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Huit propositions urgentes pour une autre Europe

La crise secoue l’Union européenne jusque dans ses fondations. Pour plusieurs pays, le noeud coulant de la dette publique s’est refermé sur eux et ils sont pris à la gorge par les marchés financiers. Avec la complicité active des gouvernements en place, de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI, les institutions financières à l’origine de la crise s’enrichissent et spéculent sur les dettes des États. Le patronat profite de la situation pour lancer une offensive brutale contre une série de droits économiques et sociaux de la majorité de la population.

La réduction des déficits publics doit se faire, non pas en réduisant les dépenses sociales publiques mais par la hausse des recettes fiscales, en luttant contre la grande fraude fiscale et en taxant davantage le capital, les transactions financières, le patrimoine et les revenus des ménages riches. Pour réduire le déficit, il faut également réduire radicalement les dépenses d’armement, ainsi que d’autres dépenses socialement inutiles et dangereuses pour l’environnement. En revanche, il est fondamental d’augmenter les dépenses sociales, notamment pour pallier les effets de la dépression économique. Mais au-delà , il faut considérer cette crise comme une possibilité de rompre avec la logique capitaliste et de réaliser un changement radical de société. La nouvelle logique à construire devra rompre avec le productivisme, intégrer la donne écologique, éradiquer les différentes formes d’oppression (raciale, patriarcale, etc.) et promouvoir les biens communs.

Pour cela, il faut construire un front anticrise, tant à l’échelle européenne que localement, afin de réunir les énergies pour créer un rapport de force favorable à la mise en pratique de solutions radicales centrées sur la justice sociale et climatique. Dès août 2010, le CADTM a formulé huit propositions concernant la crise actuelle en Europe[2]. L’élément central est la nécessité de procéder à l’annulation de la partie illégitime de la dette publique. Pour y parvenir, le CADTM recommande la réalisation d’un audit de la dette publique effectué sous contrôle citoyen. Cet audit devra, dans certaines circonstances, être combiné à une suspension unilatérale et souveraine du remboursement de la dette publique. L’objectif de l’audit est d’aboutir à une annulation/répudiation de la partie illégitime de la dette publique et de réduire fortement le reste de la dette.

La réduction radicale de la dette publique est une condition nécessaire mais pas suffisante pour sortir les pays de l’Union européenne de la crise. Il faut la compléter par toute une série de mesures de grande ampleur dans différents domaines.

1. Réaliser un audit de la dette publique afin d’annuler la partie illégitime.

Une partie importante de la dette publique des États de l’Union européenne est illégitime car elle résulte d’une politique délibérée de gouvernements qui ont décidé de privilégier systématiquement une classe sociale, la classe capitaliste, et d’autres couches favorisées, au détriment du reste de la société. La baisse des impôts sur les hauts revenus des personnes physiques, sur leur patrimoine, sur les bénéfices des sociétés privées ont amené les pouvoirs publics à augmenter la dette publique afin de combler le trou laissé par cette baisse. Ils ont aussi fortement augmenté la charge des impôts sur les ménages modestes qui constituent la majorité de la population. A cela s’est ajouté depuis 2007-2008, un sauvetage des institutions financières privées, responsables de la crise, qui a coûté très cher aux finances publiques et a fait exploser la dette publique. La baisse des recettes provoquée par la crise causée par les institutions financières privées a dû être une nouvelle fois comblée par des emprunts massifs. Ce cadre général frappe clairement d’illégitimité une part importante des dettes publiques. A cela s’ajoutent, dans un certain nombre de pays soumis au chantage des marchés financiers, d’autres sources évidentes d’illégitimité. Les nouvelles dettes contractées à partir de 2008 l’ont été dans un contexte où les banquiers (et autres institutions financières privées) utilisent l’argent fourni à bas taux d’intérêt par les banques centrales pour spéculer et forcer les pouvoirs publics à augmenter les rémunérations qu’ils leur versent. De plus, dans des pays comme la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie ou l’Irlande, les prêts accordés par le FMI ont été assortis de conditions qui constituent une violation des droits économiques et sociaux des populations. Fait aggravant, ces conditions favorisent une fois de plus les banquiers et les autres institutions financières. Pour ces raisons, elles sont aussi marquées d’illégitimité. Enfin dans certains cas, la volonté populaire est bafouée : par exemple, alors qu’en février 2011, les Irlandais ont voté à une large majorité contre les partis qui avaient fait des cadeaux aux banquiers et avaient accepté les conditions imposées par la Commission européenne et le FMI, la nouvelle coalition gouvernementale poursuit grosso modo la même politique que ses prédécesseurs. Plus généralement, on assiste dans certains pays à une marginalisation du pouvoir législatif au profit d’une politique du fait accompli imposée par le pouvoir exécutif qui passe des accords avec la Commission européenne et le FMI. Le pouvoir exécutif présente ensuite au Parlement cet accord qui est à prendre ou à laisser. Il arrive même qu’un débat sans vote soit organisé sur des sujets de première importance. La tendance du pouvoir exécutif à transformer l’organe législatif en une chambre d’enregistrement se renforce.

