Scandale fiscale mondial
Il est toujours confondant d’entendre un citoyen s’étonner d’un scandale largement éventé et diffusé sur les réseaux sociaux et depuis longtemps révélé par les affidés que tout un chacun croyait pourtant immunisés contre ces crimes d’initiés (1).
Par contre, nous ne sommes jamais déconcertés de voir les médias à la solde faire les chaudes gorges, « vexés de découvrir » le pot aux roses sur lequel reposent leurs patrons-propriétaires-milliardaires depuis des décennies. Le scandale de l’évasion fiscale et des paradis « Offshore » que le chercheur Alain Deneault dénonçait en 2010 dans son live « Off-Shore. Paradis fiscaux et souveraineté criminelle » prend soudain la vedette sur les écrans (2). Au Québec, l’émission télé - 24 heures en soixante minutes - a fait écho à ce scandale (3).
En France, messieurs Arnault, Depardieu, Cahuzac, Augier et autres défenseurs de la liberté démocratique de cacher leur fric illicite s’indignent d’être ainsi exposés aux huées des paumés. En Belgique, patrie du roi Baudoin, un temps propriétaire personnel du Congo, quelques richissimes magouilleurs ont aussi été identifiés par le journal du PTB (4).
Ce soudain regain d’intérêt provient des révélations de l’ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists), regroupement international de journalistes d’investigation, qui a transmis à différents médias, dont Le Monde et Radio-Canada, 200 gigabits de données sur des comptes ou des intérêts offshore détenus par des entreprises et des particuliers [http://www.icij.org/].
Que représente l’évasion fiscale dans l’économie mondiale ? Les approximations sont nombreuses mais toutes astronomiques et plus le corsaire brasse de grosses affaires plus les montants cachés sont imposants. Pour le Fonds Monétaire International les sommes concernées sont estimées à 5500 milliards d’euros, soit près de trois fois le PIB de la France. Selon le FMI la moitié des transactions financières mondiales transiteraient par les paradis fiscaux, lesquels compteraient 4000 banques et 2 millions de sociétés-écrans bidon.
L’ONG Tax Justice Network prétend que les sommes en jeu sont encore plus importantes, atteignant de 16 000 à 25 000 milliards d’euros, soit le PIB des États-Unis et du Japon réunis. Cela représenterait environ le tiers des transactions financières mondiales. Selon TJN, cette somme pourrait générer entre 150 et 200 milliards d’euros de recettes fiscales par année dans les caisses des états du monde entier. En 2012, l’économiste James Henry, auteur d’une étude sur l’économie souterraine offshore présentée sur le site du quotidien The Guardian, a calculé que les 10 banques monopolistes les plus recherchées en matière de gestion du « patrimoine privé » - des expertes de la fraude fiscale comme Goldman Sachs, le Crédit suisse et UBS - sont passées de 1800 milliards d’euros en 2005 à 4800 milliards d’euros en 2010, période qui coïncide avec le creux de la crise économique la plus sévère depuis le crash de 1929 [Heater Stewart (21.07.2012) 13tn hoard hidden from taxman by global elite. http://www.guardian.co.uk/business /2012/jul/21/global-elite-tax-offshore-economy].
James Henry a par ailleurs estimé que, si au total une dizaine de millions de personnes ont placé des avoirs dans les paradis fiscaux, la moitié des sommes, soit à peu près 8000 milliards d’euros, était entre les mains de quelque 92 000 super-riches, soit 0.001% de la population mondiale ; statistiques corroborées par celles colligées sur la concentration d’immenses fortunes familiales [Hunrun (2013) Les 1431 plus grandes fortunes du monde. http://www.hurun.net/usen/ NewsShow.aspx ?nid=418). Pendant ce temps les citoyens ordinaires des pays endettés doivent rigoureusement payer leurs taxes, accablés par les politiques d’austérité des gouvernements des riches en faillite. Pour la France, les avoirs dissimulés à l’étranger sont estimés à 600 milliards d’euros par le journaliste Antoine Peillon, dans son livre, Ces 600 milliards qui manquent à la France (Seuil-2012) [Source : L’Expansion.com, 4.04.2013].
La commission d’enquête du Sénat français sur l’évasion fiscale en a estimé le coût annuel entre 30 et 60 milliards d’euros que les riches confisquent au fisc. Mais pour le syndicat Solidaire-Finances Publiques, qui a présenté un rapport début 2013, la fraude plombe les caisses de l’État à hauteur de 60 à 80 milliards d’euros chaque année ; un montant qu’il y a lieu de comparer au déficit public de la France qui s’est élevé à 98 milliards d’euros en 2012. Quand-à elle la Commission européenne a estimé le coût des fuites en Europe à plus de 1000 milliards d’euros par année [Source : L’Expansion.com, 4.04.2013].
