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le rôle des médias dans les conflits

Un colonel US suggère des « attaques militaires » contre les « médias partisans »

photo : colonel Ralph Peters

A une époque où les médias se retrouvent « embarqués » avec les militaires dans les zones de conflit, les journalistes indépendants sont devenus les yeux et les oreilles du monde. Sans ces journalistes non-embarqués qui risquent leurs vies pour rendre compte de ce qui se passe de l’autre coté du fusil ou sous les bombes, l’histoire serait pratiquement entièrement rédigée du point de vue des puissances militaires ou - pour le moins - du point de vue ceux qui tiennent les armes, plutôt que de celui des civils qui sont toujours les principales victimes.

Dans le cas de l’invasion et occupation de l’Irak, les journalistes qui ont pris des risques ont sont souvent été les journalistes locaux irakiens. Quelques 116 journalistes et travailleurs des médias irakiens ont été tués depuis mars 2003. En tout, 189 journalistes ont été tués en Irak. Au moins 16 parmi eux ont été tués par les militaires US, selon le Comité pour la Protection des Journalistes. Un média qui a souvent été l’objet d’attaques US est Al Jazeera. Comme je l’ai écrit il y a quelques années dans The Nation :

« Les Etats-Unis ont bombardé les bureaux d’Al Jazeera en Afghanistan en 2001, tiré à l’obus contre l’hôtel Basrah où des journalistes d’Al Jazeera étaient les seuls clients en avril 2003, tué le correspondant irakien Tareq Ayoub quelques jours plus tard à Bagdad et emprisonné plusieurs reporters d’Al Jazeera (y compris à Guantanamo), dont certains affirment avoir été torturés. En plus des attaques militaires, le gouvernement irakien soutenu par les Etats-Unis a banni la chaîne de l’Irak. »

Un nouveau rapport d’un groupe néoconservateur influent, qui défend une ligne politique de « priorité à Israël » comme moyen de conquête du Moyen Orient, suggère que pendant les futures guerres, les Etats-Unis devraient officiellement adopter une politique de censure des médias et suggère « des attaques militaires contres les médias partisans. » (MuzzleWatch) Le rapport rédigé pour JINSA, l’Institut Juif pour les Affaires de Sécurité Nationale, fut écrit par le colonel à la retraite Ralph Peters. Il est publié dans le « journal officiel » du JINSA, The Journal of International Security Affairs. « Aujourd’hui, les Etats-Unis et leurs alliés ne se retrouveront plus jamais seuls face à leur ennemi sur le théâtre des opérations. Il y aura toujours un tiers qui participe aux combats », écrit Peters, qui qualifie les médias de « tueurs sans armes. »

« Bien sûr, les médias ont influencé le cours des conflits depuis des siècles, depuis les guerres de religion européennes jusqu’au Vietnam. Cependant, plus récemment, les médias sont devenus déterminants quant à l’issue d’un conflit. Alors que les journalistes n’ont pas réussi à battre le gouvernement US en Irak, les caméras vidéos et les reportages partisans ont assuré la survie du Hezbollah dans la guerre de 2006 contre Israel et, au moment où j’écris ces lignes, ils semblent avoir sauvé le Hamas de la destruction à Gaza.

[...]

Bien que cela paraisse encore impensable, les guerres futures pourraient nécessiter la censure, l’imposition d’un black-out et, en dernier recours, des attaques militaires contre les médias partisans. Le journalistes se prennent pour des êtres supérieurs et se considérent comme des combattants appartenant à une espèce protégée. Mais la liberté de la presse s’arrête là où ses abus tuent nos soldats et renforcent l’ennemi. Une telle idée est traitée aujourd’hui avec dédain, mais l’élite médiatique qui a perdu tout sens du patriotisme pourrait bien découvrir un jour que cette idée est entrée dans le domaine du bon sens.

L’objectif de tout ceci est bien simple : Gagner. Dans une guerre, rien d’autre ne compte. Si on ne peut pas gagner en respectant les règles, alors il faut gagner en les brisant. Mais il faut gagner. Nos victoires sont celles de l’humanité toute entière, tandis que nos échecs engendrent des monstres. »

Evidemment, qu’un tel cri du coeur aussi méprisable appelant au meurtre de journalistes soit publié dans le journal du JINSAIl est tout à fait à -propos. L’organisation s’est longtemps enorgueillit de compter dans ses rangs des « conseillers » criminels étoilés. Parmi eux, Dick Cheney, Richard Perle, James Woosley, John Bolton, Douglas Faith et d’autres. JINSA, avec le « Projet pour un Nouveau Siècle Américain » (Project for a New American Century - PNAC), fut un des groupes les plus influents sur la politique des Etats-Unis des années Bush et garde une forte influence sur Obama et la Maison Blanche.

