La porte-parole de Ouattara est sans ambages à ce sujet, ce lundi 11 avril, malgré les tentatives de rattrapage subséquentes : "Il a été arrêté par les forces françaises qui l’ont remis aux forces républicaines". En bon hédoniste aimant la vie qu’il continue de croquer de belles dents, d’après les images muettes diffusées après son arrestation, Gbagbo a facilité la tâche à Sarkozy en restant vivant au moment de l’irruption des Français ; sa mort aurait été inacceptable et les colonisateurs qui peuvent encore bombarder des palais présidentiels africains, cinquante ans après l’indépendance, auront sans doute la décence de négocier la vie de Laurent et de Simone Gbagbo, pour se rattraper auprès de leur propre opinion et de la communauté africaine. Surtout s’ils ont tous bénéficié de ses largesses, comme avec Khadafi, au demeurant.
Si, en effet, cinq présidents africains et un chef de la diplomatie volontaires et mandatés comme médiateurs par l’Union africaine, ont séjourné les 10 et 11 avril derniers en Libye, dans l’espoir d’obtenir une trêve dans une rébellion armée par l’extérieur pour faire tomber Khadafi, au mépris du droit élémentaire, sur la Côte d’Ivoire, en revanche, le silence coupable de l’Afrique des dictatures n’étonne guère : tous plus ou moins mal élus, les chefs d’État africains ne pouvaient, dans leur majorité, irriter une France ou d’une Amérique de Sarkozy et de Obama à la recherche d’une prolongation (deuxième mandat hypothétique) connue sur l’ancien continent, berceau des présidents à vie qui ont sans doute nourri le secret espoir de voir Gbagbo tenir tête.
Parmi les objectifs visés, figuraient la "cessation immédiate de toutes les hostilités", l’acheminement de l’aide humanitaire et l’ouverture d’un dialogue entre le régime et l’insurrection encadrée par les États-Unis et la France, principalement Paris.
Le président sud-africain Jacob Zuma et ses homologues du Congo, du Mali, de Mauritanie et d’Ouganda ont également proposé une "période transitoire" pour l’adoption de réformes politiques censées éliminer les "causes de la crise actuelle", et qui dormaient dans quelque tiroir depuis près de trois ans, selon le camp du guide libyen.
Ils seront confortés par les assaillants de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) lorsque le secrétaire général reconnaissait le même jour l’impasse militaire et s’appesantissait sur l’aspect diplomatique à privilégier, et ceci bien que ses troupes aient continué de bombarder des cibles innocentes.
Le relatif succès libyen est cependant éclipsé par le douloureux spectacle d’un Gbagbo ramené à l’état d’un Saddam Hussein traqué et extirpé d’un trou à rat pour être soumis à ce spectacle dégradant d’un prisonnier de guerre sans droit ni dignité, palpé, tâté, "adéannisé", exactement comme on faisait de l’esclave noir avant sa livraison à de nouveaux maîtres.
Les Africains exclus de la cour des grands ont démontré toute leur intelligence dans le dossier -libyen, en fermant pudiquement les yeux sur le sort des Ivoiriens livrés aux mercenaires, aux soldats de l’Organisation des Nations-Unies et aux militaires français.
Des coalisés de circonstance, en mal d’autorité parce que faisant route vers un second mandat des plus incertains, avaient décidé de fermer le ciel africain à des chefs d’États souverains qui ne demandaient pourtant qu’à être utiles à leurs frères de race. Mobilisés au nom du continent pour apporter une réponse africaine, ils seront éconduits sans autre forme de procès alors qu’on leur demandait d’aller voir à Paris s’ils y étaient, ce qu’ils refusèrent dignement… tout en avouant leur impuissance morale coupable face au pays de Houphouët-Boigny.
Si, comme le notait "Jeune Afrique" le 11 avril même, "c’est donc plutôt l’impuissance ou l’inertie de l’Union africaine, de la Cedeao et de l’ONU qui ont incité Paris à monter en première ligne, visiblement à reculons", une logique raciale face à un anti-français primaire avait fait pencher la balance du côté du boulanger ivoirien qui a su entretenir "les « amis » de Sarkozy (qui) ne se sont d’ailleurs jamais aussi bien portés qu’avec le leader du FPI : Bolloré, Bouygues, Veolia, Vinci, France Télécom ou Total peuvent en témoigner... », conclue malicieusement Marwane Ben Yahmed.
Pathé MBODJE
Journaliste, sociologue