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Les jeux sans le pain

illustration : Jason Fuller

Le capitalisme et les hommes qui le font vivre n’en sont plus depuis longtemps à un paradoxe près. Quand la crise affame - et affamera plus encore demain - une multitude d’hommes, de femmes et d’enfants partout dans le monde l’économie des jeux prospère sans vergogne. Du pain et des jeux proclamait Jules César pour calmer la plèbe. Il est probable que pour lui le pain comptait avant les jeux du cirque. Deux mille ans après JC, les jeux sont planétaires et la malnutrition - entre autres maux de la misère - frappe un milliard d’êtres humains. L’exutoire des jeux hyper médiatisés et archi mercantilisés est partout utilisé pour détourner l’attention et le désir des peuples. A l’heure de l’endormissement généralisé, la France ne saurait déroger à la règle vulgaire.

Dans le sport tout explose : la pub, le dopage, les paris, les temps d’antenne, les salaires des dieux du stade, etc. L’activité éditoriale aussi qui n’a jamais connu une parution de livres si florissante qu’à l’occasion de l’actuelle coupe du Monde de football.

Historiens, sociologues et philosophes s’en mêlent - et s’emmêlent parfois les concepts - pour parer la trivialité du sport business des atours les plus chatoyants. Et tant pis pour l’affaiblissement - quand il ne s’agit pas de sa disparition pure et simple - de l’analyse critique d’un objet monumental méritant mieux que son commentaire démagogique. Il est peut-être temps de se poser les questions essentielles, celles qui à l’évidence gênent aux entournures les observateurs aveuglés par leur passion au point de ne pas même voir les ficelles les plus grossières ou de ne plus chercher ce qui se cache derrière les apparences trompeuses. Comment expliquer que l’audience des supporters augmente proportionnellement à la gangrène du sport par l’argent et par les techniques de dopage les plus sophistiquées ? Comment comprendre que les émoluments astronomiques des vedettes de l’exercice physique n’émeuvent pratiquement personne, à commencer par les pauvres, quand progresse partout la misère ? Pourquoi nos sociétés acceptent-elles si facilement que leurs dirigeants engloutissent la fonction politique dans cet océan nauséabond qui malmène dramatiquement les valeurs éthiques prônées à la fin du dix-neuvième siècle par les promoteurs de l’olympisme modernes ?

C’est que tout cela est marqué du sceau de la fatalité. Toutes les scories générées par la méga machine du sport mondialisé seraient le prix à payer pour que la distraction attendue par les foules rassemblées en des lieux clos ou éparpillées devant la myriade des écrans domestiques - de la domestication ! - puisse continuer toujours. Marquons au passage que la distraction est utilisée en effet dans sa double fonction d’amusement et de détournement. Comme on ne peut rien contre les avatars de la mondialisation économique, on ne peut rien non plus contre les dérives des jeux globaux. Du reste les premiers ont produit les secondes pour une bonne part. Dès lors, les violences faites à la moralité de chaque citoyen par les pratiques illégales des clubs de football, le financement par blanchiment d’argent sale comme dans la Formule 1 ou la conduite répréhensible des sportifs eux-mêmes sont aisément excusés par les fans - quand ils ne sont pas fanatiques - sur l’autel de la plus imposante des religions désormais. Oui, on nous enjoint de communier tous avec la même ferveur. Ceci suppose de ne plus se poser les questions qui fâchent. Ainsi, les frasques routières ou nocturnes de Ribéri ne sont que broutilles pour le supporter déconscientisé au regard des dimensions de l’icône fabriquée par les médias avec bien sûr la complicité du public si prompt à l’enthousiasme. Le moindre petit caïd de banlieue est en préventive pour moins que ça !

Il était donc grand temps que la France légalise les paris en ligne sur l’Internet. Ca existe ailleurs, pourquoi pas chez nous ! Si la lutte contre la pauvreté ne va rien y gagner, l’État en retirera des fruits qui, en temps de marée basse des finances publiques, faute de prendre l’argent dans la poche des riches, seront bons à recueillir. Plus de jeux, moins de pain : telle est la devise dissimulée du parieur pris au piège de son addiction. Les parieurs impénitents vont forcément proliférer puisqu’on les en prie en haut lieu. Ils seront légion et méchamment accrochés en 2016 pour miser gros sur la victoire de l’équipe de France disputant chez elle l’Euro de football. M. Sarkozy leur a fait un autre beau cadeau en allant lui-même récemment en Suisse disputer le bout de gras et revenir avec la décision définitive que l’Euro 2016 se tiendra en France. Il donne l’exemple, il mouille le maillot, il se bat pour la France. Combien de supporters se sont étonnés qu’à l’heure des menaces d’implosion de la zone de l’autre Euro, le Président de la République n’ait pas mieux à faire que de s’occuper en personne d’un dossier aussi peu brûlant ? Demain les retraites fondront comme neige au soleil, notamment pour les plus modestes d’entre nous, mais nous aurons de nouveaux et superbes stades dans lesquels batifoleront nos idoles richissimes.

Yann Fiévet

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Jay Taylor, responsable de la section des intérêts américains à Cuba entre 1987 et 1990, in "Playing into Castro’s hands", the Guardian, Londres, 9 août 1994.

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