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antisionisme / antisémitisme

Réponse à Mme Bleitrach.

On a porté à mon attention un article de Mme Bleitrach (*) dans lequel on peut lire :« Regardez, les chrétiens d’occident se taisent devant le martyre palestinien mais comme ils se sont tus toujours et partout devant les génocides de la colonisation, devant le nazisme, il y a eu les communistes pour sauver l’honneur comme le dit la prière d’Abraham devant Sodom, dix justes… Mais déjà certains cherchent les coupables de ce silence : Est-ce parce qu’ils seraient bloqués seulement par le souvenir de la Shoah ? C’est la thèse que soutient quelqu’un comme Bricmont, alors il faut les débloquer en insuflant [sic] la haine du juif…. »

Insuffler la haine du juif est, pour autant que je sache, un délit (je suis opposé à ces lois « antiracistes » en ce qui concerne la liberté d’expression, mais ces lois existent). Accuser quelqu’un d’un délit qu’il n’a pas commis est de la diffamation.

Je n’appelle évidemment pas à « insuffler la haine du juif » ; je voudrais bien voir ce qui, dans ce que j’ai réellement écrit, permet une telle affirmation. Je ne pense pas non plus que le silence relatif des non-juifs sur la Palestine soit dû au seul souvenir de la shoah (dont, après tout, les non-juifs actifs politiquement aujourd’hui, c’est-à -dire nés après la guerre ou enfants durant celle-ci, ne sont nullement responsables), mais bien à son instrumentalisation et, surtout, à la menace permanente d’accusation d’antisémitisme qui pèse sur tous les non-juifs qui osent s’exprimer sur ce sujet.

Pour ce qui est du fond de l’article, Mme Bleitrach s’en prend à un texte (disponible sur http://petras.lahaine.org/articulo.php?p=1768&more=1&c=1) de James Petras, sociologue américain très engagé à gauche et très critique de l’action du lobby sioniste aux Etats-Unis. Mme Bleitrach accuse James Petras de parler du « juif Obama » ; cette expression ridicule ne vient pas de Petras, mais d’un certain Abner Mikva, ancien conseiller de Bill Clinton, qui a dit que « Barack Obama est le premier président juif » . L’article de Petras est consacré à l’idée, mise en avant par certains milieux sionistes américains et illustrée par cette phrase, que ce sont eux qui ont « créé » Obama. L’idée vient de ces milieux (dont on appréciera au passage l’arrogance, non dénuée de racisme envers un Noir incapable de se « créer » lui-même) et non de Petras. Il me semble que les non-juifs ont encore le droit de citer des juifs, même lorsque ceux-ci disent des absurdités.

Quant au silence « toujours et partout » des « chrétiens d’Occident » (je suppose que cette expression désigne la majorité de la population de nos pays, même si celle-ci est loin de se définir avant tout comme chrétienne) devant les génocides et autres atrocités, l’insulte frôle le racisme (Las Casas était chrétien). Mais, laissant de côté le passé, on ne peut que constater aujourd’hui que le discours en Occident est rempli de dénonciations de génocides et d’atrocités « toujours et partout ». Les médias et les personalités politiques accablent de leurs critiques le Venezuela, Cuba, le Soudan, l’Iran, le Hesbollah, le Hamas, la Syrie, l’Islam, la Serbie, la Russie ou la Chine. On n’hésite pas même devant les plus grossières exagérations. Sauf sur Israël. Sur ce sujet, les médias, les hommes et les femmes politiques, les journalistes et les rédactions savent qu’il faut faire preuve de la plus extrême prudence, et surtout éviter toute critique trop « radicale » d’Israël.

Pourquoi ? Pour le savoir, prenons un journaliste, un homme politique ou un éditeur, enfermons-nous avec lui dans une pièce où il peut vérifier qu’il n’y a ni caméra cachée ni micro, et demandons-lui s’il dit publiquement tout ce qu’il pense vraiment d’Israël et, s’il ne le dit pas (à mon avis, la réponse la plus probable), pourquoi se tait-il ?
A-t-il peur de nuire aux intérêts des capitalistes en Cisjordanie ? D’affaiblir l’impérialisme américain ? Ou encore, de risquer d’affecter les cours ou les flux du pétrole ? Ou a-t-il au contraire peur des organisations sionistes, de leurs poursuites et de leurs calomnies ?

Ma conviction, après des dizaines de discussions avec des personnes d’origine non-juive, est que la bonne réponse (la dernière) est évidente. On tait ce qu’on pense de l’Etat qui se dit "Etat juif" de peur d’ëtre traité d’anti-juif et d’être assimilé aux antisémites du passé. Et cette crainte est renforçée lorsqu’un certain nombre de personnes de gauche anti-sionistes d’origine juive, comme Mme Bleitrach, poussent la "vigilance" jusqu’à la calomnie et participent ainsi au mécanisme d’intimidation. Les non-juifs critiques d’Israël ne savent plus alors à quel saint se vouer (cette expression étant utilisée dans un sens métaphorique et non comme signe d’attachement au christianisme occidental).

Il me semble évident que la libération de la Palestine (quelle que soit la forme qu’elle prenne) dépend de la libération de la parole non-juive sur Israël et sur son traitement du peuple palestinien. Les antisionistes juifs à eux seuls, même les plus dévoués, n’arrivent pas à contrebalancer le poids des organisations sionistes qui exercent une influence considérable dans les pays occidentaux, en brandissant constamment l’accusation d’antisémitisme.

Il est certain qu’aucune personne d’origine juive ne doit être victime de l’antisémitisme. Mais il est tout aussi vrai que les personnes qui ne sont pas d’origine juive ne doivent pas se sentir sans cesse menacées par cette épée de Damoclès qu’est l’accusation d’antisémitisme. Les accusations sans fondement, comme celles lancées ici, surtout quand elles proviennent de juifs antisionistes, renforcent la menace et, par conséquent, le "silence" que prétend déplorer Mme Bleitrach. Au moment où le peuple martyr de Palestine souffre d’agressions sionistes redoublées, il me semble qu’il y a plus urgent à faire que de traquer "l’antisémitisme", surtout là où il n’y en a pas.

Jean Bricmont

(*) voir http://www.toutsaufsarkozy.com/cc/article04/EkFpkEAFZVRNjiEzYJ.shtml


référence rajoutée par le Grand Soir le 2 janv.

Blog de Mme Bleitrach "Changement de Société"
http://socio13.wordpress.com

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Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université de Louvain (Belgique). Il a notamment publié « Impostures intellectuelles », avec Alan Sokal, (Odile Jacob, 1997 / LGF, 1999) et « A l’ombre des Lumières », avec Régis Debray, (Odile Jacob, 2003). Présentation de l’ouvrage Une des caractéristiques du discours politique, de la droite à la gauche, est qu’il est aujourd’hui entièrement dominé par ce qu’on pourrait appeler l’impératif d’ingérence. Nous sommes constamment (…)
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