Dwaabala,
Je pense que les deux problématiques, l’économie et l’écologie sont liées, et que s’attaquer uniquement à l’une n’est qu’une perte de temps. Nous avons tous des sensibilités (prises de conscience) écologiques différentes, et il n’y a qu’à regarder la colonne de déchets qui suit les deux côtés de n’importe qu’elle route pour savoir que la conscience écologique de beaucoup de gens est de l’ordre du zéro absolu.
Et même à Cuba, pays socialiste, ils ne se sont convertis à l’agriculture bio-dynamique de proximité que parce qu’ils y ont été contraints par les difficultés économiques de la période spéciale. Quand je discute aujourd’hui avec des cubains, un des rêves de la majorité d’entre eux est d’avoir une voiture. Si ces rêves devaient se réaliser, je suis sur que nous verrions les mêmes colonnes de déchets que chez nous apparaître le long des routes cubaines et les mêmes parents irresponsables amener leurs enfants à l’école en voiture, ceci à l’âge où ils prennent leurs habitude de mobilité et au lieu de leurs apprendre les bienfaits de la marche.
Lénine a dit que sans théorie révolutionnaire il n’y a pas de pratique révolutionnaire. L’origine de l’attitude de notre société par rapport à la nature se trouve dans les deux premières pages de la Genèse :
« 28. Elohîms les bénit. Elohîms leur dit : « Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la. Assujettissez le poisson de la mer, le volatile des ciels, tout vivant qui rampe sur la terre. »
Le dessin de dieu dans la bible est très clair. Il s’agit pour lui de créer l’homme à son image, celui d’un guerrier dont le but est la conquête de la terre et la domination du vivant. En une phrase est résumé tout le programme politique, économique, militaire, social et écologique de notre société. Aujourd’hui, nous en sommes toujours là, mais avec une grande différence : le développement de la science et de la technique à permis non seulement l’industrialisation mais aussi l’industrialisation de la domination de l’homme sur la nature.
Dans le contexte actuel, il faut comprendre que comme Jürgen Habermas nous le fait remarquer, le paradoxe est que même la technique, même la science sont capables de fonctionner comme idéologie. Cela s’appelle le scientisme. Quand le scientisme est au pouvoir, cela donne des gouvernement de technocrates complètement coupés de la démocratie, cela revient à donner le pouvoir à un complexe militaro-industriel d’état composé des pouvoirs publics, financiers, militaires et scientifiques. C’est toute notre société contemporaine dans ce qu’elle a de plus totalitaire.
Pour des ethnologues comme Philippe Descola, le rapport de l’homme avec la nature est ce qui conditionne toute l’ontologie d’une société, c’est à dire qu’il conditionne sa vision du monde, tous les rapports humains y compris les rapports économiques, et donc à terme son mouvement historique.
Pour Marx, c’est une cercle vicieux : « l’identité de l’homme et de la nature apparaît aussi sous cette forme, que le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux, et que leur comportement borné entre eux conditionne à son tour leurs rapports bornés avec la nature. » Il est donc important de briser ce cercle vicieux, et l’homme étant ce qu’il est, à moins de croire en le saint-esprit du communisme, je ne vois pas comment, en s’attaquant au seul problème économique, il sera possible de changer le rapport de l’homme avec la nature, et donc les rapports sociaux. Cela peut fonctionner sur le court terme, mais comme le montre l’histoire de l’URSS, cela ne fonctionne pas sur le long terme.
De plus je ne suis pas convaincu que cet aspect de la pensée de Marx fut bien compris en URSS car c’est Plekhanov qui a introduit le marxisme en Russie, notamment auprès de Lénine, et Plekhanov écrit : « Mais, demanderez-vous, l’état économique n’est pas sans cause non plus ? Sans doute, comme toutes choses ici-bas, il a sa cause à lui, et cette cause, cause fondamentale de toute l’évolution sociale et partant de tout mouvement historique, c’est la lutte que l’homme mène avec la nature pour son existence. »
Plikhanov fait une double erreur. D’abord, il ne reconnaît pas le cercle vicieux décrit par Marx. À l’en croire et comme dans la bible, le rapport de l’homme avec la nature serait donné une fois pour toute, et je me demande même dans de telles conditions comment il peut croire qu’un changement est possible et se prétendre marxiste. Ensuite, il fait un dogme de ce rapport de l’homme avec la nature qui ne peut être qu’une lutte (la bible parle du conflit du bien et du mal), alors que pour Marx le dogme est le travail, et encore que le travail réalisé dans un but déterminé de façon consciente.
Marx, en définissant ainsi le travail réussit à échapper au scientisme. En effet, il sépare ainsi la science (l’action de travailler) de la philosophie (la définition consciente, par la dialectique et la connaissance, du but du travail). Avec Marx, la philosophie comme le travail deviennent scientifiques, mais sans perdre la dialectique et ainsi sans devenir du scientisme.