Les documents pirates transmis par le consortium ICIJ portent sur 122 000 entreprises au noir qui ont été mises au blanc pour un pécule dissimulé estimé entre 20 000 et 30 000 milliards d’euros : il s’agit pour partie de capital-argent accaparé dans les usines et les commerces, que l’on mélange à de l’argent sale du monde interlope et que l’on réinjecte ensuite dans l’économie impérialiste. Incidemment, l’autre jour à la radio, l’animateur parano demandait à la dame au micro d’identifier le prolo qui avait réparé son lavabo sans facturer son écot - pensez donc, 10 euros dissimulés à l’impôt… Ah le mal que l’on peut nous faire…
Les paradis des trafiquants d’argent
On dénombre entre cinquante et cent tripots d’affaires, sis en pays souverains, hors la loi et hors du droit, et que tous les gouvernants de la Terre connaissent mieux que vous et moi. Certains de ces États voyous sont classés triple AAA par les agences de notation américaines ! [Liste des États voyous du fisc http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradis_fiscal#Liste_grise].
Terrains de golf parfaitement entretenus que le premier secrétaire de l’ONU, les présidents de la Banque Mondiale et de l’OCDE, ainsi que la présidente du FMI évitent soigneusement de critiquer, si ce n’est pour s’en plaindre, tout en espérant secrètement que rien ne sera fait qui puisse nuire à leurs placements (5)
Les animateurs hurleurs dans les haut-parleurs du « mainstream » médiatique ont l’outrecuidance de prénommer cette évasion fiscale : "Un délit d’investissements’. Lisez simplement : « Tous les jours, il s’effectue dans le monde des milliards de transactions financières. La moitié d’entre elles se font à l’abri de presque toute taxation dans des paradis fiscaux. La fuite de documents concernant ces pays et ces îles imperméables aux impôts fait des vagues sur tous les continents. Le gouvernement canadien demande la liste des quelque 450 contribuables canadiens qui auraient investi dans ces paradis fiscaux (sic). Le manque à gagner se chiffre en milliards de dollars. » (6).
Ce que le chercheur Alain Deneault appelle Les apories du fisc - impôts et décroissance - « en marche vers la décadence » aurions-nous le goût d’ajouter - [http://www .nousautres.org/aporie-du-fisc-impot-et-decroissance/ ] plaçant ainsi l’accent là où il se doit… La crise économique systémique qui oblige les sbires du fisc à ces oukases contre leurs patrons qui n’apprécient guère que soit ainsi usurpé leur anonymat d’opacité « d’investisseur trafiquant » ni d’être ci-devant soumis à la vindicte populaire. Heureusement pour ces milliardaires, tout ce fatras publicitaire se calmera dans quelques mois sous une orgie de commissions d’investigation, de sommets sur la fiscalité et sous une pluie de déclarations de la part des bonimenteurs politiques, tout aussi tonitruantes que futiles et désopilantes. Sarkozy s’y était commis il y a deux ans et demi - Finis les Paradis, avait-il dit - on sait ce qu’il en est aujourd’hui ! Et ce jour, c’est au tour de la cour qui entoure François Hollande de passer aux aveux honteux (7).
Un expert questionné sur TV5 déclarait récemment que pas un plénipotentiaire d’Afrique noire ne manque à son devoir de souscrire à son compte à numéro en Suisse… Médisance, dirons-nous. Le bonhomme aurait mieux fait de se tourner vers les politiciens européens, canadiens et américains (le candidat aux présidentielles américaines M. Romney n’a-t-il pas été pincé en ces lieux mal famés ?). Au Canada, monsieur « le très honorable » Paul Martin, un temps premier Ministre de la fédération (2003-2006) était un fervent pratiquant de ce type d’évasion. Le mari de Pauline Marois, homme d’affaires crypto-fédéraliste, s’y adonnerait également !?... (Les données publicisées par l’ICIJ identifient 450 capitalistes canadiens dont une cinquantaine de québécois [http://www.lapresse.ca/actualites/quebeccanada/national/201304/ 04/01-4637782-paradis-fisca ux-46-quebecois-sont-mis-en-cause.php].
Tous ceux qui déchirent leurs chemises sur la place publique savaient - savent - sauront tout de ces pratiques sataniques - plusieurs s’y adonnent depuis longtemps y dissimulant le contenu des enveloppes d’argent qu’ils ont reçues au moment de l’attribution des contrats publics alléchants (8).
Où trouver l’argent à transférer aux riches ?
Les faits sont éloquents et probants. Les états capitalistes en crise économique partout dans le monde occidental et oriental sont à la recherche de nouvelles sources de revenus - de nouvelles rentrées de capital-argent pour le transférer aux capitalistes. Comme il fallait s’y attendre, ils se sont d’abord tournés contre leurs contribuables - les salariés à la petite semaine, les gagne-petit habitués des friperies - les pauvres des soupes populaires et les démunis qu’ils ont soumis à l’investigation de leur gestapo fiscale pour rogner leurs prestations et rogner leur pouvoir d’achat.