Dans ce contexte extrêmement inquiétant, sachant qu’une série d’États sera tôt ou tard confrontée à un risque concret de défaut de paiement par manque de liquidités et que le remboursement d’une dette illégitime est par principe inacceptable, il convient de se prononcer clairement pour une annulation des dettes illégitimes. Annulation dont le coût doit être supporté par les coupables de la crise, à savoir les institutions financières privées.

Pour des pays comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal ou des pays d’Europe de l’Est (et en dehors de l’UE, des pays comme l’Islande), c’est-à -dire des pays qui sont soumis au chantage des spéculateurs, du FMI et d’autres organismes comme la Commission européenne, il convient de recourir à un moratoire unilatéral du remboursement de la dette publique. Cette proposition devient populaire dans les pays les plus touchés par la crise. A Dublin, fin novembre 2010, dans une enquête d’opinion réalisée par téléphone auprès de 500 personnes, 57 % des Irlandais interrogés se prononçaient en faveur d’une suspension du paiement de la dette (default, en anglais), plutôt que pour l’aide d’urgence du FMI et de Bruxelles. « Default ! say the people » (le peuple pour la suspension du paiement), titrait le Sunday Independent, principal quotidien de l’île. Selon le CADTM, un tel moratoire unilatéral doit être combiné à la réalisation d’un audit des emprunts publics (avec participation citoyenne). L’audit doit permettre d’apporter au gouvernement et à l’opinion publique les preuves et les arguments nécessaires à l’annulation/répudiation de la partie de la dette identifiée comme illégitime. Le droit international et le droit interne des pays offrent une base légale pour une telle action souveraine unilatérale d’annulation/répudiation.

Pour les pays qui recourent à la suspension de paiement, avec son expérience sur la question de la dette des pays du Sud, le CADTM met en garde contre une mesure insuffisante, comme une simple suspension du remboursement de la dette, qui peut se révéler contre-productive. Il faut un moratoire sans ajout d’intérêts de retard sur les sommes non remboursées.

Dans d’autres pays comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, il n’est pas nécessairement impératif de décréter un moratoire unilatéral pendant la réalisation de l’audit. Celui-ci doit être mené afin, lui aussi, de déterminer l’ampleur de l’annulation/répudiation à laquelle il faudra procéder. En cas de détérioration de la conjoncture internationale, une suspension de paiement peut devenir d’actualité même pour des pays qui se croyaient à l’abri du chantage des prêteurs privés.

La participation citoyenne est la condition impérative pour garantir l’objectivité et la transparence de l’audit. Cette commission d’audit devra notamment être composée des différents organes de l’État concernés, ainsi que d’experts de l’audit des finances publiques, d’économistes, de juristes, de constitutionnalistes, de représentants des mouvements sociaux... Il permettra de déterminer les différentes responsabilités dans le processus d’endettement et d’exiger que les responsables tant nationaux qu’internationaux rendent des comptes à la justice. En cas d’attitude hostile du gouvernement en place à l’égard de l’audit, il est nécessaire de constituer une commission d’audit citoyen sans participation gouvernementale.

Dans tous les cas de figure, il est légitime que les institutions privées et les personnes physiques à hauts revenus qui détiennent des titres de ces dettes supportent le fardeau de l’annulation de dettes souveraines illégitimes car ils portent largement la responsabilité de la crise, dont ils ont de surcroît largement profité. Le fait qu’ils doivent supporter la charge de l’annulation n’est qu’un juste retour vers davantage de justice sociale. Il est important de dresser un cadastre des détenteurs de titres afin d’indemniser parmi eux les citoyens et citoyennes à faibles et moyens revenus.

