Le retrait des forces russes de la Syrie renforce l’actuel cessez-le-feu et offre la perspective lointaine d’une fin à cinq années de conflit. L’ampleur du retrait russe reste incertain, plusieurs de leurs bombardiers sont retournés en Russie le 15 Mars, tandis que d’autres ont attaqué les combattants de l’Etat Islamique tenant la ville antique de Palmyre.
La Russie a réussi à atteindre la plupart de ses buts de guerre depuis le début de ses frappes aériennes, débuté le 30 septembre de l’année dernière, en appui du président Bachar Al-Assad. A cette époque, l’armée syrienne était en retrait après une série de défaites ; alors qu’aujourd’hui, elle progresse sur tous les fronts, mais il est peu probable qu’elle puise remporter une victoire totale.
Le succès militaire russe signifie qu’ils se sont rétablis comme une puissance majeure au Moyen-Orient pour la première fois depuis l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991. En retirant la plupart des forces, le président Vladimir Poutine évite ainsi de se salir exagérément les mains et être aspiré dans le bourbier syrien tels que ses critiques l’avaient prédit.
La Russie n’a pas déployé de grandes forces en Syrie et son intervention a principalement consisté en des frappes aériennes en soutient de l’armée syrienne, qui ont été réalisées à partir de 35 avions déployés sur place, d’hélicoptères et de missiles à longue distance. Mais cela a suffi à multiplier considérablement la puissance de feu de l’armée syrienne et à modifier l’équilibre du pouvoir sur le terrain. Dans le même temps, il est devenu clair au cours du mois passé, que la Russie ne voulait pas donner à M. Assad un chèque en blanc qui lui aurait permis de combattre jusqu’à la victoire finale.
Ce fut l’erreur commise par les États-Unis et leurs alliés, y compris la Grande-Bretagne, en Afghanistan après la défaite des talibans en 2001, et de nouveau en Irak après l’invasion en 2003. Dans les deux cas, la coalition menée par les Etats-Unis, n’a pas réussi à transformer la victoire militaire en succès politique parce qu’elle s’est associée à un partenaire local faible qui cherchait avant tout des soutiens étranger afin de légitimer son pouvoir localement. M. Poutine cherche évidemment à éviter de tomber dans ce piège et à maximiser les gains politiques obtenus, sans être entraîné dans un long conflit. Il a poursuivi une stratégie similaire à celle de la guerre de 2008, en Géorgie, lorsque la Russie a remporté une victoire rapide et a su mettre un terme au conflit.
Les cartes illustrant le conflit pour savoir qui contrôle qu’elle partie du territoire sont trompeuses étant donné que la moitié du pays est composé de désert ou de zones semi-désertiques.
Une comparaison plus significative est la taille des populations sous contrôle des différentes parties du conflit. Environ cinq millions de Syriens sont réfugiés, principalement en Turquie, au Liban et en Jordanie, laissant environ 16 millions de Syriens à l’intérieur du pays, dont environ 10 millions sont dans les zones tenues par le gouvernement et deux millions dans chacune des zones sous contrôle des kurdes, d’Isis et de l’opposition. En d’autres termes, M. Assad est en position de force, sans être toutefois dans une position suffisamment favorable.
Cela fait longtemps que l’équilibre du pouvoir en Syrie n’est plus déterminée par les acteurs locaux. Ce fut brièvement le cas en 2011, au début du soulèvement contre M.Assad et son gouvernement baasiste, mais ces forces purement syriennes ont été rapidement dépassées par les puissances régionales comme la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et l’Iran. De 2012 à la capture de Mossoul par Isis en Juin 2014, ces pays se sont combattus dans une guerre par procuration non concluante. Mais avec la montée d’Isis, la Syrie est entrée dans une troisième phase ; une phase internationale d’une la guerre dans laquelle les Etats-Unis et la Russie sont devenus les véritables décideurs politiques et militaires. Même ainsi, il ne sera pas facile pour la Syrie de ne pas être le lieu choisi pour être le champ de bataille d’une confrontation entre chiites et sunnites, entre l’Iran et l’Arabie saoudite, entre arabes et kurdes.
Uns des conséquences de la primauté des Etats-Unis et de la Russie dans ce conflit, est le succès, inattendu, de la « cessation des hostilités ». Déclaré le 27 Février après des négociations entre Moscou et Washington, et la livraison d’aides humanitaires aux populations assiégées. Le secret de ce surprenant succès est dû, jusqu’à présent, au degré auquel les combattants sur le terrain en Syrie sont tributaires des puissances extérieures et ne peuvent pas vraiment agir sans leurs soutiens. Les États-Unis et la Russie peuvent ne pas être en mesure de donner des instructions directes à ces clients régionaux, mais il est difficile pour les Etats tels que la Turquie et l’Arabie Saoudite de s’opposer aux Etats-Unis et à la politique russe, lorsque ces deux puissances agissent ensemble.
Grâce à l’« internationalisation » de la crise syrienne, le cessez-le tient pour la première fois depuis le début des hostilités. Les relations entre la Russie et les États-Unis impliquent un mélange de rivalité et de coopération mais il n’est jamais certain que cette relation débouchera sur une solution politique. En outre, le cessez ne concerne pas tous les combattants, il ne prend pas en compte ni Isis, ni Jabhat al-Nusra, la branche d’Al-Qaida en Syrie ; or ces deux mouvements dominent l’opposition armée syrienne. Isis peut être battue et est incapable de tenir des positions stable depuis qu’ils font faces à des frappes aériennes, mais son mélange de tactiques de guérilla et de terrorisme dirigés contre des cibles civiles demeure mortellement efficace.
Une des faiblesses de la politique occidentale est de prétendre qu’il existe une opposition armée « modérée » qui contrôlerait une partie du territoire ; bien que ceux qui soutiennent cette croyance n’arrivent jamais à expliquer où ce territoire se trouve ni comment y aller. David Cameron a affirmé qu’il existerait 70 000 combattants modérés, mais cela semble être des groupes disparates d’hommes armés qui luttent pour une tribu, un clan, un village ou pour celui qui les payera. Ils ne sont pas capables de lutter contre un mouvement fanatique bien organisé, comme Al Nusra. Cela s’est vu le 13 Mars quand Al-Nusra a pris possession de bases de la plus grande force « modérée » connue sous le nom Division 13.
Le retrait russe et le cessez-le-feu peuvent tous deux être temporaire, mais ce sont là des mesures sérieuses et efficaces en vue d’atténuer le conflit. Cependant, avec l’opposition armée dominée par Al-Nusra et Isis, et qui n’ont pas pour vocation d’effectuer des compromis, il sera beaucoup plus difficile de mettre fin à la guerre.
Patrick Cockburn