Il n’est pas exagéré de dire que dans cette prise de parole éructante, Giesbert fait preuve d’une hargne, d’un ton qui nous rappellent les prestations du principal speaker de Radio-Paris pendant le Deuxième Guerre mondiale.
J’ai dit ailleurs pourquoi, à titre politique, et, plus encore peut-être à titre personnel, Pécresse avait décidé de ne rien lâcher dans son combat contre les universitaires (http://blogbernardgensane.blogs.nou...).
Dans cette interview, Giesbert donne donc, sans faire preuve du moindre courage (car la cause est, provisoirement, entendue) le coup de grâce au mouvement universitaire.
De manière venimeuse, donc méprisable, il s’en prend à l’une des grandes figures de la contestation, le professeur Georges Molinié, président de l’Université Paris IV. En la sortant de son contexte, sans la référencer, il cite une phrase de Molinié, parfaitement compréhensible pour des gens cultivés qui, comme Giesbert, font semblant de ne rien y entendre, mais absconce pour l’auditeur de base de RTL. Par ailleurs, il lit cette phrase en la singeant littéralement, donnant du grand universitaire l’image d’un agité du bocal, d’un pédant, d’un parasite qui tond la laine sur le dos du contribuable méritant qui écoute RTL dans les embouteillages.
Le mépris affiché par Giesbert nous renseigne pleinement sur le manque de considération total des médias, de la classe dirigeante pour les intellectuels, les gens de savoir.
Molinié n’a pas mené le combat anti-Pécresse seul. Il fut entouré par les personnels et les étudiants de la Sorbonne dans des efforts partagés par une dizaine de présidents d’université. Les soixante-dix autres présidents qui se sont couchés porteront la responsabilité de trente ans d’hiver social infligés à la génération à venir.
Pourquoi Giesbert s’en est-il donc pris à Molinié ? Selon moi, pour la simple raison que cet éminent spécialiste de stylistique française vient de la droite et qu’il a osé affronter le parangon des universitaires/managers tels que les rêvent Pécresse et Sarkozy, Jean-Robert Pitte. Molinié fait partie de tous ces modérés qui ont été choqués par les attaques élyséennes contre la dignité des enseignants, contre leur indépendance, leur liberté d’esprit. Il a compris que Sarkozy voulait une institution bottée, casquée, non démocratique, filant droit pour le seul profit du patronat. Ce qu’il n’a pu accepter.
Il est des évolutions fort honorables. Il en est d’autres plus que suspectes. Lorsqu’à trente-six ans on dirige la rédaction d’un grand hebdomadaire de gauche et qu’à trente-neuf on prend les rènes du grand quotidien de la bourgeoisie française, on est effectivement tout à fait qualifié pour flatter dans le sens du poil poujadiste les auditeurs de RTL. Giesbert fut sympathisant communiste, proche de figures du PSU comme Gilles Martinet avant d’écrire une biographie de François Mitterrand qui, à l’époque, le fascinait. Il se rapprocha de Rocard puis rejoignit des publications comme Le Figaro ou Le Point. Il devint alors, de manière décomplexée, pour ne pas dire agressive, un homme de droite. De droite, tout en faisant feu de tout bois : dans le livre qu’il consacra à Chirac, il dévoila certains aspects de la vie privée de l’ancien président que celui-ci aurait voulu garder secrets.
Lorsque l’auditeur de RTL écoute Giesbert, il ne connaît pas nécessairement l’historique des reniements du bonimenteur vulgaire. Et il y a peu de chance pour qu’il sache ce que représente le parcours humain, intellectuel d’un président d’université comme Georges Molinié. Nous vivons dans un pays où l’on admire des footballeurs ou des producteurs de télévision milliardaires et où des représentants emblématiques des médias nous invitent à cracher sur des savants.
Bernard Gensane