Au contraire Plekhanov, en décrétant que le rapport de l’homme avec la nature est une lutte, interdit toute évolution et fixe un cadre rigide et dogmatique aux buts possibles. Ce qui revient à développer en scientisme en tout point comparable à celui du capitalisme. J’ai lu tout le bouquin où il écrit cela, "La conception matérialiste de l’histoire", et à aucun moment je n’ai lu qu’il considérait comme possible de pouvoir changer ce qu’il appelle la cause de toutes les causes. Et sans changer cette cause, je ne vois pas comment il serait possible de changer autre chose que la forme des choses.
La situation du monde comme décrite par Ruppert est alarmante, pour ne pas dire effrayante. C’est la réalité du monde d’aujourd’hui. Quand je vois que face à un tel désastre, bien des communistes s’en tiennent au manifeste de 1848, ceci alors que les conditions historiques ont changé et que ce qui est en jeu aujourd’hui est non seulement socialisme ou barbarie, mais également, en raison du désastre écologique, la simple survie de l’humanité, je ne peux que me dire qu’ils ont figé le marxisme dans la pierre des dogmes d’il y a deux siècles et qu’ainsi ils nagent en plein scientisme.
Le désastre écologique actuel représente une menace encore plus grande que le capitalisme, ceci même si le capitalisme en est une de ses causes principales. Ce désastre montre aussi que l’exploitation de la nature et l’exploitation de l’homme par l’homme sont la même problématique. En lisant la bible, nous nous apercevons que l’origine de cette problématique, l’erreur d’aiguillage, s’est produite au début de l’antiquité, et que la crise actuelle n’est pas une simple crise du capitalisme mais la crise finale de notre concept de civilisation. Si l’impérialisme est le stade final du capitalisme, le capitalisme est lui le stade final de la civilisation.
L’autre cause principale du désastre écologique est le scientisme qui a accompagné la révolution industrielle dés ses débuts, en particulier cette composante du scientisme qui consiste à croire que la science se suffit à elle même, qu’elle est neutre et propre, et qu’elle va donc résoudre tous nos problèmes et permettre de tout contrôler. On n’arrête pas le progrès ! Comme c’est parti, c’est lui qui va nous arrêter, ou plutôt nous faire crever. Et on nous refait le coup aujourd’hui : Les nouvelles technologies sont l’avenir de l’homme ! À part que comme avec les anciennes, leur but premier est de remplir les poches des capitalistes, et qu’accessoirement mais très important, elles ne font que rajouter de nouvelles sources de pollution et d’exploitation des ressources aux anciennes.
« L’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante. » Karl Marx
La base de l’idéologie dominante occidentale est, depuis l’antiquité, dans la bible. Voir la citation plus haut. Les catholiques vont dire oui mais le nouveau testament ne parle pas de la terre, il parle de l’amour. À se demander s’ils ont seulement lu l’Apocalypse et son amour très chrétien qui consiste à occire tous les autres dans le plus grand massacre de tous les temps. Jésus n’est qu’une parenthèse vite refermée par l’apocalypse, et même s’il avait chassé les marchands du temple, il s’était bien gardé de mettre en doute la mère de toutes les dominations, la domination de la nature par l’homme.
Ceci pour dire que le communisme n’arrivera jamais à rien tant qu’il sera incapable d’intégrer de façon claire la dimension écologique de la lutte des classes. Cette lutte commence avec la domination de la nature par l’homme, elle ne pourra donc être gagnée par le prolétariat qu’avec la fin de la domination de la nature par l’homme. C’est pourquoi dans ses buts, le communisme doit non seulement viser à satisfaire les besoins humains, mais cette satisfaction égoïste de ses besoins doit être reconnue comme telle (égoïste) et elle doit donc être subordonnée à la satisfaction des besoins de la nature. À l’origine, la nature avait surtout besoin d’être respectée et qu’on lui fiche la paix. Aujourd’hui, elle a un urgent besoin d’être réparée de tous les dégâts que nous lui avons fait subir au cours des deux derniers siècles. Ce qui implique en pratique de subordonner l’économie non seulement à la satisfaction des besoins humains, mais d’abord de la subordonner à la satisfaction des besoins de la nature.
Malheureusement, il n’y a rien de tel dans le Manifeste communiste. Il date de 1848 et la conscience écologique était à peine naissante en occident à cette époque. Face aux défis d’aujourd’hui, dont un des deux principaux est le désastre écologique, il faudrait vraiment le réactualiser. Comme personne ne croit en le saint esprit du communisme, cela permettrait aux communistes occidentaux d’avoir un message cohérent avec les problématiques d’aujourd’hui, et pourquoi pas, d’être enfin en phase avec la gauche de l’Amérique latine, laquelle ne nous a pas attendu pour revoir sa copie.