Si l’audit démontre l’existence de délits liés à l’endettement illégitime, leurs auteurs devront être sévèrement condamnés à payer des réparations et ne doivent pas échapper à des peines d’emprisonnement en fonction de la gravité de leurs actes. Il faut demander des comptes en justice à l’encontre des autorités ayant lancé des emprunts illégitimes.

En ce qui concerne les dettes qui ne sont pas frappées d’illégitimité, il conviendra d’imposer un effort aux créanciers en termes de réduction du stock et des taux d’intérêts, ainsi que par un allongement de la période de remboursement. Ici aussi, il conviendra de réaliser une discrimination positive en faveur des petits porteurs de titres de la dette publique qu’il conviendra de rembourser normalement. Par ailleurs, le montant de la part du budget de l’État destiné au remboursement de la dette devra être plafonné en fonction de l’état de l’économie, de la capacité des pouvoirs publics à rembourser et du caractère incompressible des dépenses sociales. Il faut s’inspirer de ce qui avait été fait pour l’Allemagne après la seconde guerre mondiale. L’Accord de Londres de 1953 sur la dette allemande qui consistait notamment à réduire de 62 % le stock de la dette stipulait que la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne devait pas dépasser 5 %[3]. On pourrait définir un ratio de ce type : la somme allouée au remboursement de la dette ne peut excéder 5 % des recettes de l’État. Il faut également adopter un cadre légal afin d’éviter la répétition de la crise qui a débuté en 2007-2008 : interdiction de socialiser des dettes privées, obligation d’organiser un audit permanent de la politique d’endettement public avec participation citoyenne, imprescriptibilité des délits liés à l’endettement illégitime, nullité des dettes illégitimes…

2. Stopper les plans d’austérité, ils sont injustes et approfondissent la crise.

En accord avec les exigences du FMI, les gouvernements des pays européens ont fait le choix d’imposer à leurs peuples des politiques de stricte austérité, avec des coupes claires dans les dépenses publiques : licenciements dans la fonction publique, gel voire baisse des salaires des fonctionnaires, réduction de l’accès à certains services publics vitaux et de la protection sociale, recul de l’âge de l’accès à la retraite. A l’inverse, les entreprises publiques réclament - et obtiennent - une augmentation de leurs tarifs, pendant que le coût de l’accès à la santé et à l’éducation est lui aussi revu à la hausse. Le recours à des hausses d’impôts indirects particulièrement injustes, notamment la TVA, s’accroît. Les entreprises publiques du secteur concurrentiel sont massivement privatisées. Les politiques de rigueur mises en place sont poussées à un niveau jamais vu depuis la seconde guerre mondiale. Les effets de la crise sont ainsi décuplés par des prétendus remèdes, qui visent surtout à protéger les intérêts des détenteurs de capitaux. En somme, les banquiers boivent, les peuples trinquent !

Mais les peuples supportent de moins en moins l’injustice de ces réformes marquées par une régression sociale de grande ampleur. En termes relatifs, ce sont les salariés, les chômeurs et les foyers les plus modestes qui sont le plus mis à contribution pour que les États continuent d’engraisser les créanciers. Et parmi les populations les plus touchées, les femmes occupent le premier rang, car l’organisation actuelle de l’économie et de la société patriarcale fait peser sur elles les effets désastreux de la précarité, du travail partiel et sous-payé. Directement concernées par les dégradations des services publics sociaux, elles paient le prix fort. La lutte pour imposer une autre logique est indissociable de la lutte pour le respect absolu des droits des femmes.

3. Instaurer une véritable justice fiscale européenne et une juste redistribution de la richesse. Interdire les transactions avec les paradis judiciaires et fiscaux. Lutter contre la fraude fiscale massive des grandes entreprises et des plus riches.

Depuis 1980, les impôts directs n’ont cessé de baisser sur les revenus les plus élevés et sur les grandes entreprises. Ainsi, dans l’Union européenne, de 2000 à 2008, les taux supérieurs de l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés ont baissé respectivement de 7 et 8,5 points. Ces centaines de milliards d’euros de cadeaux fiscaux ont pour l’essentiel été orientés vers la spéculation et l’accumulation de richesses de la part des plus riches.