Tout ceci ne suffisant pas à combler les déficits pharaoniques causés par les cadeaux fiscaux consentis aux banques, aux multinationales richissimes et aux mendiants milliardaires ; les fiscalistes et les administrateurs de l’État bourgeois, tout bien disposés, songèrent à retaxer les « bobos-bourgeois-bohêmes » repus - qu’ils ne lâchent plus - contraints qu’ils sont, ces pontes de l’administration, de grappiller l’argent là où il en reste à chaparder, les poches des pauvres et des ouvriers étant vidées.
Quand l’État des riches s’en prend à la petite bourgeoisie et à la bourgeoisie moyenne, laissant les prévaricateurs et leurs servants politiciens, les apparatchiks, se planquer dans les « paradis », soyez assurés qu’une indiscrétion livrera ces fraudeurs à l’enfer médiatique. Ce sont tout de même ces commis qui manipulent les comptes à numéro des riches en Suisse.
Non seulement la plus-value et les profits spoliés aux ouvriers ne sont pas déclarés de crainte d’être taxés, mais, si d’aventure un quelconque revenu ne peut être soustrait au regard du fisc, le taux d’imposition, qui, au Canada, s’échelonne entre 31% et 53%, pour un citoyen lambda, n’est plus que de 19% à 27% pour l’entreprise des malfrats - toutes exemptions défalquées évidemment et cela en autant que le monopole multinational accepte de payer son dû, ce qui n’est pas toujours le cas (Rio-Tinto-Alcan refuse depuis trois ans de payer 1 milliard $ d’arriérés) (9).
Un sous-fifre médiatique obséquieux prétend que l’évasion fiscale et les paradis « offshore » sont incontournables et inévitables tout comme la prostitution, la mafia et le vol à l’étalage. Celui-là , lucide, sait comment conserver son emploi. Ce poltron a toutefois raison : prévarication, exploitation et fourberie, sont les compagnons de lit du profit (10).
Opposition au fisc et autres collecteurs de fric
Les ouvriers et les employés sont taxés à mort, ils sont surtaxés jusqu’après la mort - jusqu’au tombeau - où le fisc se sert avant l’héritière du macchabé (les riches bénéficient de toute une série d’échappatoires et d’exemptions). Alors, les trucs utilisés par les ouvriers, les employés, les paysans et les artisans peuvent varier d’une époque à une autre, mais l’objectif de la manoeuvre reste le même d’un système économique à un autre : réduire les ponctions que l’État effectue sur les revenus des travailleurs qui sont déjà tellement imposés et taxés, au travail et au marché, que la reproduction élargie des classes laborieuses en est menacée. Dans les pays arabes par exemple, dans toute l’Afrique et en Amérique les jeunes travailleurs n’ont plus les moyens financiers de se marier et d’avoir des bébés. Dissimuler des revenus au fisc bourgeois est une question de survie et un devoir envers leurs familles pour ces travailleurs.
Le capitaliste pour sa part confisque la plus-value - profits, dividendes, bénéfices intérêts et rentes - produite par les employés -. Il accumule ainsi des sommes énormes sur lesquelles il paie peu d’impôts et peu de taxes comme nous venons de le démontrer. Qui plus est, le capitaliste exige de l’argent du gouvernement pour encourager les investissements dont il sera le seul gagnant - bénéfices immenses qu’il planque dans les paradis fiscaux afin de contribuer le moins possible au cycle de reproduction étendue des travailleurs qu’il abandonne à leurs malheurs. L’ouvrier triche l’impôt pour la survie de sa famille, le capitaliste triche l’impôt pour accroître ses profits.
Bien entendu, tout citoyen honnête, tout ouvrier paupérisé, tout travailleur en difficulté de crédit, celui chassé de son foyer ou de son loyer, doit s’indigner de cette tricherie ; de ce vol de haut vol de la part de ceux qui possèdent tout en privé. L’ouvrier doit s’enrager contre ces malfaiteurs gouailleurs et contre les voleurs trônant sur leurs chaises présidentielles, sénatoriales et ministérielles. Mais tout un chacun doit savoir que demain, dans un mois, dans un an, tout cela restera inchangé car les requins de la finance, les « banksters » et le menu fretin politicien chapardeur, qui sont aujourd’hui accusés, sont aussi maîtres du plaidoyer, procureurs, juges et partie, tous coalisés. Il ne sortira rien de ce salmigondis médiatique, que davantage d’inquisition de la police fiscale contre les travailleurs et les gagnepetits.
Le prolétariat choqué ne se révoltera pas encore cette fois. Il attendra son heure et alors il réglera cette ardoise, et les autres en souffrance, toutes à la fois.
Robert BIBEAU