Il est fondamental de replacer la mobilisation exemplaire du 25, 26 et 29 septembre en Espagne (25S Rodea el Congreso) |1| dans son contexte international pour évaluer les tensions sociales en cours dans un nombre croissant de pays pour les mêmes raisons : un déficit flagrant de démocratie permettant l’application d’une violente politique d’austérité, celle-ci conduisant à l’appauvrissement du plus grand nombre au nom d’une dette largement illégitime qui profite aux quelques autres.
Contexte international d’une lutte contre l’austérité qui tend à être commune
Peu de temps auparavant, le 15 septembre au Portugal, un million de personnes (10% de la population), dont au moins 500 000 dans la capitale, manifestaient dans tout le pays, soutenues par des représentants des forces de l’ordre et de l’armée, contre la troïka et ses funestes plans d’austérité. Face à la plus grande manifestation depuis le 1er mai 1974 après la chute de la dictature de Salazar, le gouvernement a dû revenir sur ses positions et revoir sa copie, en l’occurrence une hausse de 7% des contributions sociales des travailleurs (de 11% à 18%) - revenant à une baisse de salaire effective - accompagnée d’une baisse de 5,75% des charges patronales (de 23,75% à 18%) |2|. C’est une victoire, bien qu’insuffisante, du mouvement social qui donne une idée de son potentiel émancipateur. Le 29 septembre, des centaines de milliers de personnes manifestaient à l’appel de la CGTP (Confédération Générale des Travailleurs du Portugal), principal syndicat du pays. Le 1er ministre Passos Coelho, surnommé ’Robin des Bois des Riches’ pour vouloir donner aux riches ce qu’il prend aux pauvres, devait trouver où puiser l’argent afin de respecter les objectifs de réduction du déficit public (à 4,5% du PIB l’an prochain) imposés par les créanciers. Après avoir informé la troïka, le ministre des finances, Victor Gaspar, annonçait une hausse brutale et généralisée des impôts sur le revenu en 2013 qui frappe de plein fouet les pauvres et la classe moyenne déjà durement malmenée. « Le même vol avec une autre main » résumait-on au sein de la gauche de la gauche et des mouvements sociaux. En réponse, un nouvel appel à la grève générale est annoncé pour le 14 novembre |3|.
En Italie, le secteur public se met en grève le 28 septembre contre les coupes budgétaires du gouvernement du premier ministre Mario Monti arrivé au pouvoir sans élection en novembre 2011 pour appliquer l’austérité. Austérité qui, selon les marchés, n’était pas mise en place assez rapidement par son prédécesseur Berlusconi, empêtré dans ses fameux scandales de corruption… Arrivé au pouvoir fin 2011, l’ex consultant pour Goldman Sachs Mario Monti |4| a imposé des coupes claires de 30 milliards (décret Salva Italia), la récession de l’économie italienne s’est accentuée alors que les salaires dans la fonction publique sont déjà gelés depuis plus de deux ans, le taux de chômage a atteint 10,7% de la population active en juillet et Monti a pour la première fois déclaré le 27 septembre qu’il serait prêt à rester à la tête du gouvernement après les élections législatives prévues au printemps 2013 si le scrutin ne débouchait pas sur une majorité claire. Une normalisation d’un exercice du pouvoir sans élection qui reviendrait à l’achèvement d’une démocratie mourante, autrement dit, une déviance dictatoriale.
En Grèce, le 26 septembre, le nouveau gouvernement de coalition d’Antonis Samaras soumis à la troïka (Union européenne, BCE, FMI) a vécu sa première grève générale de 24 heures, la troisième depuis le début de l’année. Le nouveau paquet d’austérité draconien que la coalition gouvernementale devait présenter à la troïka est finalement en passe d’être accepté après plus de deux mois de tractations. Il vient s’ajouter aux trois autres plans déjà adoptés par le parlement grec depuis le début de la crise. Les négociations butaient entre autres sur un nouveau relèvement de l’âge du départ en retraite, à 67 ans au lieu de 65 |5|. La Grèce est sommée d’économiser 11,5 milliards d’euros supplémentaires pour 2013-2014 afin de débloquer la prochaine tranche de 31,5 milliards d’euros du prêt UE-BCE-FMI de 130 milliards d’euros promis à la Grèce en mars. Ces mesures iniques imposées par les créanciers ont plongé la Grèce dans sa cinquième année consécutive de récession avec un taux de chômage à 25% qui a plus que doublé en deux ans (54,2% des jeunes entre 15 et 24 ans sont sans emploi et le taux de chômage de la population active atteint 25,1% en juillet 2012). Complètement soumise au diktat des créanciers, la coalition au pouvoir espère obtenir un délai supplémentaire de deux ans (à 2016) pour parvenir aux objectifs imposés initialement pour 2014. La nouvelle grève générale (la 4ème de l’année et la 2ème contre pour le gouvernement actuel) du 18 octobre, coïncidait avec la fin d’une mission de la troïka sans parvenir à un accord sur les mesures d’austérité pour débloquer le prochaine tranche de prêt.
Pendant ce temps, le ministre du Développement, Konstantinos Hatjidakis, vient d’annoncer début octobre que l’État venait d’allouer 28,9 millions d’euros à la construction d’un circuit de Formule 1 dans le sud-ouest du pays (à Fares). Un tel chantier, dont le coût total est estimé pour le moment à 94,6 millions d’euros et devrait durer trois ans, a de quoi exaspérer une population qui continue à se saigner pour rembourser une dette en partie causée par le déficit abyssal (9 milliards d’euros de déficit) généré par l’investissement astronomique pour les Jeux olympiques de 2004 |6|.