Il faut combiner une réforme en profondeur de la fiscalité dans un but de justice sociale (réduire à la fois les revenus et le patrimoine des plus riches pour augmenter ceux de la majorité de la population) avec son harmonisation sur le plan européen afin d’empêcher le dumping fiscal[4]. Le but est une augmentation des recettes publiques, notamment via l’impôt progressif sur le revenu des personnes physiques les plus riches (le taux marginal sur la tranche la plus élevée de revenu doit être portée à 90 %[5]), l’impôt sur le patrimoine à partir d’un certain montant et l’impôt sur les sociétés. Cette augmentation des recettes doit aller de pair avec une baisse rapide du prix d’accès aux biens et services de première nécessité (aliments de base, eau, électricité, chauffage, transports publics, matériel scolaire…), notamment par une réduction forte et ciblée de la TVA sur ces biens et services vitaux. Il s’agit également d’adopter une politique fiscale qui favorise la protection de l’environnement en taxant de manière dissuasive les industries polluantes.

L’UE doit adopter une taxe sur les transactions financières, notamment sur les marchés des changes, afin d’augmenter les recettes des pouvoirs publics.

Les différents G20 ont refusé, malgré leurs déclarations d’intention, de s’attaquer réellement aux paradis judiciaires et fiscaux. Une mesure simple afin de lutter contre les paradis fiscaux (qui font perdre chaque année aux pays du Nord, mais également à ceux du Sud, des ressources vitales pour le développement des populations) consiste pour un Parlement à interdire à toutes les personnes physiques et à toutes les entreprises présentes sur son territoire de réaliser quelque transaction que ce soit passant par des paradis fiscaux, sous peine d’une amende d’un montant équivalent. Au-delà , il faut éradiquer ces gouffres noirs de la finance, des trafics criminels, de la corruption, de la délinquance en col et cravate.

La fraude fiscale prive de moyens considérables la collectivité et joue contre l’emploi. Des moyens publics conséquents doivent être alloués aux services des finances pour lutter efficacement contre cette fraude. Les résultats doivent être rendus publics et les coupables lourdement sanctionnés.

4. Remettre au pas les marchés financiers, notamment par la création d’un registre des propriétaires de titres, par l’interdiction des ventes à découvert et de la spéculation dans une série de domaines. Créer une agence publique européenne de notation.

La spéculation à l’échelle mondiale représente plusieurs fois les richesses produites sur la planète. Les montages sophistiqués de la mécanique financière rendent celle-ci totalement incontrôlable. Les engrenages qu’elle suscite déstructurent l’économie réelle. L’opacité sur les transactions financières est la règle. Pour taxer les créanciers à la source, il faut les identifier. La dictature des marchés financiers doit cesser. La spéculation doit être interdite dans toute une série de domaines. Il convient d’interdire la spéculation sur les titres de la dette publique, sur les monnaies, sur les aliments[6]. Les ventes à découvert doivent être également interdites[7] et les Credit Default Swaps doivent être strictement réglementés. Il faut fermer les marchés de gré à gré de produits dérivés qui sont de vrais trous noirs, échappant à toute réglementation et surveillance.

Le secteur des agences de notation doit également être strictement réformé et encadré. Loin d’être l’outil d’une estimation scientifique objective, elles sont structurellement parties prenantes de la mondialisation néolibérale et ont déclenché à plusieurs reprises des catastrophes sociales. En effet, la dégradation de la note d’un pays implique une hausse des taux d’intérêt sur les prêts qui lui sont accordés. De ce fait, la situation économique du pays concerné se détériore encore davantage. Le comportement moutonnier des spéculateurs décuple les difficultés rencontrées qui pèseront encore plus lourdement sur les populations. La forte soumission des agences de notation aux milieux financiers nord-américains fait de ces agences de notation un acteur majeur au niveau international, dont la responsabilité dans le déclenchement et l’évolution des crises n’est pas assez mis en lumière par les médias. La stabilité économique des pays européens a été placée entre les mains de ces agences de notation, sans garde-fous, sans moyens de contrôle sérieux de la part de la puissance publique. La création d’une agence publique de notation est incontournable pour sortir de cette impasse.

5. Transférer sous contrôle citoyen les banques au secteur public.

Après des décennies de dérives financières et de privatisations, il est grand temps de faire passer le secteur du crédit dans le domaine public. Les États doivent retrouver leur capacité de contrôle et d’orientation de l’activité économique et financière. Ils doivent également disposer d’instruments pour réaliser des investissements et financer les dépenses publiques en réduisant au minimum le recours à l’emprunt auprès d’institutions privées ou/et étrangères. Il faut exproprier sans indemnisation les banques pour les transférer au secteur public sous contrôle citoyen.