En lisant les propos de malade de ce tordu de Colonel Peters, je me suis souvenu d’un rapport sorti fin 2005 qui accusait l’administration Bush de planifier le bombardement du siège international d’Al Jazeera au Qatar, et sur lequel j’écrivais :

« le quotidien britannique Daily Mirror a écrit qu’au cours d’une réunion tenue au mois d’avril 2004 à la Maison Blanche avec le premier ministre britannique Tony Blair, George W. Bush a soulevé l’idée de bombarder le siège international d’Al Jazeera au Qatar. Cette information est tirée des transcriptions « top-secret » du sommet Bush-Blair. Le ministre de la justice britiannique Lord Goldsmith a invoqué la loi Officiel Secrets Act et a menacé toute publication qui publierait une quelconque partie du mémo (il a déjà porté plainte contre un ancien membre du cabinet et un ancien assistant au parlement). Alors, bien que nous ne connaissions pas le contenu du mémo, nous savons que lors de la réunion entre Bush et Blair, l’administration US avait développé une campagne publique trés dure contre Al Jazeera. La réunion s’est déroulé le 16 avril, en plein siège de la ville de Falluja par les Etats-Unis, et Al Jazeera était l’un des rares médias à couvrir les événements de l’intérieur de la ville. Ses reportages exclusifs étaient diffusés par toutes les chaines, de CNN à BBC.

L’offensive de Fallujah, un des assauts les plus meurtriers de l’occupation US, fut un point tournant. En deux semaines de ce mois d’avril, 30 marines furent tués tandis que la guérilla locale résistait aux assuats de l’armée américaine. Quelques 600 irakiens ont été tués, dont de nombreux femmes et enfants. Al Jazeera émettait depuis l’intérieur de la ville des images à travers le monde entier. En direct à la télévision, la chaine démontrait par l’image que les Etats-Unis, malgré toutes les dénégations, étaient bien en train de tuer des civils. Du point de vue des relations publiques, ce fut un désastre pour les Etats-Unis et ils ont riposté en attaquant le messager.

Quelques jours avant la tenue des propos attribués à Bush, le correspondant d’Al Jazeera à Fallujah, Ahmoud Mansour, rapporta en direct à la télévision : « la nuit dernière nous avons été attaqués par quelques tanks, deux fois... mais nous avons réussi à nous échapper. Les Etats-Unis veulent nous faire sortir de Fallujah, mais nous restons. » Le 19 avril, Washington exigeait le départ d’Al Jazeera comme préalable à un cessez-le-feu. La chaine a refusé. Mansour écrivait le lendemain : « des avions de combat américains ont tiré autour de nos nouveaux locaux et ils ont bombardé la maison où nous avions passé la nuit et ils ont tué son propriétaire, M. Hussein Samir. A cause des menaces sérieuses qui planent, nous avons du interrompre nos émissions pendant quelques jours parce que chaque fois que nous tentions d’émettre, les avions nous repéraient et nous tiraient dessus. »

Le 11 avril, un porte-parole de l’armée, Mark Kimmit, déclarait : « les médias qui montrent les Américains en train de délibérément tuer des femmes et des enfants ne sont pas de véritables sources d’information. C’est de la propagande, ce sont des mensonges ». Le 15 avril, Donald Rumsfeld faisait écho à ces propos en des termes trés peu diplomatiques, qualifiant les reportages d’Al Jazeera de « pervers, inexacts et inexcusables... ce dont cette chaine est capable est une honte. » C’est le lendemain même, selon le Daily Mirror, que Bush faisait part de son plan à Blair. « Il a clairement fait comprendre qu’il voulait bombarder le siège international d’Al Jazeera au Qatar et ailleurs, » a déclaré une source au Mirror. « Il ne fait aucun doute que Bush voulait le faire, et aucun doute que Blair ne voulait pas qu’il le fasse. »

Au cas où certains penseraient que le point de vue du Col. Ralph Peters et des neocons du JINSA/PNAC est une relique du passé, rappelons que l’administration Obama compte de nombreux poids lourds qui appartiennent à ce milieu, ainsi que de farouches partisans. Bien qu’ils ne soient plus en train de tirer toutes les ficelles, comme sous l’administration Bush/Cheney, leur influence disproportionnée sur la politique des Etats-Unis demeure.

Jeremy Scahille

Journaliste d’investigation primé, auteur de « Blackwater : The Rise of the World’s Most Powerful Mercenary Army ».

ARTICLE ORIGINAL
http://rebelreports.com/post/110980714/us-colonel-advocates-us-military-attacks-on-partisan

traduction VD pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info

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