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Obama et l’Afghanistan

Passer une nouvelle couche sur une stratégie qui a échoué

J’allume la télé, le vendredi 27 mars 2009. Je tombe sur la chaîne C-Span. Le discours de Barack Obama sur l’Afghanistan y était retransmis.

Si on écoutait le mot d’introduction en faisant abstraction de celui qui parlait, on aurait aussi bien pu penser qu’il s’agissait de George Bush.

C’étaient les mêmes rengaines qui revenaient : le 11 sept, le terrorisme, Al-Qaida. Al-Qaida, le terrorisme, le 11 sept.

Quelques nouveaux termes apparaissaient. Le "Pakistan" et la "diplomatie" en faisaient partie. Washington et ses alliés de l’OTAN resteront en Afghanistan tant que le monde ne sera pas débarrassé du danger que représente Al-Qaida.

Ce que n’a pas dit Obama, à l’instar de Bush, c’est qu’en réalité, le fait que la coalition étrangère ait massacré des Afghans et des Pakistanais n’a pas mis un tant soit peu un terme à cette menace que constituerait Al-Qaida. La preuve : les soldats de la coalition étrangère pensent toujours qu’ils sont en mission en Afghanistan pour détruire Al-Qaida.
L’idée qu’une organisation apatride telle qu’Al-Qaida peut être éliminée en occupant ces régions du monde où elle est censée avoir ses quartiers généraux est absurde. L’idée qu’assassiner les populations qui habitent ces régions va servir cette cause est également absurde, discutable du point de vue de la stratégie et immorale.

L’argument majeur donné par Bush quand les forces US ont attaqué Al-Qaida en 2001 était que le gouvernement Taliban donnait asile à Al-Qaida. Donc, le pays tout entier et le peuple afghan méritaient que s’abattent mille morts sur eux. Cette logique simpliste ne tient pas compte du tout du fait qu’il était très probable que beaucoup d’Afghans ne soutenaient pas les Taliban. De même, cette stratégie ne se préoccupait pas de savoir comment le fait de bombarder des villages et des villes permettrait de capturer les dirigeants d’Al-Qaida.

En outre, le plan élaboré pour lancer l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan par les forces étrangères faisait fi de l’hostilité que provoquerait une telle agression.

Et aujourd’hui, sept ans et demi plus tard, les troupes d’occupation et les Afghans sont tributaires des décisions prises à Washington. Les soldats de l’armée d’occupation sont régulièrement tués par des villageois, des policiers afghans, des Taliban, et des Afghans alliés à d’autres milices.

Les Afghans sont confrontés aux vicissitudes de la vie dans un pays occupé où chaque groupe armé qui les entoure - l’armée d’occupation, les mercenaires, les Taliban, les membres des forces de sécurité afghanes mises en place par les US, ou les criminels - peut leur rendre la vie encore plus insupportable. Par-dessus le marché, la majorité des Afghans vit dans la misère, encore plus terrible depuis ces années de guerre.

Et, dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les milices afghanes qui s’opposent aux forces d’occupation gagnent du terrain. Elles apportent la sécurité aux Afghans ordinaires tout en répondant à leur souhait de voir les troupes étrangères quitter le pays. Ce n’est pas tant que les Afghans épousent nécessairement la doctrine fondamentaliste de ces milices (les Taliban et les autres) mais plutôt qu’ils partagent une même culture en tant qu’Afghans.

On peut rapprocher le soutien des Afghans à ces milices à ce qui se passe à Gaza entre le Hamas et les Palestiniens. Beaucoup de Palestiniens ne partagent pas le programme religieux du Hamas mais le considèrent comme la seule organisation politique qui partage leur voeu de mettre un terme à la domination d’Israël sur la Palestine, et qui lutte à cette fin. Evidemment, il y a de grandes différences entre les deux situations, mais je pense que l’analogie existe fondamentalement.

De même, les populations des régions dites "tribales" de la Province de la Frontière du Nord-Ouest s’indignent de la présence sur leurs terres de troupes étrangères et des tirs de roquettes téléguidées.

Et donc, ils se sont insurgés contre leur présence, souvent par les armes. De même, dans les régions qui résistent également contre la présence étrangère, les populations ont décidé de rejoindre les Taliban et les autres. Contrairement à l’Afghanistan, où le gouvernement de Karzai à Kaboul sert les intérêts de Washington, le gouvernement d’Islamabad a, à l’occasion, manifesté plus que Karzai (qui a parfois exprimé son irritation) sa désapprobation aux incursions dans la Province de la Frontière du Nord-Ouest. Cela n’a pas empêché Washington de tirer des roquettes téléguidées sur la région, mais cela a peut-être évité d’autres d’incursions en hélicoptère et au sol. On peut encore donc dire à l’heure actuelle sans avoir peur de se tromper que le gouvernement pakistanais acceptera les plans d’Obama pour la région et permettra aux forces US d’agir où et quand elles le veulent.

