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Face au Globalcrate (The Nation)

Photo : Pascal Lamy, directeur général de l’OMC

Genève - On l’appelle le Généralissime de la Globalisation. Le directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce, Pascal Lamy, était un peu sur la défensive, tentant de nous convaincre que l’OMC « n’a pas été créée comme un club occulte de multinationales qui concoctent en secret des plans contre les peuples. Nous oeuvrons à visage découvert. Consultez notre site internet. »

Ca fait un an que la finance globalisée a fait mordre la poussière au monde et pourtant ici, à Genève, où l’OMC a ouvert sa grande « septième conférence », les diplomates affichent une attitude de déni. Un document confidentiel sorti des dossiers des membres de l’OMC - et qui n’est évidemment pas publié sur leur site internet - nous révèle que malgré les crises financières et écologiques, les globalisateurs veulent continuer à faire la fête comme si nous étions encore en 1999.

Cette année-là , huit mois seulement après la Bataille de Seattle, l’Accord sur les Services Financiers (ASF) de l’OMC est devenu une loi globale, abolissant les vielles règles sur le commerce international en matière de dérivés sur les devises et les produits financiers. Les biens financiers se sont rapidement répandus. Les maux financiers aussi. Résultat : l’effondrement des prêts immobiliers toucha de plein fouet les actionnaires du monde entier. Lorsque le prix de l’immobilier s’écroula en Californie, les banques islandaises se sont mises à fondre.

Mais Lamy, tout au cours de notre long entretien en tête-à -tête, a insisté pour présenter l’OMC non pas comme le gardien multinational de la dérégulation mais plutôt comme le promoteur de « l’interdépendance », une sorte d’OXFAM (ONG d’aide humanitaire - NdT) ou d’ACLU (organisation de défense des droits civiques aux Etats-Unis - NdT) du commerce. « Cette interdépendance a beaucoup de bons côtés », m’a-t-il dit, « sur la liberté, les droits de l’homme, sur la technologie, les médias, les libertés politiques. »

J’ai suggéré que, en dehors de l’enceinte grillagé de l’OMC au pied des Alpes, peu de gens associaient les dérivés financiers aux droits de l’homme et à la liberté. « Ils devraient ! » a dit Lamy. « Ils devraient ! ».

J’ai tenté de ramener la conversation sur les détails diaboliques du document barré de la mention « prière de ne pas rendre ce texte public » : la demande de l’Union Européenne, reprise par les Etats-Unis, que le Brésil ouvre ses frontières aux produits dérivés et autres produits exotiques des géants de la banque internationale. Les états de l’UE n’étaient pas très contents, semble-t-il, que « le Brésil n’ait pas encore accepté le cinquième protocole », c’est-à -dire qu’il était le seul parmi les grandes nations à rejeter ouvertement l’ASF.

Le président du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, s’est opposé à la dérégulation financière sauvage, épargnant ainsi à son pays les dégâts provoqués par la Grande Récession, et permis à son PNB de grimper de 9% ces trois derniers mois. N’était-ce pas tout simplement un peu débile que de demander au Brésil de se joindre au casino financier ? Lamy a répondu, non sans une certaine logique, « Le problème n’est pas le commerce. Le problème c’est la régulation ou non du commerce. »

Alors la solution au problème des banquiers qui échappent à tout contrôle est de les réguler, comme c’était la cas il y dix ans. Mais il y a un hic. Comme l’a reconnu M. Lamy, « A l’OMC, on peut toujours revenir en arrière ». Procéder à une re-régulation, mais « il y a un prix à payer pour revenir en arrière ». Et quel prix. Sous l’ASF, une fois qu’une nation s’est débarrassée de toutes ses régulations bancaires, elle n’a plus le droit, malgré la crise, de réinstaurer des mesures de protection qui pourraient gêner les établissements bancaires installés récemment. Par exemple, si l’Equateur devait suivre les conseils de l’ancien président de la Réserve Fédérale Paul Volcker et réinstaurer des régulations pour empêcher les banques commerciales de jouer à la loterie, le gouvernement des Etats-Unis, selon les règles de l’OMC, pourrait imposer un impôt sévère sur chaque banane équatorienne exportée en guise de compensation des pertes subies par les banques US. En d’autres termes, ça peut coûter une petite fortune à un signataire du traité qui viendrait fourrer son nez dans la salle des marchés de la JPMorgan.

Comment les gouvernements ont-ils réussis à se retrouver pieds et poings liés par l’Accord sur les Services Financiers ?