Dans certains cas, l’expropriation des banques privées peut représenter un coût pour l’État en raison des dettes qu’elles ont pu accumuler. Le coût en question doit être récupéré sur le patrimoine général des grands actionnaires. En effet, les sociétés privées qui sont actionnaires des banques et qui les ont menées vers l’abîme tout en faisant de juteux profits détiennent une partie de leur patrimoine dans d’autres secteurs de l’économie. Il faut donc faire une ponction sur le patrimoine général des actionnaires. Il s’agit d’éviter au maximum de socialiser les pertes. L’exemple irlandais est emblématique, la manière dont la nationalisation de l’Irish Allied Bank a été effectuée est inacceptable. Il faut en tirer les leçons.

6. Socialiser les nombreuses entreprises et services privatisés depuis 1980.

Une caractéristique de ces trente dernières années a été la privatisation de nombre d’entreprises et services publics. Des banques au secteur industriel en passant par la poste, les télécommunications, l’énergie et les transports, les gouvernements ont livré au privé des pans entiers de l’économie, perdant au passage toute capacité de régulation de l’économie. Ces biens publics, issus du travail collectif, doivent revenir dans le domaine public. Il s’agira de créer de nouvelles entreprises publiques et d’adapter les services publics selon les besoins de la population pour répondre notamment à la problématique du changement climatique, avec par exemple la création d’un service public d’isolation des logements.

7. Réduire radicalement le temps de travail pour créer des emplois tout en augmentant les salaires et les retraites.

Répartir autrement les richesses est la meilleure réponse à la crise. La part destinée aux salariés dans les richesses produites a nettement baissé depuis plusieurs décennies, tandis que les créanciers et les entreprises ont accru leurs profits pour les consacrer à la spéculation. En augmentant les salaires, non seulement on permet aux populations de vivre dignement, mais on renforce aussi les moyens qui servent au financement de la protection sociale et des régimes de retraite.

En diminuant le temps de travail sans réduction de salaire et en créant des emplois, on améliore la qualité de vie des travailleurs, on fournit un emploi à celles et ceux qui en cherchent. La réduction radicale du temps de travail offre aussi la possibilité de mettre en pratique un autre rythme de vie, une manière différente de vivre en société en s’éloignant du consumérisme. Le temps gagné en faveur des loisirs doit permettre l’augmentation de la participation active des personnes à la vie politique, au renforcement des solidarités, aux activités bénévoles et à la création culturelle.

8. Refonder démocratiquement une autre Union européenne basée sur la solidarité.

Plusieurs dispositions des traités qui régissent l’Union européenne, l’eurozone et la BCE doivent être abrogées. Par exemple, il faut supprimer les articles 63 et 125 du traité de Lisbonne interdisant tout contrôle des mouvements de capitaux et toute aide à un État en difficulté. Il faut également abandonner le Pacte de stabilité et de croissance. Au-delà , il faut remplacer les actuels traités par de nouveaux dans le cadre d’un véritable processus constituant démocratique afin d’aboutir à un pacte de solidarité des peuples pour l’emploi et l’écologie.

Il faut revoir complètement la politique monétaire ainsi que le statut et la pratique de la Banque centrale européenne. L’incapacité du pouvoir politique à imposer à la BCE de créer de la monnaie est un handicap très lourd. En créant cette BCE au-dessus des gouvernements et donc des peuples, l’Union européenne a fait un choix désastreux, celui de soumettre l’humain à la finance, au lieu de l’inverse.

Alors que de nombreux mouvements sociaux dénonçaient des statuts trop rigides et profondément inadaptés, la BCE a été contrainte de changer son fusil d’épaule au plus fort de la crise en modifiant en urgence le rôle qui lui a été octroyé. Malheureusement, elle a accepté de le faire pour de mauvaises raisons : non pas pour que les intérêts des peuples soient pris en compte, mais pour que ceux des créanciers soient préservés. C’est bien la preuve que les cartes doivent être rebattues et redistribuées : la BCE doit pouvoir financer directement des États soucieux d’atteindre des objectifs sociaux et environnementaux qui intègrent parfaitement les besoins fondamentaux des populations.