D’après Obama, Washington a un objectif clair et bien ciblé : désorganiser, démanteler et terrasser Al-Qaida au Pakistan et en Afghanistan et empêcher leur éventuel retour. "Actuellement, Al-Qaida a peut-être ou peut-être pas l’intention de frapper aux Etats-Unis, comme l’a affirmé M. Obama dans son discours. Le fait que cette éventualité continue d’être utilisée pour justifier non seulement l’occupation de l’Afghanistan, mais l’escalade militaire (et l’étendre en pénétrant encore plus avant au Pakistan) montre bien le leurre de cette tactique, si le véritable objectif est bien celui qu’Obama prétend être.
M. Obama et ses conseillers ont beau souhaiter qu’il en soit autrement, la poursuite de l’actuelle stratégie d’occupation et d’escalade militaire ne vont pas amener ces Afghans qui luttent contre la présence des troupes US à déposer les armes. Donc, il est peu crédible que ces mesures anéantiront les Taliban ou Al-Qaida, même si beaucoup parmi nous voudraient bien que ce soit le cas.

Le fait que la stratégie de Washington ait peu de chances d’atteindre les objectifs annoncés par Obama (et par Bush en 2001) indique que ces objectifs ne sont probablement pas les véritables raisons de la présence de Washington dans la région. Les desseins qu’Obama a explicitement niés (je cite : "Nous ne sommes pas en Afghanistan pour contrôler ce pays et décider de leur avenir à leur place") ne seraient-ils pas, justement, les véritables objectifs ?

C’est alors que l’escalade militaire là -bas prendrait tout son sens.

Ron Jacobs

Ron Jacobs a écrit, entre autres, "The Way the Wind Blew : a history of the Weather Underground" (histoire du Weather Underground http://fr.wikipedia.org/wiki/Weathermen), publié par Verso. Il peut être contacté à l’adresse suivante : rjacobs3625@charter.net

Traduction des Bassines et du Zèle pour le Grand Soir http://www.legrandsoir.info

ARTICLE ORIGINAL
http://www.dissidentvoice.org/2009/03/putting-a-new-coat-on-a-failed-strategy/

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COMMENTAIRES  

03/04/2009 13:22 par Chad

L’invasion d’Aphghanistan n’est sûrement pas pour instaurer la démocratie, libérer les femmes ou améliorer les conditions de vie des Aphghanistans mais plûtot pour avoir un pied pour contrôler le passage du gaz (le pays en est très riche)en plus d’autres richesses. Ce pays ravagé par tant d’années de guerres ne sera libéré que par ses forces que ce soit les talibans ou autres, sûrement pas par l’Otan qui n’en veut qu’à ses richesses.

04/04/2009 23:41 par tartuz

Obama est un va t-en guerre comme tous les presidents americains et d’ailleurs comment ont ils créé leur pays si ce n’est par la guerre en massacrant pratiquement tous les amerindiens.Comment peut on croire un instant que cet homme serait plus docile que les autres.Si aujourd’hui les usa donnent l’impression à travers leur nouveau president c’est tout simplement parce qu’ils sont dans une situation critique.Comment apres tant d’annees a diaboliser l’IRAN l’amerique serait elle prete à tendre la main au regime IRANIEN tout simplement parceque celle ci est incontournable a la resolution des problemes AFGHAN et IRAKIEN.Mais on connait l’attitude de l’amerique qui n’a jamais respecté sa parole et les AMERINDIENS en savent quelque chose.L’IRAN ferait bien de se mefier de ce pays criminel qui donne son aprobation au massacre des PALESTINIENS par l’armée nazi,criminelle israelienne dont les criminels militaires ne seront jamais jugés grace a la bienveillance de l’amerique et ses sbires comlices.L’amerique a beaucoup de sang sur les mains et n’a rien a faire ni en AFGHANISTAN ni en IRAK elle ferait nmieux de venir au secour du peuple PALESTINIENS mais ça c’est une autre histoire.

05/04/2009 23:18 par Hallali

Ce qui compte surtout pour les américains en Afghanistan, c’est d’arriver à faire ce qu’ils n’ont pas réussi à mettre en place en 15 ans : réaliser le fameux pipeline trans-afghan. Ce pipeline prometteur permettra d’acheminer le pétrole des immenses réserves du Caucase au nord et de l’Iran/Irak à l’Ouest vers les très gros clients potentiels que sont la Chine à l’Est et l’Inde au Sud, et également vers les ports de l’Océan Indien (vers l’Amérique) et de la mer Noire (vers l’Europe), ce qui garantira à ceux qui auront accès à cette rivière d’or noir une prospérité sur 50 ans voire 100 ans. Qui n’en rêverait pas ?

