L’ouvrage très érudit de Jean-Louis Beaucarnot Le tout politique. Origines, cousinages, parcours, personnalités, indiscrétions (Paris : L’archipel, 2011) pose, à sa manière, l’éternel problème de l’inné et de l’acquis. On se fait seul, avec les autres, au sein des autres, contre les autres, en marge des autres. Notre histoire personnelle s’inscrit dans l’histoire du groupe, de la classe, du pays auxquels on appartient. Mais on vient toujours de quelque part. Tenez : Chérèque (et laissez-le tomber juste après). Y a-t-il un rapport entre son appétence pour les raouts du MEDEF et le fait qu’il soit cousin de Laurence Parisot ? Le fils musicien de Mozart n’a pas hérité du génie de son père. Mais qu’il ait été imprégné d’une musique géniale alors qu’il était encore dans le ventre de sa mère l’a forcément aidé à jouer et à composer quelques oeuvres, certes mineures, mais pas ridicules.
Ce livre sur les origines de nos politiques pose également le problème des réseaux. Il y a le visible : les familles politiques, religieuses, spirituelles. Et puis ce qu’on ne voit pas : ces cousinages souterrains, ces connivences bien celées, ces mailles de filets d’autant plus serrées qu’elles peuvent être contre nature. J’ai été sensibilisé à ce problème il y a une trentaine d’années alors que je résidais en Côte d’Ivoire. On m’avait dit que, dans ce pays gouverné par un autocrate s’appuyant sur un parti unique, la lecture ethnique du politique était la plus efficace. A l’occasion d’un remaniement ministériel, je me rendis compte que cela ne suffisait pas. Le Nord contre le Sud, l’Est contre l’Ouest, ça ne marchait pas complètement. Un collègue résidant depuis longtemps dans le pays et ayant ses entrées à la Présidence me dit : " as-tu pensé aux rosicruciens et aux francs-maçons ? " J’en tombais sur le séant. Cette dichotomie ne me serait jamais venue à l’esprit. De fait, le président faisait entrer en compte ce paramètre dans le renouvellement de ses équipes.
Giscard d’Estaing (presque de la Tour Fondue) descend de Louis XV par les soubrettes. Fastoche. 10 millions de Français (moi, vous, peut-être) descendent de Charlemagne. D’où le dicton bien connu : on a tous un pendu ou un roi parmi nos ancêtres. On rencontrera un roi, un pendu, et même une sainte dans ce l’ouvrage de Beaucarnot, un pro parmi les pros de la généalogie.
Tantôt ce travail désarçonne - comme quand il nous apprend que Balladur descend de l’Indien Bhadur Shah et a une grand-mère cousine de Fernandel - tantôt il confirme ce qu’on subodorait : ainsi, Christine Boutin, qui aime tant la famille, a épousé un de ses cousins germains. Autre exemple : un jour surgit sur la scène politique un tout jeune surdoué. Certes, ce Besancenot était proche d’Alain Krivine qui lui avait offert le porte-parolat de la Ligue Révolutionnaire sur un plateau. Mais le fait que le tendre Olivier ait cousiné avec Lyautey, Victor Hugo et Liliane Bettencourt l’a sûrement aidé à être à l’aise dans ses tournées postales du côté de Neuilly.
Vers l’est de la France, il s’en passe des choses. Luc Chatel cousine avec François Chérèque, qui cousine lui-même avec DSK et Laurence Parisot. La famille de Rachida Dati ne s’est pas toujours appelée Dati. Son père a adopté ce patronyme " italien " lorsqu’il émigra vers la France pour y travailler comme maçon. Idem pour les Debré, à l’origine Horbuger, du nom d’un négociant juif de Bavière. En 1808, Napoléon avait obligé les Juifs à prendre un patronyme définitif. Ce fut Depré, puis l’accent alsacien aidant, Debré. Les frères Debré cousinent avec Fabius (dont la famille s’appelait autrefois Lion), DSK (dont les ancêtres se sont appelés Lévy puis Strauss - l’autruche) et le capitaine Dreyfus.
