Le Monde, 11 octobre 2007.
Un oiseau, une "mouette" de 1 mètre de large et 60 centimètres de long, baptisé "Elsa". Ainsi décrit, le projet Engin léger pour la surveillance aérienne (ELSA) tient la vedette sur le stand de la police au salon Milipol consacré à la sécurité intérieure des Etats qui s’est ouvert à Paris, porte de Versailles, le 9 octobre. C’est un tout petit drone, muni d’une caméra, pas plus lourd qu’une bouteille d’eau, qui pourrait équiper, à terme, la police nationale pour surveiller à distance villes et quartiers.
"Nous ne sommes pas sur la ligne d’une surveillance de longue durée, de type militaire, assure Thierry Delville, chef des services de technologie de sécurité intérieure. C’est un outil supplémentaire pour les interventions de la police." ELSA servirait pour les grandes manifestations et rassemblements, mais aussi dans le cadre des violences urbaines telles qu’elles se sont déroulées en novembre 2005. Autres exemples de scénario d’emploi avancés par les spécialistes : la surveillance des abords d’une maison dans laquelle se seraient installés des terroristes ; le repérage des voitures brûlées ; ou bien un zoom sur un groupe de personnes, en marge d’une manifestation, pour repérer un porteur de cocktail Molotov. Le survol des zones urbaines étant soumis à autorisation, le drone ne devrait pas dépasser 150 mètres d’altitude, même si sa capacité peut atteindre 500 mètres. Avec une autonomie de 40 minutes, il peut balayer un rayon d’action de 2 kilomètres. Le type de caméra embarquée est variable, à infrarouge la nuit, à intensification de lumière dans la pénombre ou la grisaille...
"Les systèmes d’information et de communication, qui jouent un rôle vital dans la sécurité, doivent en permanence être améliorés pour résister aux performances croissantes des criminels", a affirmé la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, lors de l’inauguration du salon, en incluant d’emblée les engins légers de surveillance aérienne dans l’équipement des "commissariats du futur". Au mois d’août, la société Sirehna, basée à Nantes, a remporté l’appel d’offres pour réaliser ce prototype "silencieux et quasi indétectable" selon Jean-Pierre Le Goff, PDG de l’entreprise. Livré à la fin de l’année, le 15 décembre, il sera ensuite testé par les services de police avant d’être, le cas échéant, mis en service dans les commissariats, sans doute progressivement, en raison de son coût estimé à 10 000 euros.
Des expérimentations ont déjà eu lieu, toutes dans le département de Seine-Saint-Denis, au grand dam de plusieurs élus qui, disent-ils, n’avaient pas été "prévenus", et qui dénoncent une stigmatisation de quartiers réputés sensibles.
Le 14 juillet 2006, un avion de type Cesna, équipé d’une caméra vidéo télécommandée, avait ainsi survolé une portion du "9-3". Un scénario identique s’était ensuite reproduit le 31 décembre 2006 avec, cette fois, une caméra thermique embarquée pour déceler d’éventuels débordements et les voitures brûlées de la Saint-Sylvestre. Plus récemment, d’autres tests ont été effectués autour du Stade de France, pour la sécurité de la Coupe du monde de rugby. Pour les partisans de ce type de surveillance, le drone remplace avantageusement l’hélicoptère, - déjà utilisé pour les grands rassemblements -, jugé plus spectaculaire, plus bruyant et plus cher.
Pour Daniel Goldberg, député socialiste de Seine-Saint-Denis, il en va tout autrement. L’usage "par des forces civiles d’engins de conception militaire, affirme-t-il, n’est pas neutre". Ayant pris connaissance des déclarations de Mme Alliot-Marie au salon Milipol, le député a aussitôt réagi dans un communiqué en réclamant que le Parlement soit saisi du sujet. "Nos quartiers ne sont pas comparables aux cas extrêmes de prise d’otages ou des pays en guerre civile, dit-il. Sans encadrement légal strict, l’utilisation de drones risque de passer, tôt ou tard, d’un usage exceptionnel en cas de crise à un usage préventif permanent renforçant ainsi la stigmatisation que ressentent les habitants des banlieues."
Réponse par anticipation de la ministre de l’intérieur : "Face aux attentes légitimes et pressantes des citoyens, nous pourrions être tentés de payer un surcroît de sécurité d’un sacrifice en terme de libertés. Que cela soit clair, cela ne sera jamais le choix de la France - et cela ne sera jamais le mien."
ELSA, tout en mousse et pourvu de petites hélices déformables, proche d’un modèle d’aéromodélisme, ne constitue pas un danger en cas de chute, font valoir ses concepteurs. Mais le débat sur le survol urbain, à l’exception des zones stratégiques interdites, de type Seveso, ne fait sans doute que commencer.
Isabelle Mandraud
– Source : Le Monde www.lemonde.fr
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