et injuste dans le discours libre de l’autre, cet adversaire qui n’est que renforcé par nos tentatives de le museler, comme nous le serions nous-mêmes soumis aux censures ou intolérances !

 Oui, osons dire qu’il est une forme d’antiracisme qui s’est transformée en une idéologie marquée par l’ambiguïté de ses indignations sélectives et l’évidence du service rendu à un occidentalo-centrisme qui a besoin d’une "police de la pensée" pour taire les questionnements dérangeants sur ses propres pratiques, dont l’ingérence humanitaire est devenue le prolongement des causes les mieux intentionnées…

 Oui, osons dire que ceux qui voudraient nous interdire par avance toute réflexion sur les pires idéologies qui ont dévasté le siècle écoulé, contribuent à leurs résurgences plus qu’ils n’entravent leur diffusion, déjà évidente sous nos yeux.

 Oui, osons dire qu’il est des batailles menées qui se croient intellectuelles, morales ou éthiques, qui ne sont que des substituts à un anticapitalisme et aux luttes de classes que l’on a tenté de nous convaincre être dépassés depuis l’effondrement du bloc de l’Est. Une guérilla sur le web sera toujours moins dangereuse que dans la jungle Bolivienne et ils sont nombreux à s’inscrire au club de la révolution de clavier …

 Oui, osons dire que si notre seul programme devrait être que l’autre" nous ressemble" et, quoi qu’il en pense lui-même, nous reproduirions la matrice même du racisme le plus fondamental qui passe par la négation de "l’autre". Un antiracisme qui nie ces différences ou, pire, qui valide une hiérarchie des cultures et des civilisations, sera demain le socle d’autres guerres préventives et peut-être d’autres formes d’eugénisme.

 Oui, osons dire que notre héritage issu de la pensée des Lumières a pu contribuer à nos aveuglements et à l’énonciation d’un universalisme occidental qui n’est qu’une construction mythique, irrecevable sur une large part de la planète. La pensée unipolaire est fille d’un humanisme dévoyé qui fait l’économie de l’écoute de toutes les cultures.

 Oui, osons dire que sous l’influence de l’antiterrorisme, la paranoïa a contaminé la pensée commune, jusqu’à percevoir ceux qui chez nous prennent en compte la complexité du monde et refusent la pensée binaire du choc des civilisations, comme des "ennemis" et parfois des complices du pire. Dans ces amalgames, l’analyste devient un islamiste masqué, le lanceur d’alerte contre la montée identitaire devient un rouge brun, l’observateur des ravages du sionisme devient un antisémite, celui que la cause des femmes pousse à n’en mépriser aucune de quelque culture qu’elle soit issue se voit protecteur de la charia, celui que la géostratégie a instruit des pires abominations de l’Empire se voit traité de complotiste…etc. Et toujours une part de la gauche croit faire oeuvre utile de véhiculer et parfois conforter la diffamation…

Défendre la liberté d’expression ? Est-ce bien raisonnable ? Oui, toute !

Qui aurait songé en ce début de XXI siècle que ce combat devrait encore être mené chez nous ? Ne voyons-nous pas les ravages de cette entrave, là où elle persiste ? Voulons-nous entretenir l’illusion d’un ordre mondial plus paisible par l’acceptation de "vérités" seules autorisées ?

Avons-nous oublié que la pensée "qui dérange" est la seule qui nous oblige à considérer "l’autre" pour ce qu’il est, un "humain" aussi ! Elle est la seule qui permette, après les réflexions croisées et les échanges, la symbiose d’un vivre ensemble meilleur demain qu’hier.

Ce travail symbiotique des pensées croisées n’est pas porteur de la faiblesse que certains lui prêtent qui postulerait toute pensée "égale" ; il n’est pas non plus porteur de la soumission à la pensée du plus fort. Il est au contraire le seul mode par lequel une pensée, même minoritaire, peut influencer les préjugés communs et parfois changer le monde ! Le seul mode qui puisse contrarier l’influence des idéologies des dogmes et des croyances ; car replaçant l’homme, le sujet, au centre de sa propre pensée qui le fait libre !

C’est ainsi, ce n’est qu’ainsi, que progresse l’idée de l’émancipation, en rupture parfois douloureuse avec la pensée dominante et toutes formes d’autorités religieuses ou profanes. C’est à chacun d’énoncer après l’avoir découvert ce qui est pour lui et ses proches inacceptable, pas à un prédicateur de vérité, quel qu’il soit, qui voudrait aussi faire taire certains ! Si la gauche ne fait plus cette confiance aux hommes et aux peuples elle n’a plus aucune raison d’être ! Ce sont les tyrans qui ne font pas confiance aux peuples mais eux, au moins, ont une raison pour cela.