Dans un registre plus léger, Luc Ferry, qui cousine avec Hortefeux, avoue, comme bien d’autres, avoir eu une liaison avec Carla Bruni. Quand elle était jeune.
Une coïncidence espantante, comme on dit à Toulouse : Harlem Désir cousine avec l’ancien ministre Alain Devaquet, auteur d’une loi en 1986 qu’il combattit vigoureusement (les plus anciens parmi nous ont connu un Harlem vigoureux). J’imagine que Devaquet a repris ses cours à l’École polytechnique. Malik Oussekine, lui, est mort, massacré par les chevau-légers de Pasqua.
David Douillet cousine avec Bourvil, mais n’est pas aussi drôle et ne connaît pas aussi bien la langue française que le grand acteur (qui a un fils prof de fac). Cécile Duflot est cousine d’Arlette Laguiller, mais elle est sûrement plus ambitieuse. Nicolas Dupont-Aignan s’appelle Dupont (27ème patronyme français, donc pas si courant que cela). Plus classe, Giscard cousine au 22è degré avec François Mitterrand, et aussi avec Dominique de Villepin. Pour moi, le plus drôle chez cet homme, c’est qu’il parle anglais à ses chiens et qu’il a voulu nous faire croire qu’il avait eu une liaison avec Lady Di.
Guéant est un boyaux-rouges pur sucre, de Vimy. Il parle ch’ti. Sous la torture, j’imagine. Au sortir de l’ENA, il fit un stage ouvrier au fond de la mine. Il cousine de manière éloignée avec Verlaine.
NKM, comme elle aime qu’on l’appelle, a, d’un côté, du sang slave et juif dans les veines et, de l’autre, du sang révolutionnaire. André Morizet, un de ses arrière-grands-pères, fut un des fondateurs du parti communiste. Heureusement pour elle, NKM descend également des champagnes Heidsieck. Et puis des Schneider. Et du roi Jean le Bon. Et des Borgia (maranes espagnols, à l’origine). Elle a épousé un Monsieur Philippe, mais leurs enfants s’appellent Kosciusko-Morizet. Pas simple, tout cela. Pierre Laurent, le patron du parti communiste, cousine avec la marquise de Sévigné. Également avec Christine Lagarde (née Lallouette, mais on n’est pas près de la plumer) et François Baroin.
Bruno Le Maire est le phénix de cet ouvrage. Il descend des empereurs d’Autriche et des rois de Pologne et France. Il est marié à l’artiste peintre Pauline Doussau de Bazigan, qui peint de forts jolis tableaux, ma foi. Ca roule pour eux. Il sera sûrement président de la République.
Le grand-père de Corinne Lepage s’appelait Lévy. Il put changer de nom en 1950. Corinne cousine avec Simone Veil, qui n’aimait pas beaucoup les étudiants fachos. Autrefois, elle appelait Longuet " le Nervi " (et aujourd’hui ?). Dire que les ancêtres des Le Pen en ont bavé est un euphémisme. Mais cela n’est pas une excuse.
La plus belle découverte de ce livre est forcément la note consacrée à Jean-Claude Mailly, le patron de FO. Un vrai ch’ti qui cousine avec … Jeanne d’Arc, par le frère de la Pucelle. Le Pen peut aller se rhabiller. Mailly cousine aussi avec Devedjan, mais c’est moins classe. Notre Arménien national reçoit-il le syndicaliste dans son château du Gers ?
Philippe Poutou, du NPA, est le seul dirigeant politique né dans le 9-3. Notre cher Mélenchon est espagnol : Belenchon. Sa fille est élue … Front de gauche. Montebourg n’a pas que des origines kabyles. En bon Morvandiau, il cousine avec Claudie Haigneré. Il épousa Hortense de Labriffe (le nom des nobles, ça ne s’invente pas), petite-nièce de Sissi, apparentée aux Lacretelle. Sa caricature par Canteloup n’est donc pas une caricature.