Aujourd’hui, des activités économiques fort diverses, comme l’investissement dans la construction d’un établissement hospitalier ou un projet purement spéculatif, sont financées de manière similaire. Le pouvoir politique doit au moins réfléchir à imposer des coûts très différents aux uns et aux autres : des taux bas doivent être réservés aux investissements socialement justes et écologiquement soutenables, des taux très élevés, voire rédhibitoires quand la situation l’exige, pour les opérations de type spéculatif, qu’il est également souhaitable d’interdire purement et simplement dans certains domaines (voir plus haut).

Une Europe basée sur la solidarité et la coopération doit permettre de tourner le dos à la concurrence et à la compétition, qui tirent « vers le bas ». La logique néolibérale a conduit à la crise et révélé son échec. Elle a poussé les indicateurs sociaux à la baisse : moins de protection sociale, moins d’emplois, moins de services publics. Les quelques-uns qui ont profité de cette crise l’ont fait en piétinant les droits de la majorité des autres. Les coupables ont gagné, les victimes paient ! Cette logique, qui sous-tend tous les textes fondateurs de l’Union européenne, Pacte de stabilité et de croissance en tête, doit être battue en brèche : elle n’est plus tenable. Une autre Europe, basée sur la coopération entre États et la solidarité entre les peuples, doit devenir l’objectif prioritaire. Pour cela, les politiques budgétaires et fiscales doivent être non pas uniformisées, car les économies européennes présentent de fortes disparités, mais coordonnées pour qu’enfin émerge une solution « vers le haut ». Des politiques globales à l’échelle européenne, comprenant des investissements publics massifs pour la création d’emplois publics dans des domaines essentiels (des services de proximité aux énergies renouvelables, de la lutte contre le changement climatique aux secteurs sociaux de base), doivent s’imposer.

Cette autre Europe démocratisée doit, pour le CADTM, oeuvrer pour imposer des principes non négociables : renforcement de la justice fiscale et sociale, choix tournés vers l’élévation du niveau et de la qualité de vie de ses habitants, désarmement et réduction radicale des dépenses militaires (y compris retrait des troupes européennes d’Afghanistan et départ de l’OTAN), choix énergétiques durables sans recours au nucléaire, refus des organismes génétiquement modifiés (OGM). Elle doit aussi résolument mettre fin à sa politique de forteresse assiégée envers les candidats à l’immigration, pour devenir un partenaire équitable et véritablement solidaire à l’égard des peuples du Sud de la planète.

Éric Toussaint [1]
www.cadtm.org
345 Avenue de l’Observatoire
4000 Liège
Belgique

[1] Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, président du CADTM Belgique, membre du Conseil international du Forum social mondial et de la Commission présidentielle d’audit intégral de la dette (CAIC) de l’Équateur, membre du Conseil scientifique d’ATTAC France, auteur des livres Un coup d’oeil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui (Cerisier, 2010), Banque du Sud et nouvelle crise internationale (CADTM-Syllepse, 2008), Banque mondiale : le coup d’Etat permanent (CADTM-Syllepse-Cetim, 2006), La finance contre les peuples (CADTM-Syllepse-Cetim, 2004). Co-auteur avec Damien Millet des livres La Crise, quelles crises ? (Aden-CADTM-Cetim, 2010), 60 questions 60 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale (CADTM-Syllepse, 2008) et Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005). Prochain ouvrage à paraître en juin 2011 : La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011 (livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint).

[2] Voir http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Tract_CADTM_Europe_DEF_27aout2010.pdf. Nous reprenons ici ces huit propositions en les actualisant et en les développant.

[3] Voir Éric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’État permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, chapitre 4.

[4] Pensons à l’Irlande qui pratique un taux de seulement 12,5 % sur les bénéfices des sociétés.

[5] Signalons que ce taux de 90 % avait été imposé aux riches à partir de la présidence de Franklin Roosevelt aux États-Unis dans les années 1930.

[6] Voir Damien Millet et Éric Toussaint, La Crise, quelles crises ?, Aden-CADTM-Cetim, 2010, chapitre 6.

[7] Les ventes à découvert permettent de spéculer sur la baisse d’un titre en vendant à terme ce titre alors qu’on n’en dispose même pas. Les autorités allemandes ont interdit les ventes à découvert alors que les autorités françaises et celles d’autres pays sont opposées à cette mesure.


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