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La « Vénus Hottentote », remarquée pour les traits distinctifs de sa morphologie, devint un objet de curiosité malsaine...

Est-il interdit de demander justice ?

« Nul lieu du Monde ne peut s’accommoder du moindre oubli d’un crime, de la moindre ombre portée. Nous demandons que les non-dits de nos histoires soient conjurés pour que nous entrions tous ensemble, et libérés, dans le Tout-Monde. Ensemble encore, nommons la traite et l’esclavage perpétrés dans les Amériques : crime contre l’humanité. »

Wole Soyinka (Prix Nobel).

L’anniversaire du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre en Algérie nous donne l’occasion de revenir sur le racisme, le phénomène colonial et l’inéluctabilité de la repentance. Si d’aucuns, pour des raisons qui leurs sont propres, pensent que la dette de la France en termes de repentance n’a pas lieu d’être, il serait bon de rafraichir quelque peu les idées à ceux qui trouvent que c’est ringard de parler de repentance, voire compromettant pour une carrière.

Nous ne sommes pas historiens, loin s’en faut, mais nous avons toujours tenté de militer pour la Vérité. Montesquieu, homme de lettres français, proclamait « qu’il fallait être fidèle à la vérité même quand notre partie est en cause, que, tout citoyen avait le devoir de mourir pour sa patrie mais que nul n’était tenu de mentir pour elle ». Il est vrai que l’histoire demeure une interprétation du passé, interprétation susceptible de changer de génération en génération en fonction des questionnements et des préoccupations du moment. C’est pourquoi elle est une réécriture permanente du passé par des historiens.

S’agissant justement des méfaits du colonialisme, nous voulons prendre un exemple parmi des milliers qui nous sont venus à l’esprit à l’occasion de la sortie d’un film par le Franco-Tunisien, Abdelatif Kechiche, « La Venus Noire ». Sans être exhaustif sur toutes les horreurs de la colonisation, nous voulons présenter l’une des faces les plus abjectes du mythe des races supérieures, celui du racisme. Comme on le sait, en Europe, au XIXe siècle, les idées des maitres à penser tels que Ernest Renan- Arthur de Gobineau, et qui s’appuyaient sur des théories pseudo-scientifiques telles que celles du prix Nobel de médecine, Charles Richet, sur l’infériorité du Noir, ont donné carte blanche à des Jules Ferry et des Joseph Chamberlain, voire Cécil Rhodes pour mettre en pratique les théories fumeuses des races supérieures.

La « Vénus Hottentote », de son vrai nom Sawtche, est née en 1789. Remarquée pour les traits distinctifs de sa morphologie, Sawtche allait devenir rapidement un objet de curiosité, mais aussi de convoitise. Vers 1810, elle rejoint Londres avec son ancien maître, pour se produire dans un freak show des célèbres foires aux monstres de l’époque. La dramaturgie du spectacle la transforme en curiosité mi-femme-mi animal, et lui, en dompteur de bête sauvage. Saartjie pousse des grognements pour effrayer le public qui a payé 2 shillings pour se faire terroriser. L’emprise de l’alcool qui la fait tenir face aux humiliations d’un corps jeté en pâture. L’emprise des hommes et de leur argent. Enfin, l’emprise des scientifiques sur son cadavre. A la mort de Saartjie, le célèbre zoologue et chirurgien Georges Cuvier, récupère son cadavre et le dissèque, son corps nu moulé dans le plâtre pour être exposé au public. Et il le restera jusqu’en 1974 avant de rejoindre les réserves du musée. Paris, 1817, enceinte de l’Académie royale de médecine. « Je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes. » Face au moulage du corps de Saartjie Baartman, l’anatomiste Georges Cuvier est catégorique. Saartjie Baartman meurt à Paris dans la misère en 1815. (1)

Le racisme colonial

En 1994, au lendemain de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, l’ethnie des Khoisan demande officiellement à Nelson Mandela que leur soit restituée la dépouille de Saartjie Baartman. La France faisant valoir l’inaliénabilité, selon la loi, des collections nationales et l’intérêt scientifique de la dépouille. Le squelette de Saartjie continue à prendre la poussière dans les caves du Musée de l’Homme. Après moult péripéties, le 9 aout 2002, une cérémonie oecuménique célébrée selon les rites khoisans a lieu en présence du président Mbeki. Il aura fallu deux siècles pour que Saartjie puisse enfin trouver le repos.

Justement, celle qui est présentée pour divertir, annonce « les zoos humains ». Le terme de zoo humain est apparu dans les années 2000 pour décrire une attitude culturelle qui a prévalu dans les empires coloniaux jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. On sait que durant la Renaissance, les Medicis dont l’un d’eux sera pape, acquirent une large « ménagerie » au Vatican. C’est un fait que pendant plus d’un siècle, les Européens ont exhibé des êtres humains comme des animaux, des « êtres étranges ». Ces « Zoos humains » ont consolidé un racisme qui s’est banalisé jusqu’à aujourd’hui. Découvrir cette page honteuse et immorale de l’histoire de l’humanité permet d’appréhender les origines de l’image de l’homme Noir dans le monde occidental depuis plusieurs siècles.