Françoise de Panaffieu est une Missoffe, un rameau issu d’un enfant trouvé (mais chez les Missoffe, les enfants vouvoient leurs parents). Il semble que le patronyme ait été choisi par un prêtre qui aurait contracté en un mot " missel officiel " . Laurence Parisot est fille, petite-fille et quatre fois nièce d’industriels. Elle cousine avec Jack Lang. Elle est célibataire, comme Jean-Claude Gaudin et André Santini.
Le Poitevin Jean-Pierre Raffarin, fils de ministre, cousine avec René Monory, qui fut ministre. Il cousine également avec Marie-France Garraud, autre poitevine célèbre dont j’ai un jour mangé le yaourt dans le train Poitiers-Paris - ce qui n’a pas réussi à nous rapprocher (http://bernard-gensane.over-blog.com/article-le-yaourt-de-marie-france-garraud-71619079.html), et aussi avec Jean-Pierre Foucault et le journaliste Gérard Leclerc, donc avec le demi-frère de ce dernier, Paul-Alain Leclerc (Julien Clerc). Ségolène Royal cousine avec son ancien patron Claude Allègre (ils se détestaient) et DSK.
Un mot sur Sarkozy, ¼ français (vaguement apparenté à Liliane Bettencourt) : un de ses demi-frères est co-directeur du groupe financier Carlyle, une des plus grandes puissances financières au monde (90 milliards de dollars). Quand je pense qu’en 2007, les ouvriers furent plus nombreux à voter Sarkozy que Royal…
DSK eut pour ancêtre un bagnard (condamné à sept ans de travaux forcés pour meurtre), gérant d’hôtel borgne. Avec Le Maire, on avait nos rois. Avec DSK, on a notre pendu. Il cousine avec le capitaine Dreyfus, les Debré, Olivier Stirn, Jean-Pierre Coffe, François Chérèque, Christine Lagarde et Ségolène Royal. Simone Veil a quatre arrière-grands-pères dans quatre pays d’Europe : France, Belgique, Allemagne, Tchécoslovaquie. D’autres ancêtres en Italie, en Allemagne, en Hollande, au Danemark, en Pologne, en Russie. Elle a dû aimer présider le Parlement européen.
La famille de Villiers est noble depuis le XVIe siècle. Mais pas vendéenne. C’est comme Poivre d’Arvor : il n’est pas noble, et pas plus d’Arvor que vous et moi. Laurent Wauquiez cousine avec toute la bourgeoisie bien à droite du Nord. Ce qui explique beaucoup de choses. Il cousine forcément avec les Mulliez (Phildar, Auchan), avec Bruno Le Maire, Frédéric Nihous, Hugues Capet et le premier mari d’Ingrid Betancourt.
Un dernier petit mot sur Pierre Bérégovoy. Fils d’un Ukrainien blanc et menchevik. Jeune ouvrier, il se fit tout seul. Il fut résistant, il milita à gauche. Il voulut à tout prix résider dans le XVIe arrondissement (un rêve d’enfant, une revanche névrotique, j’imagine). Il emprunta - dans des conditions régulières mais très avantageuses - une forte somme à un drôle de milliardaire. Cela signa sa perte. Dans la guerre de classes, il choisit son camp. Il dérégula à tour de bras et permit à la finance d’écraser le politique. Son nom signifie quelque chose comme « l’homme de la berge ». Il se suicida au bord d’un cours d’eau. Il ne cousinait avec personne.
A lire également de Jean-Louis Beaucarnot : Laissez parler les noms ! Noms de lieux, prénoms, noms de famille, noms de marques. Paris : Jean-Claude Lattès, 2004
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