Lorsque le traité financier de l’OMC s’est imposé en 1999, nous étions sur une autre planète. Un mois avant les protestations contre l’OMC, Robert Rubin venait de rejoindre Citigroup, une mégabanque créée grâce à la dérégulation promue par... Rubin, lorsqu’il était Secrétaire du Trésor sous l’administration Clinton. A cette époque, Rubin était considéré comme Merlin (l’enchanteur) et à part quelques manifestants à Seattle (« des bobos ridicules qui cherchent à retrouver leur trip des années ’60, » avait écrit Thomas Friedman, du New York Times), peu doutaient de la magie de Rubin.

En 1999, le niveau du commerce international des produits dérivés (equity derivatives et credit default swaps) était trop faible pour être surveillé. Mais grâce aux termes du traité de l’OMC négocié par Timothy Geithner, à l’époque secrétaire du Trésor adjoint aux affaires internationales, leur commerce transfrontalier s’élevait à 115 mille milliards de dollars en 2008, l’année de la quasi-faillite de Citigroup et son sauvetage par le gouvernement.

Il y a dix ans, au cours de la Bataille de Seattle, Lamy lui-même portait les galons de la force de choc financier de la globalisation en tant que directeur du géant français Crédit Lyonnais, dont il avait dirigé la privatisation. Avant de le quitter, je lui ai demandé si, après la crise, les manifestants n’avaient pas eu finalement raison et que la levée des barrières financières s’était révélée dangereuse.

Le banquier devenu globalcrate a répondu que les problèmes de l’OMC ne sont pas d’ordre stratégique mais un problème de relations publiques. « Nous avons réalisé qu’une partie de nos activités avait besoin de plus de transparence, de plus d’explications. Je crois que nous en avons réalisé pas mal. »

Martin Khor pense le contraire. En tant que directeur exécutif de South Centre, et comme ancien directeur de l’ONG Third World Network, Khor est ce qui se fait de mieux comme dirigeant de l’insurrection anti-globalisation - et plutôt efficace. South Centre, basée à Genève, fournit au Brésil et à de nombreux autres pays en voie de développement les moyens de se défendre contre les diktats des Etats-Unis et de l’Europe.

Khor dit que la mauvaise réputation de l’OMC vient de sa manie à faire pression sur les pays en voie de développement pour qu’ils reproduisent, en matière de réglementation sur le commerce, la frénésie de dérégulation qui a plongé les Etats-Unis et l’Europe « dans le chaudron ». Et il trouve croustillant que les banques qui auraient fait faillite sans les aides massives distribuées par les gouvernements continuent de prêcher aux pays émergeants les évangiles de la dérégulation des marchés financiers. « S’il n’y avait pas eu ces sauvetages, ces institutions financières n’existeraient plus. Mais ayant été sauvées, elles continuent de penser qu’elles pourront recommencer comme avant. »

Apparemment, elles n’ont pas compris que la fête est finie.

Greg Palast
http://www.gregpalast.com/
décembre 2009

Article original : http://www.thenation.com/doc/20091221/palast

Traduction le Grand Soir

URL de cet article 9736
   
1914-1918 La Grande Guerre des Classes
Jacques R. PAUWELS
Dans l’Europe de 1914, le droit de vote universel n’existait pas. Partout, la noblesse et les grands industriels se partageaient le pouvoir. Mais cette élite, restreinte, craignait les masses populaires et le spectre d’une révolution. L’Europe devait sortir « purifiée » de la guerre, et « grandie » par l’extension territoriale. Et si la Première Guerre mondiale était avant tout la suite meurtrière de la lutte entre ceux d’en haut et ceux d’en bas initiée dès 1789 ? C’est la thèse (…)
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« Le pire des analphabètes, c’est l’analphabète politique. Il n’écoute pas, ne parle pas, ne participe pas aux événements politiques. Il ne sait pas que le coût de la vie, le prix de haricots et du poisson, le prix de la farine, le loyer, le prix des souliers et des médicaments dépendent des décisions politiques. L’analphabète politique est si bête qu’il s’enorgueillit et gonfle la poitrine pour dire qu’il déteste la politique. Il ne sait pas, l’imbécile, que c’est son ignorance politique qui produit la prostituée, l’enfant de la rue, le voleur, le pire de tous les bandits et surtout le politicien malhonnête, menteur et corrompu, qui lèche les pieds des entreprises nationales et multinationales. »

Bertolt Brecht, poète et dramaturge allemand (1898/1956)

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