« Tout au long du XIXe siècle, l’idée d’une primauté naturelle des Blancs, qualifiés de « race supérieure », s’est répandue en Europe pour justifier l’expansion coloniale, en s’appuyant sur des exhibitions de « sauvages », toujours mises en scène, mais fonctionnant comme des démonstrations vivantes de cette « évidence ». « Cela a forgé des stéréotypes qui circulent encore aujourd’hui dans les esprits. » Ces stéréotypes auront la vie dure. Ainsi, le 12 novembre 2009, la première Dame des États-Unis, Michelle Obama est représentée en guenon avec son tailleur rose. Cette image humiliante et avilissante a été diffusée sur Internet. Comme toujours, la femme Noire est rabaissée au rang d’animal en Occident. Déjà au XIXe siècle, la parenté entre l’homme Noir et l’animal était admise comme une vérité scientifique indiscutable. Aujourd’hui en 2009, la comparaison systématique de l’homme Noir avec un primate est toujours autant d’actualité.(2)

Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire s’interrogent sur cette dérive : « Comment cela a-t-il été possible ? Les Européens sont-ils capables de prendre la mesure de ce que révèlent les « zoos humains » de leur culture, de leurs mentalités, de leur inconscient et de leur psychisme collectif ? De fait, ces zoos, où des individus « exotiques » mêlés à des bêtes sauvages étaient montrés en spectacle derrière des grilles ou des enclos à un public avide de distraction, constituent la preuve la plus évidente du décalage existant entre discours et pratique au temps de l’édification des empires coloniaux. De nombreux autres lieux vont rapidement présenter de tels « spectacles » ou les adapter à des fins plus « politiques », un « village nègre » et 400 figurants « indigènes » en constituaient l’une des attractions majeures - et celle de 1900, avec ses 50 millions de visiteurs et le célèbre Diorama « vivant » sur Madagascar, ou, plus tard, les Expositions coloniales, à Marseille en 1906 et 1922, mais aussi à Paris en 1907 et 1931 ».C’est alors par millions que les Français, de 1877 au début des années 30, vont à la rencontre de l’Autre. Un « autre » mis en scène et en cage (...). La mécanique coloniale d’infériorisation de l’indigène par l’image se met alors en marche et, dans une telle conquête des imaginaires européens, les zoos humains constituent le plus vicié de la construction des préjugés sur les populations colonisées ».(...) (3)

« En parallèle, un racisme populaire se déploie dans la grande presse et dans l’opinion publique, comme toile de fond de la conquête coloniale. (...) On assiste, à travers les zoos humains, à la mise en scène de la construction d’une classification en « races » humaines. Ainsi, le comte Joseph Arthur de Gobineau, par son Essai sur l’inégalité des races humaines, avait établi l’inégalité originelle des races en créant une typologie sur des critères de hiérarchisation largement subjectifs (...) Les civilisations extra-européennes, dans cette perception linéaire de l’évolution socioculturelle et cette mise en scène de proximité avec le monde animalier, sont considérées comme attardées, mais civilisables, donc colonisables. (...) A la conquête succède la « mission civilisatrice », discours dont les expositions coloniales se feront les ardents défenseurs. Au militaire succède l’administrateur. Sous l’influence « bénéfique » de la France des Lumières, de la République colonisatrice, les « indigènes » sont replacés au bas de l’échelle des civilisations. L’indigène reste un inférieur, certes, mais il est « docilisé », domestiqué, et on découvre chez lui des potentialités d’évolution qui justifient la geste impériale ».(3)

En effet, à travers les zoos humains c’est tout le processus de la pénétration d’un racisme populaire (et colonial) dans les sociétés occidentales que nous pouvons suivre. (...) Les zoos humains, symboles incroyables de l’époque coloniale et du passage du XIXe au XXe siècle, constituent pourtant un fait social majeur, puisque c’est par dizaines de millions que des Français, des Européens ou des Américains sont venus découvrir, pour la première fois, le « sauvage »...Hormis le Jardin d’acclimatation, de nombreux autres lieux vont rapidement promouvoir de tels « spectacles » ou les adapter à des fins plus « politiques », (...)Plus que le « sauvage » c’était alors l’artisan, le travailleur qui, grâce à leur guide, mettaient leurs capacités au service de la Plus grande France. Le « sauvage » est alors domestiqué par la puissance coloniale française. D’une certaine manière, la frontière tracée entre le visité et le visiteur par les zoos humains, fonctionne toujours. Il y a Eux et Nous. Il y aurait toujours nous (l’Occident) et eux (l’ailleurs), la « civilisation » d’un côté et la « barbarie » de l’autre. Les frontières sociétales sont dès lors renforcées par un manichéisme mettant en exergue l’altérité. »(3)