Ne nous y trompons pas, c’est le vrai enjeu de l’occupation de ce pays par l’OTAN. Toutes les autres raisons sont des prétextes fallacieux.

Avec l’Afghanistan c’est l’histoire qui se répète : de la même façon qu’au sortir de la 2nde guerre mondiale, en 1946 , les américains, dans la plus grande discrétion, et alors que les pays d’Europe se relevaient difficilement de la guerre, ont signé un accord historique avec l’Arabie Saoudite qui consistait à les aider , primo à consolider leur régime monarchique, et secundo à bâtir de toute pièce leur industrie pétrolière, basée sur des gisements colossaux, et en échange d’une promesse : n’accepter que le dollar comme monnaie d’échange contre le pétrole et le gaz (ce qui garantissait la richesse des USA, sans nécessité pour eux de construire une industrie véritablement d’importance). Cet échange gagnant/gagnant a fait la richesse de ces deux pays pendant 50 ans. Seulement, après 50 d’exploitation des puits saoudiens, vers les années 1990 les américains ont commencer à envisager des solutions de remplacement. Mais les soviétiques les avaient devancés en Afghanistan, les européens en Irak, et l’Iran était trop hostile. Prit alors place une immense partie de poker : chasser les soviétiques d’Afghanistan (sans verser de sang américain, mais en utilisant Ben Laden et Al Qaïda), accélérer l’éclatement de l’Union Soviétique pour que tous les pays satellites riche en matières premières (Ouzbekhistan, Tadjikistan, Azerbadjan, Kazakstan, etc), puissent devenir plus accessibles aux commerces du pétrole et du gaz, puis à aider à installer un gouvernement stable en Afghanistan, quel qu’en soit le type (ce qui arriva en 1996 avec les talibans, au grand dam des européens qui criaient au fou), pourvu qu’il soit intéressé à la cause pétrolière.
Des milliards de dollar ont été investis, via ENRON (Atul Davda, directeur d’Enron chargé de la division internationale jusqu’à la chute de la société, a affirmé que "Enron était très proche des officiels talibans. La construction du pipeline était l’un des objectifs primordiaux de la société." ) pour que la société UNOCAL (United Oil of California) s’installe en Afghanistan. La Delta Oil saoudienne était aussi impliquée, et beaucoup d’autres.
Mais les talibans ne sont pas des saoudiens, et ils n’ont pas mordu à l’hameçon des richesses promises.
Les négociations ont eu cours jusqu’en août 2001 avant d’échouer définitivement. Passons l’épisode très obscur du 11 Septembre dont se sont servis les américains pour créer un point de basculement majeur de stratégie et , il faut l’avouer, très providentiel (trop). Mais sur le terrain, pas de progrès côté pipeline depuis lors. Les américains se sont plus fortement concentré sur l’occupation de l’Irak (sous prétexte d’y amener la démocratie) , mais dont il est évident qu’elle leur a assurée des gains plus rapides et plus "faciles" sur le terrain économique qu’un pipeline trans-afghan très difficile à installer et à rentabiliser rapidement. On pourrait même analyser que l’invasion de l’Afghanistan était nécessaire en urgence, pour que d’autres pays ne puissent pas s’y installer à leur place, Russie en tête et aussi Chine (qui est voisine de l’Afghanistan à travers la province du Tibet, tiens ! conquête au combien stratégique, on le mesure maintenant), dans le but d’y revenir plus "sérieusement" plus tard.
C’est dans la continuité de cette mission que travaille Obama et le complexe militaro-banquo-industriel qui l’a amené au pouvoir. Et c’est l’enjeu des années qui viennent. Le changement de stratégie avec l’Iran sera également un gage de réussite (ce que n’avait pas compris l’équipe Bush, beaucoup trop belliqueuse envers ce pays).

Les européens sont appâtés par les américains pour les aider dans cette mission, mais pour quel gain ? Si c’est pour continuer à favoriser le dollar au détriment de l’euro, aucun intérêt pour eux. C’est tout l’enjeu certainement des tractations actuelles du G20 dont on nous dit que c’est un succès. Résultat, la France envoie 150 gendarmes en Afghanistan, l’Espagne 12... Les négociations n’ont pas du être aussi fructueuses… Mais la France revient quand même dans l’OTAN (on ne sait jamais, ça peut quand même servir).

Dans toute cette stratégie mondiale gigantesque, il faut espérer que le peuple afghan pourra tirer parti de l’avenir fabuleux qui l’attend, et qu’il aura droit à une part du gâteau, qui lui revient de droit au regard des sacrifices humains qui ont été faits à ses dépends depuis 20 ans. Et dans ce cas l’histoire de ce pays sera exceptionnelle dans les années qui viennent.

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