Si nous devions démissionner dans cette bataille, qui est celle de la civilisation face à la barbarie, elle serait déjà perdue. Ceux qui veulent museler la pensée ne sont pas dans notre camp. C’est à ce péril que nous exposent les imprécateurs et les inquisiteurs nouveaux.

Ils avancent souvent masqués, derrière des identités multiples ou des pseudo qui sont leur burqua mentale, ils se croient Don Quichotte ou justicier ou cavalier de l’axe du bien, ils ne sont que les snipers mercenaires recrutés pour flinguer la pensée adverse.

Certains sont issus de nos rangs, convertis à l’adversaire ou cherchant leur "quart d’heure de célébrité", comme disait Andy Warhol, par un éclat, un crachat calomnieux qui lancera une rumeur nauséabonde… D’autres ne sont que des aigris d’un long passé militant pour des causes sources de bien des désenchantements ; il est des enfants de Staline qui abondent la cause néo-conservatrice ou sioniste avec la même vigueur qui leur faisait pourchasser le trotskiste ou le titiste. On ne sort pas toujours indemne de certaines compromissions et la haine de l’autre est plus confortable que la haine de soi…Elle peut remplacer la thérapie ou le retrait que l’on se refuse pour continuer à vivre dans sa peau meurtrie … D’autres, nouveaux venus qui ont fait l’économie, bien moderne, de l’apprentissage de tout ce que l’histoire et la philosophie ont pu nous enseigner rentrent dans la "politique autrement" comme dans un club informel sans doctrine ni ligne de conduite éprouvée… Ceux-là se retrouvent armés souvent d’un clavier sans avoir jamais soulevé un pavé ni dressé une barricade. Ce ne sont pas les moins redoutables qui confondent la touche "envoi", sous pseudo anonyme souvent, avec une rafale de kalachnikov. Ces guérilleros du web découvrent ce que disait déjà Maïakovski : « Les mots sont des balles »… Ils tirent, jusqu’à épuisement de leur chargeur alimenté par les lieux communs, les poncifs, les préjugés et les peurs ; munitions distribuées gratuitement chaque jour dans nos médias de l’ordre dominant, brassées de balles jetées aux chasseurs nouveaux. Un ordre dominant qui sait, lui, ce qu’il veut, qui il désire protéger et qui il doit neutraliser pour que son règne perdure. Il est aussi une presse qui se veut impertinente et se croit libre, la vente du papier est son seul maître. En période creuse on ressort un "marronnier" pour fustiger, un jour les Roms, un autre jour les francs-maçons, les riches, les banquiers les pauvres, les islamistes, les socialistes. Le Grand Soir est jeté en pâture au lectorat bronzant de l’été 2012… Ce serait pathétique si ce n’était politiquement si dangereux.

C’est bien de cela qu’il s’agit. La bataille pour la liberté d’expression que mènent certains sites exemplaires, suffit à faire d’eux des "cibles". Les attaques menées sont infatigables car leurs sources disposent de moyens illimités. Nous pouvons au moins espérer que s’interrompe le recrutement des snipers dans les rangs du camp "progressiste" ou se revendiquant comme tel ; mais il faudrait pour cela que certains renoncent à la tentation de vendre du papier et d’autres de vendre leur âme.

Pour nous, qui subissons cette inversion des valeurs de la gauche qui la fait nous vouloir museler, l’attitude ne peut être passive ou seulement défensive. Nous devons réaffirmer l’importance centrale de la liberté d’expression, de toutes les libertés d’expression, y compris celle de nos pires adversaires qui nous offrent l’occasion de déconstruire et neutraliser leurs discours… Redisons-le, mot par mot, phrase par phrase, mensonge par mensonge, pour rendre enfin muette ou inaudible la "bête immonde" qui n’a rien d’autre à nous dire que de nous taire et trouve des voix complices.

Jacques Richaud.

21 août 2012

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Si vous avez déjà accordé de l’importance à ce qui se diffuse pendant un journal télévisé, si vous vous êtes déjà intéressé à ça pendant, disons, plus de 30 secondes, c’est que vous êtes soit un de ces étudiants en comm’ qui y croit encore, soit un de ces journalistes qui voudrait nous y faire croire encore, soit vous étiez malade et alité devant la télé. Sinon, vous avez un sérieux problème de perception.

Viktor Dedaj

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