L’obstination de la France

Les zoos humains que nous venons de décrire sont venus en prime, après l’invasion et tous les peuples colonisés y ont eu droit. Pour en revenir justement, aux horreurs de la colonisation qui fait que nous ne pouvons oublier ce qui s’est passé, l’histoire de la colonisation est faite de conquêtes violentes. Toutefois, les violences et les exactions commises sur les civils, les combattants et les militaires adverses font parties intégrantes de l’histoire coloniale française. « En Afrique, déclarait Bugeaud, il n’y a qu’un intérêt, l’intérêt agricole...On y sème des grains, on y fait des récoltes. [...] Je n’ai pu découvrir d’autre moyen de soumettre le pays que de saisir cet intérêt. [...] Je dirais au commandant de chacune de ces colonies : « Général, votre mission n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; elle est d’empêcher, dans votre zone, les Arabes de semer, de récolter, de pâturer. » Devenu maréchal de France, Bugeaud revint, cinq ans plus tard, à la Chambre des députés pour menacer les Algériens qui refusaient de se soumettre à la domination française : « J’entrerai dans vos maisons ; je brûlerai vos villages et vos moissons ; je couperai vos arbres fruitiers et, alors, vous ne vous en prendrez qu’à vous seuls. » La conquête militaire de l’Algérie sera sanglante car le Maréchal saura joindre les actes à la parole. « Qui veut la fin veut les moyens, martèle le sinistre Montagnac en 1843. Selon moi, toutes les populations [ d’Algérie ] qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe ; l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied. »

Cette politique d’occupation militaire faite de violences et d’exactions à l’encontre des populations civiles a été défendue par certains intellectuels. Alexis de Tocqueville, le père de l’ouvrage culte en Occident, « De la démocratie en Amérique » écrivait ainsi au moment de la conquête militaire de l’Algérie : « J’ai souvent entendu en France des hommes [...] trouver mauvais qu’on brûlât des moissons, qu’on vidât des silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. » Bien plus tard, au nom de ce même principe, la torture en Algérie sera justifiée.

Où en sommes-nous ? Les pays colonisateurs ont, d’une façon ou d’une autre, apuré leur compte avec les peuples qu’ils ont subjugués. Deux exemples récents de demande de pardon : le Canada, Stephen Harper le premier ministre déclare solennellement : « En plus d’un siècle, les pensionnats indiens ont séparé plus de 150.000 enfants autochtones de leur famille et de leur communauté. (...) Au nom du gouvernement du Canada et de tous les Canadiens et Canadiennes, je me lève devant vous pour présenter nos excuses aux peuples autochtones pour le rôle joué par le Canada dans les pensionnats pour Indiens ». (4)

S’agissant de l’Australie, écoutons le premier ministre Kevin Budd : « Nous nous excusons pour les lois et décisions des parlements et gouvernements successifs qui ont causé de grandes peines, des souffrances et des pertes à nos compatriotes australiens. » Ce 13 février 2008, devant la nation australienne, le Premier ministre australien, Kevin Budd, prononçait ces paroles historiques qui visaient à réconcilier l’Australie avec son histoire mais surtout à faire la paix avec sa mémoire. D’une autre façon, l’Italie a soldé ses comptes pour sa colonisation de la Libye.

Qu’avons-nous en face comme discours ? Celui du président Sarkozy : « Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail. Il a pris mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n’étaient pas des voleurs, tous les colons n’étaient pas des exploiteurs. »(5)

Aimé Césaire écrivait :« Le colonialisme porte en lui la terreur. Il est vrai. Mais il porte aussi en lui plus néfaste encore peut-être que la chicotte des exploiteurs, le mépris de l’homme, la haine de l’homme, bref le racisme. Que l’on s’y prenne comme on le voudra, on arrive toujours à la même conclusion : il n’y a pas de colonialisme sans racisme. »(6)

Refuser cette repentance, c’est refuser de rendre à l’Autre ce que l’on lui doit, c’est-à -dire la vérité mais plus important, la dignité. Mais au-delà de ce geste fort, c’est une leçon d’humilité et d’humanisme que ces pays ont donné au monde entier, une morale qui balaie tous les discours politiques et philosophiques. La reconnaissance des faits oblige à la repentance. Une obligation morale et une exigence humaine de dire « pardon » pour les crimes et les abus commis par ces « pères » qui ont été aveuglés par leur préjugé, leur haine et leur ignorance. Une nation sait, en reconnaissant ses fautes et en s’excusant, se souder avec elle-même mais aussi avec les autres peuples qui ont longtemps souffert du mépris et de l’arrogance de la part des « anciens maîtres ». On parlera alors de début d’amitié et pourquoi pas de relations nouvelles basées sur le respect mutuel.

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz


NOTES :

1.Sandrine Dionys : Saartjie Baartman, l’histoire d’une Vénus Le Post 30/10/2010

2.http://www.deshumanisation.com/continuite/toujours-en-cage/75-michelle-obama-guenon

3.Nicolas Bancel, Pascal Blanchard ,Sandrine Lemaire . Ces zoos humains de la République Le Monde diplomatique. Août 2000

4.Stephen Harper- Déclaration source AFP 12 Juin 2008

5.Nicolas Sarkozy : Discours de Dakar, juillet 2007.

6.Aimé Césaire, La Nouvelle Critique, janvier 1954.

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz

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