Le 9 octobre, 7 000 policiers et tireurs d’élite transformaient Athènes en ville interdite lors de la venue d’Angela Merkel. Ce même jour on célébrait la commémoration des morts tombés sous le bombardement de la ville par l’Allemagne nazi en 1944, 3 jours seulement avant la libération. L’occupation nazi a ruiné le pays et affamé son peuple (300 000 morts lors de l’Occupation) et l’Allemagne n’a toujours pas remboursé sa dette de guerre envers la Grèce. Pour le peuple grec qui vit aujourd’hui une occupation économique, c’est un lourd symbole de recevoir la visite de la chancelière allemande un 9 octobre. Dans un tel contexte, souvent omis dans les médias dominants, on comprend qu’une partie de la population grecque n’hésite pas à assimiler la politique d’austérité allemande à la naissance d’un ’quatrième Reich’. Ce même jour, le quotidien britannique The Guardian publiait les témoignages de plusieurs dizaines de manifestants antifascistes affirmant avoir été victimes de tortures infligées par la police après leur arrestation lors d’une manifestation contre le parti néo-nazi grec, l’Aube dorée |7|. Quelques jours plus tard, un officier de police affirmait que la police était infiltrée par ce parti fasciste |8|.
En France, François Hollande qui dégringole dans les sondages impose, sans référendum ni consultation, le Pacte budgétaire européen, véritable traité de l’austérité à perpétuité, qu’il avait promis de renégocier. Le 30 septembre, près de 80 000 personnes défilent dans les rues de Paris contre cet acte de trahison notoire |9|.
Le même jour en Belgique, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Bruxelles contre les politiques antisociales d’austérité prévoyant près de 14 milliards d’euros d’économies afin de réduire le déficit budgétaire à moins de 3% du PIB contre 3,8% en 2011. Le royaume de Belgique s’enfonce lui aussi dans l’austérité alors que les banques privées sont sauvées quel qu’en soit le coût : en Belgique, les sauvetages bancaires ont provoqué une augmentation de la dette publique de 32,5 milliards d’euros. En guise d’exemple, le groupe bancaire Dexia accusant des pertes astronomiques est sauvé par les contribuables pour la 2ème fois en octobre 2011 alors que des bonus indécents sont distribués aux dirigeants.
Plus loin, les étudiants chiliens, en lutte depuis mai 2011, descendent à nouveau dans la rue le 27 septembre à la veille du débat parlementaire sur le budget prévisionnel de 2013 pour réclamer une hausse du budget de l’éducation. Les étudiant-e-s réclament un changement constitutionnel dans le cadre d’un système éducatif héritier de la dictature de Pinochet (1973-1990) qui a introduit le secteur privé et réduit les ressources publiques destinées à l’enseignement. Après un nombre infini de manifestations réclamant une éducation gratuite et de qualité pour toutes et tous, le gouvernement conservateur de Sebastián Piñera semble fléchir. Il a finalement promu une loi visant à ramener de 6 à 2% les intérêts sur les prêts que les étudiants devaient s’engager à payer au système bancaire pour financer leur carrière |10|. Il a par ailleurs envoyé un projet de loi au Parlement afin d’augmenter le budget de l’éducation de 1200 millions de dollars (soit 9,4% d’augmentation pour atteindre 12,8 milliards). Cette victoire, dont il faudra vérifier la portée, fait écho à celle du mouvement étudiant au Québec qui, après 7 mois de lutte, a réussi à faire annuler l’augmentation disproportionnée de 75% des frais de scolarité et la loi répressive, dite loi 78, durement contestée.
Le 12 octobre, après Barack Obama en 2009, l’Union européenne recevait le prix Nobel de la paix. Cette Union dont la construction repose sur des politiques ultra libérales appliquant l’austérité pour les peuples et creusant toujours plus l’inégalité, fragilise grandement la paix sociale. Ironie de l’histoire, l’organisation militaire de l’OTAN applaudissait la remise du prix. L’Union européenne, dont la Commission - accompagnée de la BCE et du FMI - forme la tristement célèbre troïka, ne fait qu’approfondir les problèmes après 20 sommets dédiés à la résolution de la crise tout en appliquant l’austérité. Cette Union s’apprête à ratifier le traité européen MES (Mécanisme Européen de Stabilité) qui dérobe toute souveraineté à chaque État membre et porte un coup fatal à notre démocratie chancelante. Hasard du calendrier, le lendemain 13 octobre, des milliers de personnes manifestaient dans toute l’Europe |11| et au delà contre la dette et les plans d’austérité dont l’UE supervise l’application.
En Europe, un front uni et coordonné des luttes contre l’austérité est nécessaire et urgent. Partout les peuples se rebellent contre cette attaque sans précédent contre la démocratie. Cette atteinte à la souveraineté portée à son paroxysme par le MES, le Pacte budgétaire ou le changement constitutionnel prévoyant la priorité au remboursement de la dette, soulève l’indignation et la révolte. Seule l’union des mouvements populaires contre la troïka des créanciers et les banques privées pourra faire fléchir cette politique qui ne fait qu’accentuer le transfert de richesse du travail vers le capital. Cette lutte devient urgente si l’on ne veut pas voir le fascisme ramper à nos portes et s’autoproclamer unique alternative.
Jérôme Duval
http://cadtm.org/Contexte-international-du